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mardi 23 décembre 2014

TUNISIE : BOURGUIBA EST DE RETOUR



TUNISIE : BOURGUIBA EST DE RETOUR

Par Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps 

       
Caïd Essebsi et Bourguiba

          Au lendemain des élections législatives et de la présidentielle en Tunisie, on serait tentés de dire : tout cela pour ça ! Avec le retour non masqué du Bourguibisme, la question se pose réellement de savoir si la Tunisie aurait pu faire l’économie d’une révolution. Les Occidentaux n’ont rien compris à la révolution tunisienne parce qu’ils ne s’expliquent pas la volatilité du peuple tunisien qui brûle vite ce qu’il a adoré hier.



Lent processus

En fait les Tunisiens ont fait preuve de maturité lorsqu’ils ont senti qu’ils étaient bernés. Le revirement n’a pas été brutal mais il s’est fait selon un lent processus de discrédit du pouvoir et une analyse pertinente de la part de la population. Effectivement, le succès du parti Nidaa Tounes aux législatives  et l’élection de Beji Caïd Essebsi à la présidence posent ouvertement la question de l’échec de la révolution des jeunes tunisiens. Il ne fait aucun doute que les événements écoulés entre 2011 et 2014, après le renvoi le 14 janvier 2011 du président Zine El Abidine Ben Ali, ont fait avorter une révolution qui portait en elle beaucoup d’espoirs et qui avait été à l’origine des printemps arabes.



Les Tunisiens ont eu un comportement politique digne malgré la déception du dévoiement de leur révolution. Après quelques semaines de flottement, le pays a été mené dans le calme vers des élections démocratiques le 23 octobre 2011. Suffisamment démocratiques pour que la victoire des islamistes d’Ennahda, avec le concours du CPR de Moncef Marzouki et d’Ettakatol de Mustapha Ben Jaafar, soit entérinée dans le calme. Le parti Nidaa Tounes créé par Beji Caïd Essebsi avait reconnu sa défaite. Un partage du pouvoir était alors enclenché entre les islamistes et les deux partis républicains et laïcs. Ennahda a pris la responsabilité du gouvernement, Ettakatol a dirigé l’Assemblée et le CPR (Congrès pour la République) a placé un de ses membres à la présidence de la République.
Cette troïka islamo-laïque avait le rôle limité de rédiger une nouvelle constitution dans le délai d’un an mais les affaires ont traîné et il a fallu attendre le 27 janvier 2014 pour qu’une constitution soit votée. Durant cette période transitoire, le flou a dominé la stratégie politique tunisienne avec une volonté de faire les yeux doux aux salafistes radicaux tout en sanctionnant les tenants d’une société laïque et républicaine.

Politique de force


Attaque de l'ambassade américaine à Tunis

L’exemple a été donné avec l’usage de la force et de la violence contre des manifestants laïcs, le 9 avril 2012 et à Siliana en décembre 2012. Alors que les blessés étaient  nombreux, le pouvoir faisait preuve d’une grande indulgence vis-à-vis des salafistes qui installèrent un émirat islamiste à Sejnane. Les terroristes se montrèrent audacieux en attaquant l’armée dans la montagne Chaambi. Cette impunité contre les salafistes atteindra son paroxysme avec l’attaque de l’ambassade américaine à Tunis le 14 septembre 2012. Des dizaines de salafistes envahirent la chancellerie, brûlèrent des voitures et  remplacèrent le drapeau américain par la bannière des salafistes. Le ministre de l’Intérieur de l’époque, l’islamiste Ali Laârayedh, se compromit avec les insurgés en imposant de légères condamnations avec sursis aux coupables et en laissant leur chef Abou Iyad échapper aux forces de l’ordre.
Lotfi Nagdh

Cette permissivité à l’égard des islamistes conduisit au lynchage à mort le 18 octobre 2012 d’un militant de Nidaa Tounes, Lotfi Nagdh. Le sang coula encore le 6 février 2013 et le 25 juillet 2013 avec l’assassinat des leaders politiques Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi. Enfin, dans une démarche sans limite et sanguinaire, les terroristes islamistes s’attaquèrent aux soldats en allant jusqu’à en égorger quelques-uns.
Belaïd et Brahmi

La population ne pouvait pas accepter ces excès parce que les Tunisiens n’avaient pas la culture de la violence. Ces événements poussèrent la société civile à exprimer son ras le bol au moyen de nombreuses manifestations pacifiques. La police commit alors l’erreur, sur les ordres du pouvoir, de réprimer massivement les manifestants, accusés d’être partisans de l’ancien régime, qui réussirent cependant à faire tomber le gouvernement. Cela incita les dirigeants à s’atteler avec sérieux à la rédaction de la constitution tandis que la situation interne empirait.

Échec de la troïka



L’échec sécuritaire du gouvernement se doubla d’un échec économique avec une inflation galopante, une croissance en berne et un tourisme en déclin. Le chômage a atteint des sommets tandis que la corruption s’est accentuée. Les agences de notation ont dégradé à plusieurs reprises l’économie tunisienne. Les défauts de l’ancien régime ont contaminé les nouveaux dirigeants qui ont alors usé de clientélisme et de népotisme. Les ministres et personnalités de la troïka ont été épinglés mais sont restés impunis. Cependant les Tunisiens ont eu la chance de voir les medias résister aux coups de butoir des nouveaux dirigeants malgré les nombreuses tentatives d’intimidation par le biais de procès montés de toute pièce. La population n’a pas craint d’organiser des grèves générales.
Troïka tunisienne

La contestation pacifique était en marche. La troïka qui avait montré son incompétence dans tous les domaines, a donc été sanctionnée au bout de trois ans d’aventures stériles. Le 26 janvier 2012, Beji Caïd Essebsi avait annoncé un projet fédérateur pour contrer l’hégémonie naissante de la troïka qui, face à une opposition faible, cherchait à imposer son bon vouloir sur tout. Six mois plus tard, le projet fédérateur a vu le jour et s’appelle Nidaa Tounes. Il regroupe en son sein d’anciens ministres, des figures de la gauche, des figures syndicalistes, des militants de Droits de l’Homme et d’anciens membres minoritaires de l’ancien régime. La présence de l’ancien régime était symbolique pour marquer le rassemblement et parce que la guerre civile guettait les Tunisiens.
Militants de Nidda Tounes

Seul Nidaa Tounes réussit à dépasser ses guerres intestines et ses luttes d’ego. Il s’est naturellement imposé dans le paysage politique. Aux élections du 26 octobre la troïka n’obtint que 1,1 million de voix sur les 3,5 millions de votants et sur 5,5 millions d’inscrits. Les islamistes s’en tirèrent mieux, mais ne pèsent plus que 900.000 voix contre 1,5 million aux élections précédentes. Nidaa est le premier parti et largement victorieux.
Mais les Occidentaux ont été bernés en estimant qu’il fallait absolument empêcher le retour des bourguibistes en mettant en avant le président transitoire Moncef Marzouki, allié des islamistes. Ils continuent à le penser encore. En dépit des réalités tunisiennes, en dépit des chiffres des sondages et des élections, les observateurs internationaux persistent à voir en Moncef Marzouki, président transitoire qui a gouverné en bonne entente avec les islamistes, la personnalité qui pouvait s’opposer à l’ancien régime.
Marzouki


          Or il n’y a aucune raison de penser qu’il y a un retour de l’ancien régime car Caïd Essebsi ne le symbolise pas. À la rigueur peut-on parler du retour aux idées fondatrices de la Tunisie par opposition aux idées islamistes. Les partisans de l’ancien régime ont été défaits aux élections et il est improbable que les nouveaux élus prônent un retour de la dictature et de la répression. Ces trois dernières années ont prouvé que la société civile, les femmes, les medias et les réseaux sociaux, seront le rempart contre toute dérive dictatoriale des nouveaux dirigeants. Le véritable succès de la révolution tunisienne incombera aux Tunisiens eux-mêmes qui ont prouvé leur maturité politique aux élections législatives et présidentielle.



Ils ont élu au suffrage universel, le premier président de leur deuxième République, Beji Caïd Essebsi, 88 ans, avec un score très tunisien de 55,68%. Avocat, il a occupé plusieurs postes de ministre et d’ambassadeur sous la présidence d’Habib Bourguiba. Après le 7 novembre 1987 et l’arrivée de Zine El Abidine Ben Ali au pouvoir, il a occupé le poste de président de l’Assemblée entre mars 1990 et octobre 1991, avant de quitter le paysage politique pour 20 ans.  On ne peut donc pas dire qu’il était mouillé dans le régime Ben Ali. En revanche, il a réussi la mission de stabiliser le pays et de le conduire à des élections démocratiques. Le bourguibisme reprend des couleurs en Tunisie. Le nouveau président devrait suivre l'enseignement de Bourguiba qui prônait des relations normales avec Israël mais qui n'a pas été au bout de sa mission.

3 commentaires:

Marco KOSKAS a dit…

Oui on revient aux fondamentaux de ce pays si original entre tous. Bourguibisme plus démocratie, tel doit être le nouveau modèle du monde arabe

andre a dit…

Ennahda a voulu s'effacer pour que Beji Caïd Essebssi se charge de faire repartir l'économie . Les islamistes savent qu'ils en sont incapables mais ils vont surveiller de près ceux qu'ils ont laissé arriver au pouvoir .Au mieux, ce sera un partage du pouvoir,.

Lucien WARS a dit…

La tunisie a des frontieres dangereuse cote daesch elle devra faire tres attention je lui souhaite de reussir son etat laic. Lucwars