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mardi 3 juillet 2018

Pour qui roule le Grand Bazar iranien en colère


POUR QUI ROULE LE GRAND BAZAR IRANIEN EN COLÈRE ?
Par Jacques BENILLOUCHE
Copyright ©  Temps et Contretemps
            

             Le Grand Bazar de Téhéran est le poumon économique de l’Iran et le thermomètre de la situation politique du pays. Il se compose de plus de 40 passages reliés entre eux sur une distance totale de 10,6 kilomètres. Les passages sont divisés en 20 segments, chacun spécialisé dans un certain commerce, des magasins d'alimentation, des ateliers d'orfèvrerie et des salles d'exposition de tapis pour une population de 15 millions d'habitants. Il n’est pas seulement un immense centre commercial mais le cœur d’un mode de vie et l’expression politique et religieuse de la Capitale.



Mosquée Grand bazar

Il abrite six mosquées, 30 hôtels, une vingtaine de banques, six bibliothèques, neuf séminaires religieux, 13 écoles primaires et secondaires, deux théâtres, et une «Maison de la Force» (zurkhaneh) où certains athlètes pratiquent la lutte traditionnelle et la musculation.
Les boutiques de l’ancien Grand bazar de Téhéran ont fermé le 25 juin 2018 ce qui représente un évènement exceptionnel, voire dramatique. Il a été imité par les autres quartiers d'affaires de la capitale à l’instar de Maqsud-Shah, Qaysarieh, Khayyâm, Sayeed Vali et Pachenar, mais aussi par les bazars de plusieurs autres villes du pays, notamment Ispahan, Machhad, Bandar Abbas, Kerman et Tabriz. Le Grand Bazar ne ferme que rarement, voire jamais. La dernière fois fut pendant les journées historiques de 1978-79, à l’occasion du soulèvement contre le Shah.
Bazar fermé

Il joue un grand rôle dans le financement du clergé chiite. En effet, les marchands du Bazar récoltent les dons sous forme de «khoms» (un cinquième des revenus), ou «sahm-imam» (la part de l'imam). Ces sommes indispensables, reversées à toutes les institutions chiites, permettent surtout de consolider le statut politique du clergé chiite. Il finance aussi de nombreuses associations dans les 31 provinces iraniennes dans le cadre de la promotion de la cohésion sociale. Plus de 500 organisations caritatives, dépendant de son soutien, maintiennent des réseaux partout en Iran. Le Grand Bazar offre des emplois directs ou indirects à plus de 600.000 personnes, d’où son importance.
Les structures du Grand Bazar ont été construites il y a 200 ans sous les Qâdjârs mais il avait adopté un profil critique contre Reza Shah le Grand, fondateur de la dynastie des Pahlavi, en raison de sa volonté de le moderniser et d’implanter des sociétés commerciales qui, à terme, réduisaient l’influence du clergé. A partir de 1978, une hostilité ouverte s’était installée envers le régime Pahlavi. Les experts historiens sont unanimes pour affirmer que, sans un soutien financier important du Grand Bazar, l'ayatollah Ruhallah Khomeiny et ses alliés communistes, n'auraient pas pu s’installer au pouvoir aussi facilement.
Reza Shah le Grand

Avec les grèves actuelles, le Grand Bazar a montré une hostilité ouverte pour le régime qui a perdu l'une de ses principales bases de soutien. La situation est paradoxale car les commerçants du Grand Bazar, traditionnellement conservateurs et soutiens historiques du système politique iranien, n'hésitent pas à user de leur influence pour faire reculer des mesures qui ne servent pas leurs intérêts. Mais ils ont effectivement de quoi être de mauvaise humeur : la chute vertigineuse du rial et le durcissement des sanctions économiques. 

Les marchands protestent ainsi contre la fluctuation des devises étrangères, le blocage des marchandises à la douane, les difficultés du dédouanement et même leur impossibilité à vendre leurs biens. En six mois, le rial a perdu près de la moitié de sa valeur et la seule mesure gouvernementale fut l’interdiction d’importer plus de 1.300 produits. Le gouvernement se justifie en expliquant qu’il faut résister aux sanctions américaines en conservant les réserves de change et en devenant auto-suffisant sur certains produits. La solution a été peu efficace.

Mais certains pensent que les manifestations de ces jours s’expliquent par une lutte pour le pouvoir au sein de l'establishment iranien. La faction la plus radicale, sous l’égide du Guide suprême, l'ayatollah Ali Khamenei, semble avoir suscité la protestation pour s’attaquer à l'administration moribonde du président Hassan Rohani. Plusieurs faits attestent de cette théorie.
Les membres radicaux du Majles islamique, représentés par Ahmad Amir-Abadi, Fatemeh Zolqadr et l'ayatollah Mujtaba Zolnur, envisagent ouvertement de destituer Rouhani ou de le forcer à démissionner. En fait, 71 membres du Majles radical ont signé une motion donnant un temps très limité à Rohani pour proposer une nouvelle politique s’il ne veut pas être destitué. Ils estiment qu’il a échoué puisque l’accord nucléaire signé avec le président Barack Obama a été rejeté par Donald Trump.

général Yahya Rahim Safavi

Hassan Rohani semble aussi réellement en difficulté auprès de l’armée. Certains hauts officiers le lâchent. Le général Yahya Rahim Safavi, ancien commandant du Corps des gardiens de la révolution islamique (GRI), et le général Ghayb-Parvar, ancien commandant de la Baseej (mobilisation), ont émis de sérieuses critiques à son égard. Des membres radicaux du clergé, à l’instar des ayatollahs Nuri Hamadani et Makarem Shirazi, ont manifesté ouvertement leur soutien au Grand bazar ce qui correspond à une véritable mise en garde pour Rohani. Ils savent que le Bazar ne fait que refléter les préoccupations de la population iranienne face aux difficultés économiques et à la répression socio-politique. 

La politique de nuisance de la frange radicale est vérifiée par les faits. D’ordinaire les manifestations de ce genre sont attribuées au «complot sioniste -CIA» mais cette fois-ci on accuse les «fauteurs de troubles et aux saboteurs économiques», sans les imputer aux opposants ou aux exilés. Il est certain que le Grand bazar dispose de gros moyens pour mobiliser la population afin de montrer sa colère. Pour l’instant il manifeste contre la chute de la monnaie iranienne et la crise économique. 
Le gouvernement semble atone. La chute du rial face au dollar pousse de nombreux commerçants à cesser toute activité en attendant de clarifier la situation. Les rayons des magasins se vident. Les prix augmentent de manière vertigineuse. Personne n'achète plus rien. Les magasins ferment les uns après les autres. La population n’a plus d’argent. Le ressort s'est cassé. Combien de temps pourra encore durer Rohani ?


2 commentaires:

Marianne ARNAUD a dit…

Cher monsieur Benillouche,

Ne feignez pas d'ignorer que dans ces jeux de guerre, qu'on le veuille ou non, on roule toujours pour celui qui tient le manche.
Et, pour le moment, je crois bien que dans la région, celui qui tient le manche, c'est Trump.

Très cordialement.

Unknown a dit…

Vous semblez ne pas avoir compris que nous sommes en face d’une guerre théologique Ce qui tient le manche c’est le désir du clergé iranien shiite de dominer le monde et d’avoir raison devant l’islam sunnite La guerre qui ruine et détruit le Moyen-Orient est interne aux 2 Islam de vouloir svoir raison devant Dieu et les hommes.