TUNISIE : LE MAL EST EN NOUS
Par Ikhlas
LATIF
Rédactrice en chef adjointe à Business News (Tunisie)
Le
mal est en nous, tel un vers qui cause des dégâts irréversibles dans un fruit.
Ce mal s’est frayé un chemin dans la société tunisienne, non pas depuis 10 ans,
mais depuis des décennies déjà. Telle une chenille, il a creusé des galeries,
faisant pourrir les fondements de la société. Il a creusé des galeries jusqu’au
cœur même de la société. Cela entrainera irrémédiablement la chute de tout ce
qui a été construit, de tout ce qui a fait de nous une nation, de cette
tunisianité qui se mue de plus en plus en un mirage lointain, à moins d’un
sursaut.
Cliquer sur la suite pour voir une vidéo de la famille du tueur
Les
gens sont étonnés qu’un jeune Tunisien soit l’auteur de l’horrible attentat de
Nice. Ils disent qu’il a porté atteinte à l’islam, qu’il n’est pas de nous, que
nous ne sommes pas responsables de cette infamie. Permettez-moi d’en douter.
Parce que ces mêmes gens, profèrent à chaque acte abject la fameuse phrase : «nous
sommes contre le terrorisme…mais». Mais quoi ? «Les Occidentaux ont
porté atteinte au sacré, donc en quelque sorte, ils l’ont bien cherché ? C’est
eux qui ont commencé donc qu’ils assument dans une certaine mesure ?»,
autant d’inepties qu’on entend çà et là. Sauf qu’en toute logique, le terme «mais»
est à bannir quand il est précédé par le terme «terrorisme». Il s’agit
en toute logique d’une justification hypocrite de l’horreur. Et encore, ces
gens-là sont les plus gentils.
L’heure
est à la dénonciation des haineux qui voient en l’Autre (pas dans sa portée
philosophique, on en est loin) l’ennemi à abattre. L’Autre, celui qui
s’exprime, qui pense, qui croit autrement ou ne croit pas, doit se taire à
jamais, il doit brûler en un hypothétique enfer fantasmé. L’heure est à
admettre les tares qui rongent notre société de l’intérieur. Le déni n’est plus
possible. La pensée «takfiriste» [*] avec ses pratiques criminelles est un
mal qui ronge la société tunisienne et ses facteurs ont plusieurs facettes.
Nous sommes et nous serons les premiers à en faire les frais. Cette idéologie a
ses «souteneurs» dans les plus hautes institutions de l’État à commencer
par le Parlement. Rached Khiari et Mohamed Affes en exemple. La glorification
décomplexée du terrorisme, son blanchiment, sa banalisation, le peuple, dont «l’islam
est en colère», la retrouve représentée en ces élus qui restent surtout et
avant tout impunis. Pourquoi s’étonner donc qu’une telle idéologie ait pris
racine.
Ce
qui interloque, cependant, c’est la dernière sortie du président de la
République Kaïs Saïed. Le chef de l’État, au lieu de calmer les ardeurs le jour
du vil assassinat de Nice, s’est mis à débiter un discours dangereux par son
ambiguïté. «La Oumma n’acceptera pas que quiconque vise le prophète».
Certains diront qu’il s’agit de son habituelle stratégie de contenter les
masses. À mon humble avis, le président croit profondément en chaque mot qu’il
a prononcé, en témoigne aussi le communiqué des Affaires étrangères condamnant
les caricatures. Indépendamment du faux pas diplomatique, Kais Saïed ouvre la
porte en connaissance de cause, ou pas, aux discours de haine, à la
perpétuation de tels crimes au nom de la défense de la religion et aux luttes
identitaires. Il jette un pavé dans la mare et semble ne pas saisir les
conséquences de ces quelques mots.
Si
l’on veut que notre société vive en marge de l’Histoire, continuons à porter
des œillères. Sinon, il n’est plus possible d’évoluer vers l’établissement
d’une démocratie fondée sur la coexistence, la liberté et la citoyenneté, sans
éradiquer cette pensée extrémiste : intellectuellement, culturellement et
pédagogiquement. Qui aura le bon sens de le faire parmi nos politiques ? Telle
est la question.
[*] NDRL : Le takfirisme est une sous-branche du salafisme. Cette famille religieuse issue du sunnisme (la principale branche de l’islam) prône une pratique rigoriste de la religion musulmane, proche de ses premiers fidèles (le terme salaf désigne, en arabe, les «ancêtres», en l’occurrence les premiers compagnons du Prophète).
8 commentaires:
Quel courage pour s'exprimer ainsi en Tunisie en attaquant le président Kaïs.
Sans concession.
Bravo à cette journaliste qui fait l'honneur de la profession.
Bravo à cette courageuse journaliste !
Son courage est double :
- dire ce qu'elle dit, dans une société qu'elle juge à juste titre gangrénée par l'islamisme et le complotisme.
- être publié dans un site franco-israélien, ce qui peut lui valoir des poursuites dans son pays.
Je donnerai en tout cas un maximum d'échos à son témoignage, en partageant sur Twitter.
Vive les femmes tunisiennes libres, comme elle.
Madame,
C'est tout à votre honneur - et avec Michaël Boutboul et Jean Corcos, je rends aussi hommage à votre courage - de vouloir faire endosser à la Tunisie la responsabilité de l'odieux attentat de Nice par un jeune Tunisien, qui a fait trois morts.
Sans vouloir minimiser le "travail de la chenille", acceptez que je vous dise que la France a aussi une grande part dans le malheur qui la frappe quotidiennement.
"Nous sommes en guerre", a récemment proclamé le président Macron, mais il ne s'agissait nullement d'une guerre contre l'islamisme politique, mais bien d'une guerre contre le Covid !
Dans son récent discours "contre le séparatisme", n'avait-il pas demandé aux Français de mieux comprendre "les civilisations qui de fait cohabitent sur notre sol compte tenu de ce qu'est aujourd'hui le peuple français" ?
Or la France, qui depuis longtemps a voulu oublier le terreau sur lequel s'est bâtie sa Nation - cette civilisation gréco-romaine et judéo-chrétienne - est, de ce fait, dans l'incapacité de comprendre la civilisation d'un Autre, quel qu'il soit.
Pourtant il lui suffirait de se souvenir des mots de Charles De Gaulle, ce grand Français : "On peut intégrer des individus, des familles, des petits groupes; et encore, dans une certaine mesure seulement; et ça prend des générations. On n'intègre pas des peuples, avec leur passé, leurs traditions, leurs souvenirs communs de batailles gagnées ou perdues, leurs héros."
Très cordialement.
Merci madame pour votre courage et votre clairvoyance.
Vous faites bien de rappeler le discours dangereux du président tunisien :
«La Oumma n’acceptera pas que quiconque vise le prophète».
Qu’a-t-il invoqué lors des attentats de 2015 en France et qui, entre autres, a tué des juifs dans un hyper- cacher? Étaient-ils offensants envers le prophète?
Qu’a-t-il invoqué lors des attentats du Bataclan et de la promenade de Nice un 14 juillet? De ce prêtre assassiné dans son église à Saint-Etienne- du -Rouvray, de cet industriel de l’Isère dont la tête a été tranchée par son employé.
La liste est trop longue pour la figurée ici.
Le prophète n’est qu’un vil prétexte dont personne n’est dupe.
« Toute société qui n'est pas éclairée par des philosophes est trompée par des charlatans. » Condorcet
Bien cordialement
je salue votre courage madame et je suis triste de voir la dérive obscurantiste de ce pays où je suis né. De Bourguiba à Kais quelle décadence!
Ella kalma: BRAVO !!!
Bravo Madame !!! Eh quel courage !!! En effet comme vous le dites si bien, le mal est à l'intérieur de chaque société arabophone et/ou islamique. Il me semble que ce mal est là depuis la nuit des temps... ainsi donc bien avant les occupations occidentales. La main mise sur l'Islam par les tenants des pouvoirs est la source de tous les maux, encore en cours dans ces pays, contrairement à beaucoup de pays occidentaux qui sont arrivés à séparer le temporel du religieux. Les potentats, les despotes, les seigneurs et féodaux, les dictateurs y compris les fascistes ont besoin de l'Islam, converti à leur version, afin de juguler et encadrer les populations.... Enfin je partage pour faire bénéficier mes amis FB de cette pertinente analyse.
Bravo à cette très courageuse journaliste tunisienne !
Quelle lucidité et quelle honnêteté intellectuelle !
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