Une conférence
de presse du nouveau président de la République d’Irak, s’est tenue le 25
février dans la salle de conférence de l’IFRI (Institut Français des Relations
Internationales). Élu en septembre 2018, Barham Saleh avait déjà fait une
tournée dans plusieurs pays du Moyen-Orient. Mais sa visite à Paris, où il a
naturellement eu un entretien avec Emmanuel Macron, était importante comme il
devait nous le dire, vu le soutien militaire de la France à la lutte contre Daesh.
Justement,
son exposé portait sur : «Le nouvel Irak après Daesh». Peut-on parler
d’une victoire définitive ? Pour rappel, l’État islamique ou Daesh, fondé
en 2014, avait très vite contrôlé de vastes zones à cheval entre la Syrie et
l’Irak, où il avait même conquis la ville de Mossoul – capitale régionale de
deux millions d’habitants -, mais aussi la province de Kirkouk dans le
Kurdistan irakien. La reconquête s’est faite difficilement à partir de l’année
suivante jusqu’à fin 2017. Mais cependant, l’État islamique conserve encore le
contrôle de très petites zones désertiques. Barham Saleh a confirmé la victoire
contre Daesh, tout en se montrant prudent : le terrorisme a-t-il dit,
n’est jamais vaincu à 100%, par ailleurs l’écrasement en Syrie n’est pas encore
total.
Qui
faut-il remercier pour cette victoire ? Le président irakien, bien que
lui-même kurde, estime que cela résultait de l’effort conjoint de l’armée
nationale, des milices associées et aussi des forces du Gouvernement Régional
du Kurdistan (GRK) autonome. C’est un tout autre discours que les auditeurs de
Judaïques FM avaient pu entendre en juin dernier, de la part du représentant à
Paris du GRK, Ali Dolamari [1]. A l’entendre donc ce sont les peshmergas kurdes
qui ont supporté le plus gros de la bataille contre le Daesh, d’abord en tenant
le choc, puis dans la reconquête, très coûteuse en vies humaines et en
destructions, de la ville de Mossoul.
Barham
Saleh a précisé que les relations entre Bagdad et Erbil s’étaient
améliorées : pour rappel, suite au referendum d’indépendance mené au
Kurdistan irakien en septembre 2017, le gouvernement central de l’Irak – qui
est un État fédéral – allait en représailles établir un blocus du GRK, qui dura
quelques mois, et surtout envoyer l’armée (en fait essentiellement des milices
chiites) reconquérir la ville de Kirkouk, et la moitié du territoire de la zone
autonome. Le président irakien n’est donc pas entré dans les détails, mais son
élection a été présentée comme le moyen de renouer les fils du dialogue entre
la zone autonome et le pouvoir central [2]
Mais
revenons à l’origine kurde du président. Il est né en 1960 à Souleymaniye, dans
la zone dominée par l’Union patriotique du Kurdistan (UPK), le parti concurrent
de celui au pouvoir à Erbil, le Parti Démocratique du Kurdistan (PDK), celui
dirigé par la famille Barzani et qui depuis des décennies a plutôt rêvé d’une
indépendance totale. L’UPK, parti auquel a adhéré très jeune Barham Saleh, a
toujours eu des positions à la fois plus proches de l’Iran – les Occidentaux
ont joué la carte du PDK – et surtout en faveur d’un État fédéral : le
premier président de la République irakienne était le leader de l’UPK, Jalal
Talabani, puis le second un autre kurde du même parti, Fouad Massoum.
Le
nouveau président de la République a lui-même, si on consulte sa biographie [2],
navigué entre des postes de gouvernement à Erbil – où il fut premier ministre
pendant deux ans – et à Bagdad, où il occupa divers postes. Notons aussi le jeu
d’équilibre communautaire défini tacitement dans l’Irak fédéral, les deux
communautés les plus nombreuses – arabes chiites et sunnites – laissant le
poste plutôt honorifique de président de la République à la communauté kurde.
Adil Abdul-Mahdi à gauche |
Barham
Saleh a beaucoup évoqué l’économie. L’Irak voit sa population augmenter d’un
million d’âmes par an, 70% ont moins de 30 ans. Il faut reconstruire un pays
qui a été ravagé par divers conflits, créer des emplois, et ce n’est pas un
hasard si le premier ministre actuel, Adil Abdul-Mahdi, est un économiste d’ailleurs
formé en France. Pour lui aussi, la population est épuisée par 40 ans de
conflits : guerres imposées par Saddam Hussein qui a envahi les pays
voisins, guerres menées par les coalitions contre lui, guerre intérieure entre
Kurdes et Arabes, années de terrorisme après l’invasion américaine de 2003, et
enfin guerre contre le Daesh. D’après lui aussi, ces guerres ont isolé le pays
qui aspire maintenant à avoir des relations apaisées avec tous ses voisins :
«Nous ne voulons pas être mêlés à d’autres conflits» a-t-il dit, dans
une allusion transparente au bras de fer entre l’Iran et les Monarchies du
Golfe. Par contraste, il a évoqué le très grand succès de la dernière foire de
Bagdad, qui a reçu deux millions de visiteurs, ainsi que les nombreux projets
d’infrastructures – oléoducs, autoroutes, aéroports – devant relier l’Irak à
ses voisins. Pour lui aussi, quand on voit comment l’Europe a su se relever des
ruines de la Seconde Guerre Mondiale, il n’y a aucune raison pour que les
Irakiens n’y parviennent pas.
Bien
entendu, le sujet des relations avec l’Arabie et l’Iran devait être central
dans les questions qui ont suivi. «Comment établissez-vous la balance entre
les deux ?» devait demander en premier Thierry de Montbrial, président
de l’IFRI. La réponse fut sans surprise : «nous avons besoin de bonnes
relations avec tous nos voisins pour reconstruire le pays». Curieusement,
c’est à peu près le même discours qu’avait tenu le représentant du Kurdistan à
Paris [1], évoquant même le rôle positif de la Turquie au moment du blocus
imposé par Bagdad, ce qui avait évité l’asphyxie de la région. «Nous ne
pouvons pas négliger l’Iran, avec qui nous partageons une longue frontière
commune» devait simplement répondre Barham Saleh au journaliste Georges
Malbruno, qui souhaitait des précisions. Il ne répondit pas, non plus, à une
question dans l’auditoire à propos des milices chiites armées par Téhéran. Pour
l’Irak officiel, donc, l’alignement sur «l’axe Iran-Syrie-Liban», souvent
évoqué dans les médias internationaux, n’est pas une réalité : l’avenir
nous dira donc si cela se confirme, mais on a vu aussi des pays voisins
d’Israël – Égypte, Jordanie – eux aussi se fatiguer des conflits. On est donc
en droit d’espérer que les Irakiens ne se laisseront pas entraîner dans un
conflit téléguidé par Téhéran.
Le
président irakien devait aussi, dans un autre échange, donner une vue assez
originale sur le fameux conflit sunnites-chiites : pour lui, ce n’est pas
le clivage essentiel au Moyen-Orient ; pour lui, il y a toujours eu dans
le voisinage trois grands centres de pouvoir, l’Arabie autour des Lieux saints
de l’islam, l’Anatolie devenue la République Turque, et la Perse qui a toujours
été là : l’Irak est entre les trois, État tampon par la géographie et qui
doit rester neutre. Il a ainsi évoqué la folie de Saddam Hussein, qui se
présentait comme le rempart «arabe» contre l’ennemi oriental.
D’Israël, bien sûr, il ne fut pas question du
tout ; Bagdad refusant toute normalisation alors que des relations
informelles existent avec Erbil. Note d’espoir, pourtant, lorsque Barham Saleh
évoqua Ur, berceau d’Abraham – et donc, a-t-il dit, de toutes les fois
monothéistes -, et qui pourrait voir une rencontre au sommet des représentants
de toutes les religions.
[1] https://www.youtube.com/watch?v=jcqQ37Ty2MY
[2]
https://www.lexpress.fr/actualites/1/monde/barham-saleh-un-president-pour-recoller-les-morceaux-entre-bagdad-et-les-kurdes_2037989.html
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