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dimanche 24 février 2019

ISRAËL : L'armée au pouvoir



Israël élections avril 2019

ISRAËL : L’ARMÉE AU POUVOIR 

Par Jacques BENILLOUCHE
Copyright ©  Temps et Contretemps

      Cet article m’a été inspiré à la suite d’une remarque d’un confrère de Paris qui m’a demandé si Israël n’était pas devenu la nouvelle Sparte, cette cité grecque spécialiste du combat. Mais il oublie que l'armée spartiate, certes connue pour la rigueur des entraînements militaires appliqués aux jeunes garçons,  n'était pas un élément distinct du corps social ; la discipline de la phalange est d'inspiration civique, et non l'inverse.

Gantz et ses officiers

          Cette possibilité qu’un «quarteron de généraux» puisse arriver au pouvoir en Israël peut étonner, voire inquiéter les chancelleries internationales faisant croire à un pronunciamiento par lequel l'armée agit contre le gouvernement en place pour le renverser. Mais Israël est un pays spécial car il est en guerre depuis sa création. Encore aujourd’hui, nombreux sont ceux qui veulent l’éradiquer parce qu’il gêne au Proche-Orient. Donc, rien à voir avec un gouvernement de colonels qui prend le pouvoir par la force et qui impose une dictature sans concessions.





Les leaders du parti "bleu et blanc" dont trois généraux

Israël gêne par sa puissance économique et militaire, par sa réussite et par la solidarité de tout un peuple que rien ne peut séparer malgré les terribles joutes politiques internes. Il gêne par la démocratie qui y règne dans un environnement régional féodal. Il est un mauvais exemple pour de nombreuses dictatures qui trouvent pourtant des oreilles attentives en Occident. Alors on jalouse une armée populaire, Tsahal, créée pour protéger le pays et sa population.

En plus des trente mois de service militaire obligatoire, des périodes militaires annuelles, souvent d’un mois pour les combattants et les anciens des troupes d’élite, sont instituées pour que la population se sente en permanence consciente de la défense nationale et que les civils ne perdent pas le contact avec la réalité du terrain militaire. Les filles sont astreintes à deux années de service militaire ou civil. Il n’y a pas plus populaire que cette armée qui voit d’ailleurs de nombreux exemptés la rejoindre pour ne pas faire tache, en particulier les religieux orthodoxes et à présent les Arabes qui ont compris que l’intégration à la nation passe par un petit don de soi. L’armée est aussi chargée de missions de police dans les territoires de Cisjordanie.
Femmes policières arabes

            Les Israéliens considèrent que l’armée est une fierté nationale en raison de ses exploits contre les ennemis arabes d’hier, même après le drame de la Guerre d’Octobre 1973 et de celle du Liban en 2006 où les pertes furent anormalement élevées. Elle a tendance effectivement à se considérer invincible mais la réalité du Hezbollah et du Hamas corrige à présent cette impression. Les milices d’hier sont devenues de vraies armées. 
            Les jeunes se préparent, pendant au moins une année au sortir du lycée, à intégrer volontairement les troupes combattantes d’élite mais les places sont très limitées, 5% des candidats sont retenus. Tsahal ne recherche pas uniquement des soldats musclés mais des décisionnaires sur le terrain et derrière les écrans. Les débouchés sont immenses après trois ou cinq années sous les drapeaux parce que les entreprises visent d’abord cette élite qui a crapahuté sur tous les théâtres d’opération et même à l’étranger.   

            Par souci d’efficacité la rotation des militaires est obligatoire pour éviter les rentes de situation : pas plus de trois ans au même commandement et dans la même région et un rajeunissement systématique, pour éviter les généraux bedonnants, permet de maintenir un dynamisme permanent. Les officiers de carrière disposent de salaires attractifs pour favoriser une stabilité technique. Tsahal veut des hommes jeunes ; c’est pourquoi la plupart des militaires quittent l’armée active vers 50 ans, un peu plus pour les généraux de haut niveau. Ils sont très vite recasés à la tête d’industries militaires et civiles et souvent au sein des partis politiques qui ne peuvent attirer des électeurs que s’ils ont une crédibilité militaire pour un pays en guerre. Cela a l’avantage d’intégrer les militaires dans la vie de tous les jours et de ne créer aucune source de mécontentement pouvant mener à une révolte, voire un coup d’État. L’armée n’est pas un monde à part, disposant de privilèges mais une entité décisionnaire puisqu’elle participe chaque semaine au Cabinet de sécurité des principaux ministres.
Cabinet de sécurité

Pendant les premières années de l’Israël historique et pionnier, le parti travailliste était au pouvoir et le haut commandement de l’armée était totalement affilié à ce parti. L’élite militaire vivait dans les kibboutzim laïcs et socialistes. Après la victoire en 1977 du dirigeant de droite, Menahem Begin, le camp national-religieux s’intégra dans les échelons supérieurs de l'armée sachant qu’à présent 40% des nouveaux officiers portent la kippa. La droite nationaliste trouve ainsi des alliés parmi les chefs militaires et une oreille attentive.  
Israël est habitué à voir des anciens militaires au sommet de l’État. D’ailleurs ils ont souvent marqué l’histoire du pays. Ehud Barak, le soldat le plus décoré de l'histoire d'Israël, Yitzhak Rabin le vainqueur de la Guerre des Six-jours en 1967 et le signataire des accords d’Oslo, Ariel Sharon le sauveur de la guerre du Kippour de 1973 et celui qui imposa le désengagement de Gaza, se sont lancés dans la politique après avoir quitté l'armée. Des généraux au pouvoir ne choquent pas, au contraire ils rassurent. Certains sont des colombes notoires comme l’ancien commandant en chef de la marine, Ami Ayalon, qui a agi en collaboration avec le palestinien Sari Nussibeh, philosophe et universitaire palestinien, pour initier une paix durable, en vain.
L'Etat-major israélien de jeunes officiers

Confondue avec la nation, l’armée israélienne exerce une influence décisive mais elle est plus pacifique que les civils. Ces dernières années d’ailleurs, Benny Gantz et Gabi Ashkenazi s’étaient opposés à Benjamin Netanyahou en refusant d’attaquer l’Iran parce qu’ils estimaient le moment peu propice sans soutien logistique et politique américain. Tsahal est plus pragmatique que les politiques et joue un rôle très important dans la vie de la nation car chacun a un fils, une fille ou un parent mobilisé. Cette caractéristique fait de l’armée israélienne l’armée du peuple dans le sens exact du mot, et l’identité entre l’armée et la nation n’a jamais été contestée.
A côté de l’armée régulière de quarante mille soldats, existent des unités de réserve de 25.000 hommes qui peuvent être mobilisées en quelques heures. Alors, voir des militaires au pouvoir n’est pas une exception. L’armée israélienne a plus qu’un sens conventionnel, elle résulte d’une union efficace entre un dispositif civil et un effort de guerre. Tout ce qui touche aux éléments quotidiens et sécuritaires du pays, eau, électricité, carburant, ravitaillement alimentaire, communications, transports terrestres, aériens et maritimes, est planifié en coordination étroite avec les chefs militaires. 

        En fait pour simplifier, Israël est possédé par son armée. Contrairement à certains pays dictatoriaux, il n’y a donc aucune raison d’inquiétude de voir des généraux à la tête des institutions civiles israéliennes. Ils ont été élus démocratiquement par des civils même s’ils gardent leur tenue militaire à portée de main en cas de guerre.

3 commentaires:

Yaël Marie-Hélène ARMANET a dit…

Petite remarque: on ignore souvent qu'en Israël, l'état de siège existe depuis la création de l'Etat en 1948. Pour diverses raisons. Mais il existe bel et bien!

The Old Dreamer a dit…

En plagiant Clemenceau , je dirais: Israël est trop important pour le/la confier à des militaires sans expérience politique et économique

邓大平 עמנואל דובשק Emmanuel Doubchak a dit…

Il semble ici que la politique du Mapaï vis à vis de l'armée ait été finalement une réussite, vu que le peuple semble plébisciter une armée, ou du moins ses anciens chefs, parce qu'ils sont ressentis comme non pas constitutionnalistes, vu qu'il n'y a pas de constitution en Israël, mais institutionnalistes, c'est à dire, respectueux des institutions de l'état, ce que n'est plus depuis longtemps le parti de Netanyahu qui a depuis le début des années Rabin remis en question la légalité du système démocratique en refusant la légitimité de la majorité en faveur des accords d'Oslo, puis s'est attaqué à l'armée, à la presse, à la justice, à la police et j'en passe. C'est contre cela que tant d'électeurs et jusque dans les rangs du Likoud désertent le parti et son chef, qui vient d'ouvrir les portes de la Knesset à des Kahanistes qui nous mèneront immanquablement à une guerre civile soit larvée, soit active, qui menaçait déjà auparavant. Ce n'est pas pour rien que Kadima a battu le Likoud, même si c'était loin d'être ma tasse de thé, mais la vie publique a été vraiment apaisée pendant un certain temps. C'est tout l'appareil sécuritaire qui est plébiscité, parce que lui, il envisage la réalité sans se soucier si les électeurs voteront pour lui ou pas.