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lundi 9 février 2015

LES PALESTINIENS ORPHELINS D’UN LEADER CRÉDIBLE ET LÉGITIME



LES PALESTINIENS ORPHELINS D’UN LEADER CRÉDIBLE ET LÉGITIME

Par Jacques BENILLOUCHE

copyright © Temps et Contretemps


           
          Les candidats aux élections législatives israéliennes du 17 mars 2015 n’abordent pas souvent le sujet des relations futures avec les Palestiniens mais ce sujet se posera le jour où ils arriveront au pouvoir. Les medias internationaux, qui commentent la campagne électorale israélienne, insistent sur l’importance du choix du prochain premier ministre parce qu’il conditionnera les relations avec les États-Unis et d’une certaine façon l’avenir même du pays. Si la Gauche et le Centre envisagent des discussions avec les Palestiniens, ils sont réticents à cautionner des négociations avec Mahmoud Abbas dans la mesure où il a perdu sa crédibilité de leader incontestable et où il persiste à occuper un poste dans l’illégalité.



Illégalité

Abdel Aziz Dweik

Mahmoud Abbas fêtera ses 80 ans le 26 mars et, fumeur invétéré, sa santé reste très fragile selon les informations puisées auprès des hôpitaux jordaniens. Il n’est certes pas éternel mais sa succession n’est pas préparée parce qu’il refuse d’abandonner les rênes du pouvoir et les avantages qui lui sont associés. Il gouverne en pleine illégalité puisqu’il ne respecte pas l’article 37 de la constitution qui a statué à son sujet : «Si le poste du président de l'Autorité nationale devient vacant, le Président du Conseil législatif palestinien doit assumer temporairement les pouvoirs et les fonctions de la présidence de l'Autorité nationale pour une période n’excédant pas soixante jours, au cours de laquelle des élections libres et directes pour élire un nouveau président doivent avoir lieu conformément à la loi électorale palestinienne». 
Siège du Conseil Palestinien à Ramallah

            Cette loi a été totalement bafouée. Les élections au Conseil législatif palestinien datent du 25 janvier 2006 alors que les précédentes s’étaient tenues en 1996. Trois clans avaient alors participé à ces élections, le Fatah, le Hamas et une «troisième voie à la majorité silencieuse palestinienne». Avec un taux de participation de 77,6%  des 1,35 million d'électeurs inscrits, les résultats officiels ont donné au Hamas la majorité absolue au Parlement palestinien avec 74 sièges contre 45 pour le Fatah et 13 sièges pour les divers partis. Ces résultats n’ont pas été du bon goût des Américains. En mars 2008, le journal américain Vanity Fair avait publié des documents qui prouvaient que les États-Unis ont tenté d'évincer le Hamas après sa victoire aux élections, en armant une force palestinienne menée par des partisans du Fatah et dirigée par Mohamed Dahlan.
Haniyeh, Abbas et Dahlan

            De nombreuses voix se sont élevées sur la légitimité de ce Conseil dont la présidence a été donnée à Abdel Aziz Dweik, militant du Hamas qui devrait être normalement à la place de Mahmoud Abbas, arrivé en fin de mandat.  On envisage mal la perspective qu’un tel islamiste puisse être à la tête de l’Autorité palestinienne alors qu’il a fait l’objet de plusieurs arrestations de la part des Israéliens qui ne le voient pas rechercher une solution pacifique du conflit israélo-palestinien.

Écarter les jeunes loups

            Mahmoud Abbas s’accroche à un pouvoir solitaire, sans la nomination d’un vice-président qui pourrait le remplacer le cas échéant. Il fait le vide autour de lui, surtout quand il s’agit d’éliminer les jeunes loups ambitieux. La gérontocratie est pérenne chez les Palestiniens. Des préoccupations internes aux Palestiniens avaient poussé le Fatah à signer un accord de réconciliation avec le Hamas pour mettre fin à leur brouille de sept ans.  
Accord Fatah-Hamas

          Tout sauf Dahlan avait imposé Mahmoud Abbas même si les pourparlers de paix avec Israël devaient trinquer. Le président de l’Autorité avait mal pris le défi que lui avait lancé Mohamed Dahlan, ancien chef des services de sécurité et ancien homme fort de Gaza, qui s’était allié avec l’Égypte, les Émirats arabes Unis et le Qatar. Le nouveau régime du Caire s’inquiétait en effet de trouver un remplaçant au vieux président palestinien dans le contexte des relations tendues avec le Hamas. Cette alliance, qui cherchait à réinsérer l’influence du Fatah à Gaza, a précipité la convergence entre le Fatah et le Hamas.
            Le Hamas s’est donc trouvé face à un dilemme. Il avait beaucoup à perdre d’un retour de l’ancien homme fort éjecté de Gaza  en 2007. Mais par ailleurs Dahlan était à même de réduire la pression de l’Égypte et d’améliorer les relations avec le Caire. Il pouvait surtout résoudre les problèmes économiques du Hamas grâce à l’argent en provenance des pays du Golfe. C’est ainsi que le Hamas avait facilité l’entrée à Gaza de proches partisans de Dahlan et le fonctionnement d’organisations de bienfaisance gérées par sa femme et financées par l'Union européenne. 
Jalila Dahlan

          Mahmoud Abbas avait contrecarré cette stratégie en signant rapidement l’accord avec le Hamas mettant ainsi un terme aux projets de Dahlan et imposant le versement des aides économiques entre ses mains. Il avait par ailleurs interdit, dans le camp palestinien d’Aïn al-Helweh au Liban, l'organisme de bienfaisance dirigé par la femme de Dahlan et avait commandité le meurtre, par un groupe pro-Hezbollah, du commandant d'une faction qui avait escorté Jalila Dahlan.

Relations avec les pays arabes

            La décision de réconciliation du président de l’Autorité a ruiné les relations avec les Émirats arabes unis et provoqué les mesures drastiques imposées par l’Égypte à sa frontière avec Gaza, à savoir la destruction des rares tunnels encore en fonctionnement et la création d’une zone de no man’s land par la destruction de milliers d’habitations civiles. La convergence entre Abbas et le Hamas, même temporaire et limitée, avait pour but d’interdire l’installation de Dahlan à Gaza. Ces gesticulations palestiniennes ont surtout prouvé que le processus de paix n’était pas la priorité au Moyen-Orient, et encore moins celle de l’Autorité palestinienne.
Destructions à Rafah par l'Egypte

            Mais Mahmoud Abbas, et c’est sa lacune, n’a pas de solution de rechange pour son remplacement. Il donne l’impression de favoriser l’adage : après moi le déluge. Les Occidentaux avaient un certain moment pensé à l’ancien premier-ministre Salam Fayyad, nommé en 2007, dont les compétences économiques avaient été remarquées puisqu’il avait été l’instigateur d’une croissance forte palestinienne. Il bénéficie d’une aura auprès des Américains et de la Banque Mondiale, ainsi que d’un jugement favorable de la population. Mais Abbas avait pris ombrage de sa popularité et avait tout fait pour l’éliminer en 2013.
Salem Fayyad et Abbas

Deux autres dirigeants sont sur les rangs pour la présidence. Marwan Barghouti purge une peine de prison à vie mais il dispose de bons contacts avec les Israéliens. Il a par deux fois refusé d’être élargi dans le cadre d’échanges de prisonniers car il ne voulait pas être considéré comme «une marchandise». Il voulait être libéré sur une décision unilatérale du gouvernement israélien, à la manière de Nelson Mandela.  
Marwan Barghouti et Arafat

Le deuxième candidat éventuel est le chef des renseignements palestiniens depuis 2009, Majid Faraj, qui est le préféré des Israéliens et des Américains parce qu’ils l’ont vu à l’œuvre lorsqu’il avait sauvé les négociations israélo-palestiniennes du Caire après avoir été désigné pour représenter «toutes les factions palestiniennes au Caire». Faraj a été un négociateur pragmatique, gagnant le respect des Israéliens et des Américains lors des réunions.
Majid Faraj à droite de Saeb Erekat

Né et élevé dans le camp de réfugiés de Dheisheh près de Bethléem, il a été membre du Fatah depuis l'enfance. Il a fréquenté le mouvement de jeunesse du parti pendant ses études à l'université, où il a fait ses armes en tant qu'organisateur à Al Qods Open University. Il a eu ses premières expériences politiques comme l'un des leaders locaux de la première  Intifada ce qui lui valut d’être plusieurs fois emprisonné.  Au début du processus d'Oslo de 1993, Faraj est entré dans les services palestiniens de sécurité préventive pour devenir le chef de la division de Bethléem au cours de la seconde  Intifada. En 2009, il a été désigné pour diriger la totalité des services de renseignements. Un palestinien comme Faraj, disposant de la confiance de Mahmoud Abbas, du respect des Américains et des Israéliens, dirigeant un organisme détenant des informations confidentielles sur tous les acteurs politiques en Cisjordanie, pourrait être un bon successeur. Mais il ne semble pas avoir le charisme d’un dirigeant politique capable de s’élever au sommet.
En fait les candidats possibles, hormis Dahlan, n’osent pas se prononcer de crainte d’être mis à l’écart. Ils préfèrent donc attendre l’incapacité, la mort ou la démission de Mahmoud Abbas. Le Fatah et le Hamas ont ainsi entraîné une paralysie totale de la gouvernance palestinienne. Pour Israël, rechercher un accord de paix avec les Palestiniens relève donc de l’illusion. Les Israéliens suggèrent que les pays arabes et les États-Unis  organisent plutôt la succession politique de Mahmoud Abbas pour que le processus de paix ait une chance d’être négocié et signé par une autorité incontestable. Les candidats aux élections législatives israéliennes l’ont compris puisqu’ils se refusent à aborder le sujet tant que Mahmoud Abbas est installé au pouvoir. Les Palestiniens sont orphelins d’un leader crédible et légitime.


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