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mardi 31 juillet 2018

Les bisbilles entre chefs sécuritaires et ministres plombent la dissuasion



LES BISBILLES ENTRE CHEFS SÉCURITAIRES ET MINISTRES PLOMBENT LA DISSUASION

Par Jacques BENILLOUCHE
Copyright ©  Temps et Contretemps
       
Lieberman, Eizenkot, Bennett

          De mémoire de journaliste, on n’a jamais autant entendu parler en public les chefs politiques, militaires et sécuritaires. Ils nous avaient habitués à une plus grande discrétion qui est d’ailleurs souvent imposée aux media quand il s’agit d’aborder certaines questions relatives à Tsahal. Cela est d’autant plus grave que leurs déclarations sont contradictoires et dénotent une différence d’appréciation de la situation aux frontières d’Israël, étalée au grand jour.


Gadi Eizenkot et Yossi Cohen

            Dans deux déclarations publiques le chef du Mossad et le chef d’État-Major de Tsahal se contredisent. Cela fait forcément désordre surtout que, dans un récent passé, le nom et le visage du chef de l’Agence étaient censurés. Totalement discret il réservait ses propos au seul Cabinet de sécurité limité à quelques ministres choisis. Or, évoquant les dernières manifestations en Iran, le chef du Mossad, Yossi Cohen, a affirmé publiquement que les services secrets israéliens étaient attentifs à la situation du pays et a laissé entendre que le Mossad n’y était pas inactif : «Nous avons des yeux, des oreilles et bien davantage en Iran».
Il a révélé que l’Iran était toujours déterminé à développer une bombe nucléaire. Il a qualifié l'accord nucléaire «d’erreur terrible», estimant que cela permettait à l'Iran de conserver les éléments clés de son programme nucléaire : «L'Iran sera en mesure d'enrichir suffisamment d'uranium pour un arsenal de bombes nucléaires. C'est pourquoi je crois que l'accord doit être complètement changé ou abandonné, faute de quoi cela constituerait une grave menace pour la sécurité d'Israël». Un chef du Mossad qui fait ses analyses en public est étonnant mais on peut penser qu’il est téléguidé puisque son analyse cadre totalement avec celle de Benjamin Netanyahou.
En revanche, l’État-Major de Tsahal n’est pas du tout de cet avis et il souligne les aspects positifs de l'accord dans la mesure où il a retardé le développement nucléaire de l'Iran. Eizenkot s’oppose à l’option militaire sur le dossier du nucléaire iranien, «à moins d’être pris à la gorge». Il avait même  adressé une lettre en ce sens au chef du gouvernement, lui suggérant de renoncer à toute attaque contre l’Iran qui, selon lui, entraînerait le pays dans une guerre dangereuse et anéantirait la sacro-sainte alliance israélo-américaine. 

Eizenkot et Bennett

Sur la question de Gaza les opinions divergent aussi. Le ministre de l'Éducation, Naftali Bennett, s’est accroché avec Gadi Eizenkot au cours d’une réunion du cabinet de sécurité sur la stratégie dans la bande de Gaza. Le chef de Tsahal était partisan d’une certaine modération face aux lanceurs de cerfs-volants du fait que des enfants sont souvent parmi les incendiaires. Tuer des enfants n’est pas dans la tradition de l’armée, quelques balles sur les jambes suffisent souvent pour décourager les apprentis terroristes. Mais l’armée est aux ordres du pouvoir civil et elle obéit aux directives gouvernementales qui ont donné ordre de tuer les meneurs.
Naftali Bennett n’était pas d'accord avec la nature et la force de la réponse : «Pourquoi ne pas tirer sur quelqu'un qui lance des armes aériennes dans nos communautés et sur les cellules terroristes ? Ce sont des terroristes à toutes fins utiles». Eizenkot n’est pas du même avis : «Je ne pense pas que les adolescents et les enfants tireurs - qui lancent parfois les ballons et les cerfs-volants - aient raison. Vous proposez de larguer une bombe d'un avion sur des ballons incendiaires et des cerfs-volants ?» Bennett ayant approuvé cette solution extrême, le chef d’État-Major des FDI a été ferme : «Je ne suis pas d'accord avec vous, c'est contre mes positions opérationnelles et morales». Pour Eizenkot, il faut stopper les émeutiers mais pas les éliminer, en faire des estropiés mais pas des cadavres.
Tireurs d'élite israéliens à Gaza

Devant cet échange tendu, le ministre de la défense est monté au créneau contre Naftali Bennett : «Un politicien qui cherche à gagner aux dépens du chef de Tsahal est la chose la plus dégoûtante». Il est vrai que le chef de Bayit Hayehoudi avait qualifié Eizenkot de «faible, confus et transparent» parce que le chef de l’armée estime que la qualité d'une armée forte est de montrer une certaine retenue. 
Avigdor Lieberman a beaucoup changé ; au contact du pouvoir il est devenu pragmatique et il a surtout compris qu’il doit tenir compte de l’opinion internationale qui condamne la mort de jeunes visés à la tête. Il s’oppose à Bennett qui souhaite une entrée à Gaza et il a expliqué qu'une campagne militaire à grande échelle doit avoir un large consensus en raison de la pluralité des partis, des factions et des groupes en Israël : «C'est la différence entre la Guerre des Six-Jours et la première guerre du Liban». En fait il peaufine sa stature d'homme d'Etat.
Mais le plus choquant reste que les détails des réunions du Cabinet soient divulgués dans la presse pour prendre la population à témoin sachant que le pays vire de plus en plus à l’extrémisme. Ces querelles internes donnent l’impression qu’Israël n’est plus en mesure de faire face au chaos aux frontières et qu’il a perdu toute dissuasion. Israël ne peut plus tergiverser et il doit trancher la situation au nord et au sud.
Au sud le calme n’est pas revenu comme si le Hamas jouait sur la faiblesse de l’armée et sur les rivalités au sommet. Les habitants du Néguev occidental font preuve d’une patience à toute épreuve alors qu’ils sont souvent cloîtrés dans les abris. Au nord, Israël n’a pas réussi à empêcher l’implantation iranienne en Syrie. Les Iraniens et leurs nervis du Hezbollah continuent à provoquer Tsahal avec des missiles et des roquettes. Le dialogue des Israéliens avec les Russes n’empêche pas le feu de s’étendre. Si Bachar el-Assad connait les Israéliens pour avoir décidé de ne tirer aucune balle à travers le Golan depuis 1973, les Iraniens osent tout pour rendre la situation incontrôlable.
Snipers djihadistes et leur fusil iranien

Les snipers djihadistes continuent à tirer avec leur fusil iranien à longue portée pour saper la domination du Hamas à Gaza. L’objectif des terroristes est de pousser l’armée israélienne à entrer à Gaza pour lui causer de grandes pertes. Lieberman connait la chanson et il n’a pas l’intention d’aller dans ce sens. Il a demandé à l'armée israélienne de modifier ses méthodes d'opération pour que ses soldats engagent leurs missions en toute sécurité. Il a compris que le Hamas entretient les troubles, certes contre les Israéliens mais aussi et surtout contre l’Autorité palestinienne qui lui a bloqué les fonds, réduit l’électricité et l’eau et contre l’Égypte qui a encore bloqué le passage de Rafah.  
Lieberman au passage de Kerem Shalom

C’est pourquoi Lieberman veut fournir une aide humanitaire au Hamas si le calme revient à Gaza et il est prêt à la reconstruction de la bande si les corps des soldats israéliens sont restitués aux familles. Mais le Hamas, incité à l’intransigeance par les Iraniens, se nourrit des troubles. Il ne plie pas et continue l’envoi de roquettes et les tirs. Même l'envoyé de l'ONU Mladenov semble désarmé devant tant d’entêtement. Cependant le Hamas veut seulement maintenir le feu à un niveau bas pour atteindre ses objectifs politiques et économiques. Au nord, la situation est pareille ; les tirs de missiles et les envois de drones continuent.
Il en résulte que l'armée et le gouvernement israéliens semblent avoir perdu le combat d’une dissuasion efficace puisque la souveraineté de ses frontières est bafouée et que la sécurité des Israéliens des zones frontières est menacée. Deux options sont envisageables. Entrer à Gaza pour abattre le régime et le remplacer par des Palestiniens plus réalistes et plus coopératifs ou bien détruire sérieusement, et non pas symboliquement, la totalité des capacités militaires du Hamas et du Djihad islamique, quitte à envisager des destructions massives et à raser la moitié de la ville.

Mais Lieberman ne veut pas qu’on lui impose une stratégie ; il veut avoir son propre agenda politique. Le nationaliste pur et dur qu’il était croit au dialogue et au plan de réhabilitation de Gaza avec l’aide des pays du Golfe pour rendre le Hamas indépendant de l’Autorité. Il est certain aussi que les Russes, une fois la situation militaire d’Assad assurée, lanceraient un grand accord politique en Syrie, incluant le départ des forces étrangères, dans lequel Israël serait partie prenante. A l’ère des missiles, leur éloignement des frontières est insuffisant et il faut que les Iraniens quittent totalement la région pour qu’elle soit définitivement pacifiée. Alors il veut éviter la guerre totale.

Il est sûr à présent que tout se fera dorénavant sans Gadi Eizenkot qui a refusé une prolongation de son mandat et qui quittera ses fonctions à la fin de l’année 2018. Eizenkot est considéré comme le meilleur chef que Tsahal ait eu dans son histoire mais il est las du combat permanent avec les hommes politiques qui ne tiennent plus compte de ses conseils militaires et veulent se substituer à lui.
La droite l’avait agressé verbalement lorsqu’il avait approuvé la condamnation d’Elor Azria qui avait achevé un palestinien blessé à terre. Pour lui, Tsahal a une certaine éthique. Après une attaque au couteau en novembre 2015 à Jérusalem, il avait condamné un soldat hors service qui avait tiré sur deux adolescentes en affirmant qu’il ne voulait «pas voir un soldat ouvrir le feu et vider son chargeur sur une fille de cette manière, et ce même si elle commet un acte très grave». Il a une haute opinion de l’armée mais la vice-ministre aux Affaires étrangères Tsipi Hotovely l’avait accusé de nuire à l’image d’Israël. Enfin il avait été choqué d'avoir été violemment critiqué par Benjamin Netanyahou parce qu’il avait osé rencontré en décembre l’ancien Premier ministre Ehud Barak dans le cadre de rencontres démocratiques.
Réputé loyal et discipliné, Gadi Eizenkot est aussi connu pour son franc-parler. Il n’a pas peur de dire haut et fort ce qu’il pense et il agit toujours en fonction de ce qu’il croit être juste. Il n’est pas freiné par l’orgueil, l’ego et les intérêts politiques. Ce séfarade marocain, malicieux et rusé, est présenté comme l’officier le plus doué de sa génération ayant un sens stratégique et une expérience opérationnelle remarquables. Il quitte l’armée sur la pointe des pieds en laissant à son successeur le soin de raviver la dissuasion militaire.


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