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dimanche 17 mars 2019

Crise entre les Etats-Unis et la Turquie au sujet des S-400



CRISE ENTRE LES ÉTATS-UNIS ET LA TURQUIE AU SUJET DES S-400

Par Jacques BENILLOUCHE
Copyright ©  Temps et Contretemps

S-400

Les Américains ont menacé les Turcs s’ils persistaient dans leur intention d’acquérir le système russe de lancement de missiles de défense aérienne S-400. La crise est ouverte et peut mener à une confrontation politique et économique. Le déploiement des S-400 vient en opposition avec l’appartenance de la Turquie au camp occidental, à l'Otan en particulier. Le président Recep Tayyip Erdogan détient seul la décision finale.


Viktor Kladov

Moscou insiste sur le fait que la vente de son système de défense antimissiles S-400 à la Turquie constitue «un commerce équitable». Pour Viktor Kladov, directeur de la coopération internationale de la société Rostec : «C'est un système que le gouvernement turc veut, et nous voulons le vendre». Il semble que la Russie ait bien manœuvré car il s’agissait au départ d’une tactique de négociation d’Ankara dans le cadre de sa candidature au système américain Patriot. Comme les pourparlers entre la Turquie et les États-Unis se trouvaient bloqués, Moscou a modifié sa proposition pour la rendre attrayante sur les plans économique et politique afin de renforcer son partenariat avec Ankara et d’élargir la fracture américano-turque.
Serguey Chemezov


En décembre 2017, le PDG de Rostec, Sergey Chemezov, a fixé le prix de vente à 2,5 milliards de dollars avec une livraison prévue pour l’automne 2019. Chemezov a insisté pour préciser que le S-400 «n’est pas un système offensif mais défensif. Nous pouvons le vendre aux Américains s'ils veulent l'acheter». Les experts militaires russes estiment que le S-400 donnerait à la Turquie son premier système de missile anti-aérien à longue portée alors que pour le moment la Turquie n’utilise que les systèmes américains milieu de gamme MIM-14 et MIM-23 et le Rapier britannique à courte portée. Les termes du contrat S-400 impliquent une coopération technologique accrue et la Russie se dit prête à localiser en Turquie la production de certains éléments du système.

F-35

Washington a averti Ankara que l’achat du S-400 remettrait en cause la participation de la Turquie au programme d’avions de combat F-35. Erdogan reste ferme sur son projet et envisage de le compléter par l’achat du système plus avancé S-500 : «Il n'y a pas de retour en arrière, car un geste aussi immoral serait inconvenant. Si nous concluons un accord, nous le respecterons». Les États-Unis envisagent en plus de renoncer à vendre le système Patriot à la Turquie

Le général Curtis Scaparrotti, commandant suprême des forces alliées de l'OTAN et commandant des forces américaines en Europe, a déclaré à la Commission des forces armées du Sénat à Washington que la vente d'avions à réaction F-35 à la Turquie devrait être arrêtée avec l'accord S-400. En effet les S-400 ne sont pas interopérables avec les systèmes de l'OTAN et poseraient un problème pour la sécurité du F-35. Le vice-président Mike Pence a également lancé un avertissement sérieux que les États-Unis ne «resteraient pas les bras croisés pendant que les alliés de l'OTAN achetaient des armes à nos adversaires».
Les Turcs affirment que le S-400 est l’un des meilleurs systèmes de défense antimissile disponibles à ce jour, et que Washington ne peut pas empêcher Ankara de satisfaire à ses exigences en matière de sécurité. Ils soulignent que l'accord avec la Russie impliquait une production conjointe et un transfert de technologie, ce que Washington refuse à fournir. Mais les Russes sont en fait réticents à transférer leur savoir car ils craignent que l'OTAN obtienne l'accès à la technologie S-400 via la Turquie.
Mais en fait le transfert de technologie est une fable car d’abord le contrat ne le prévoit pas et qu’ensuite le système fonctionne comme une «boîte fermée». La Russie a toujours été prudente dans le domaine de la technologie de défense. Par ailleurs les experts pensent que le S-400 doit être évalué en tant que système de défense aérienne contre les aéronefs et non en tant que système de défense antimissile. Il est peu probable que Washington autorise le déploiement du F-35 en Turquie alors que les capacités avancées des S-400 comprennent la surveillance et la collecte d'informations sur ce jet à la pointe de la technologie.
D’autres analystes militaires pensent qu’Erdogan utilise la question des S-400 comme argument pour gagner les élections locales qui ont lieu dans une semaine. Les experts turcs pensent que Moscou considérait la Turquie comme un partenaire de complaisance plutôt que comme un partenaire stratégique potentiel. La Russie a un objectif à long terme consistant à maintenir la Turquie dans l'alliance occidentale pour en fait détruire cette alliance de l’intérieur.
Il est difficile pour la Turquie de renoncer au projet du F-35 car il rapporterait aux entreprises turques près de 12 milliards de dollars au moment où l’économie vacille. On ne voit pas par quels avions les Turcs pourraient les remplacer pour assurer leur sécurité.
Erdogan devra trancher de quel dépendance il souhaite, soit celle à l’égard des États-Unis soit celle à l’égard de la Russie alors qu’il est déjà en relation conflictuelle au sujet du conflit syrien.

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