POUR QUI ROULE LE GRAND BAZAR
IRANIEN EN COLÈRE ?
Par Jacques BENILLOUCHE
Copyright © Temps et Contretemps
Le Grand Bazar de
Téhéran est le poumon économique de l’Iran et le thermomètre de la situation
politique du pays. Il se compose de plus de 40 passages reliés entre eux sur
une distance totale de 10,6 kilomètres. Les passages sont divisés en 20
segments, chacun spécialisé dans un certain commerce, des magasins
d'alimentation, des ateliers d'orfèvrerie et des salles d'exposition de tapis
pour une population de 15 millions d'habitants. Il n’est pas seulement un
immense centre commercial mais le cœur d’un mode de vie et l’expression
politique et religieuse de la Capitale.
Mosquée Grand bazar |
Il abrite six mosquées, 30 hôtels, une vingtaine de
banques, six bibliothèques, neuf séminaires religieux, 13 écoles primaires et
secondaires, deux théâtres, et une «Maison de la Force» (zurkhaneh)
où certains athlètes pratiquent la lutte traditionnelle et la musculation.
Les boutiques de l’ancien Grand bazar de Téhéran ont
fermé le 25 juin 2018 ce qui représente un évènement exceptionnel, voire
dramatique. Il a été imité par les autres quartiers d'affaires de la capitale à
l’instar de Maqsud-Shah, Qaysarieh, Khayyâm, Sayeed Vali et Pachenar, mais
aussi par les bazars de plusieurs autres villes du pays, notamment Ispahan, Machhad,
Bandar Abbas, Kerman et Tabriz. Le Grand Bazar ne ferme que rarement, voire
jamais. La dernière fois fut pendant les journées historiques de 1978-79, à
l’occasion du soulèvement contre le Shah.
Bazar fermé |
Il joue un grand rôle dans le financement du clergé
chiite. En effet, les marchands du Bazar récoltent les dons sous forme de «khoms» (un cinquième des revenus), ou «sahm-imam» (la part de l'imam).
Ces sommes indispensables, reversées à toutes les institutions chiites,
permettent surtout de consolider le statut politique du clergé chiite. Il
finance aussi de nombreuses associations dans les 31 provinces iraniennes dans
le cadre de la promotion de la cohésion sociale. Plus de 500 organisations
caritatives, dépendant de son soutien, maintiennent des réseaux partout en Iran.
Le Grand Bazar offre des emplois directs ou indirects à plus de 600.000
personnes, d’où son importance.
Les structures du Grand
Bazar ont été construites il y a 200 ans sous les Qâdjârs mais il avait adopté
un profil critique contre Reza Shah le Grand, fondateur de la dynastie des
Pahlavi, en raison de sa volonté de le moderniser et d’implanter des sociétés
commerciales qui, à terme, réduisaient l’influence du clergé. A partir de 1978,
une hostilité ouverte s’était installée envers le régime Pahlavi. Les
experts historiens sont unanimes pour affirmer que, sans un soutien financier
important du Grand Bazar, l'ayatollah Ruhallah Khomeiny et ses alliés
communistes, n'auraient pas pu s’installer au pouvoir aussi facilement.
Reza Shah le Grand |
Avec les grèves
actuelles, le Grand Bazar a montré une hostilité ouverte pour le régime qui a
perdu l'une de ses principales bases de soutien. La situation est paradoxale
car les commerçants du Grand Bazar, traditionnellement conservateurs et
soutiens historiques du système politique iranien, n'hésitent pas à user de
leur influence pour faire reculer des mesures qui ne servent pas leurs
intérêts. Mais ils ont effectivement de quoi être de mauvaise
humeur : la chute vertigineuse
du rial et le durcissement des sanctions économiques.
Les marchands protestent
ainsi contre la fluctuation des devises étrangères, le blocage des marchandises
à la douane, les difficultés du dédouanement et même leur impossibilité à
vendre leurs biens. En six mois, le rial a perdu près de la moitié de sa
valeur et la seule mesure gouvernementale fut l’interdiction d’importer plus de
1.300 produits. Le gouvernement se justifie en expliquant qu’il faut résister aux
sanctions américaines en conservant les réserves de change et en devenant
auto-suffisant sur certains produits. La solution a été peu efficace.
Mais certains pensent
que les manifestations de ces jours s’expliquent par une lutte pour le pouvoir
au sein de l'establishment iranien. La faction la plus radicale, sous l’égide
du Guide suprême, l'ayatollah Ali Khamenei, semble avoir suscité la protestation
pour s’attaquer à l'administration moribonde du président Hassan Rohani. Plusieurs
faits attestent de cette théorie.
Les membres radicaux du
Majles islamique, représentés par Ahmad Amir-Abadi, Fatemeh Zolqadr et
l'ayatollah Mujtaba Zolnur, envisagent ouvertement de destituer Rouhani ou de
le forcer à démissionner. En fait, 71 membres du Majles radical ont signé
une motion donnant un temps très limité à Rohani pour proposer une nouvelle
politique s’il ne veut pas être destitué. Ils estiment qu’il a échoué puisque
l’accord nucléaire signé avec le président Barack Obama a été rejeté par Donald
Trump.
général Yahya Rahim Safavi |
Hassan Rohani semble aussi
réellement en difficulté auprès de l’armée. Certains hauts officiers le
lâchent. Le général Yahya Rahim Safavi, ancien commandant du Corps des gardiens
de la révolution islamique (GRI), et le général Ghayb-Parvar, ancien commandant
de la Baseej (mobilisation), ont émis de sérieuses critiques à son égard. Des membres radicaux du clergé, à l’instar des ayatollahs
Nuri Hamadani et Makarem Shirazi, ont manifesté ouvertement leur soutien au
Grand bazar ce qui correspond à une véritable mise en garde pour Rohani. Ils
savent que le Bazar ne fait que refléter les préoccupations de la population
iranienne face aux difficultés économiques et à la répression
socio-politique.
La politique de
nuisance de la frange radicale est vérifiée par les faits. D’ordinaire les
manifestations de ce genre sont attribuées au «complot sioniste
-CIA» mais cette fois-ci on accuse les «fauteurs de troubles et
aux saboteurs économiques», sans les imputer aux opposants ou aux exilés.
Il est certain que le Grand bazar dispose de gros moyens pour mobiliser la
population afin de montrer sa colère. Pour l’instant il manifeste contre la
chute de la monnaie iranienne et la crise économique.
Le gouvernement semble
atone. La chute du rial face au dollar pousse de nombreux commerçants à cesser
toute activité en attendant de clarifier la situation. Les rayons des magasins se
vident. Les prix augmentent de manière vertigineuse. Personne n'achète plus
rien. Les magasins ferment les uns après les autres. La population n’a plus
d’argent. Le ressort s'est cassé. Combien de temps pourra encore durer Rohani ?
2 commentaires:
Cher monsieur Benillouche,
Ne feignez pas d'ignorer que dans ces jeux de guerre, qu'on le veuille ou non, on roule toujours pour celui qui tient le manche.
Et, pour le moment, je crois bien que dans la région, celui qui tient le manche, c'est Trump.
Très cordialement.
Vous semblez ne pas avoir compris que nous sommes en face d’une guerre théologique Ce qui tient le manche c’est le désir du clergé iranien shiite de dominer le monde et d’avoir raison devant l’islam sunnite La guerre qui ruine et détruit le Moyen-Orient est interne aux 2 Islam de vouloir svoir raison devant Dieu et les hommes.
Enregistrer un commentaire