Les juifs français choisissent Londres
Par Jacques BENILLOUCHE
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Dernier volet de mes reportages à Paris
Depuis plusieurs années déjà, les
jeunes français diplômés des grandes universités françaises s’installent à
Londres pour se lancer dans une activité professionnelle mieux rémunérée. Plus
de 300.000 français vivent dans la ville anglaise, faisant de Londres la
cinquième ville de France. Les jeunes Juifs ont suivi le mouvement pour tenter
leur chance outre-Manche dans une
capitale qui a un fort pouvoir d’attraction.
Ils ne choisissent pas la facilité car le pays n’a pas de
politique sociale et le coût de la vie est nettement plus élevé qu’en France.
Mais le chômage ne règne pas à Londres grâce à une politique d’embauche rapide mais
aussi grâce à un système de licenciement encore plus facile. Les Anglais
partent du principe qu’on n’a jamais vu d’entreprises se séparer de leurs
excellents cadres quand le carnet de commandes est plein. En revanche, pas de
pitié pour les flemmards et pour ceux dont l’ambition se limite à un emploi de
subsistance.
Une raison à cette
attirance des jeunes Juifs réside dans la création d’un centre pour aiguiller
les Francophones à Londres. Ils ne sont pas abandonnés à eux-mêmes dans la
jungle économique de la capitale mais, dès leur arrivée, ils sont pris en
charge par le centre Charles Péguy. Cette association à but non lucratif
de droit britannique a été créée en 1954, est subventionnée par le Ministère des
Affaires Étrangères français, est soutenue activement par le Consulat de France
à Londres et est rattachée au Centre d’Échanges Internationaux (CEI). Sa
vocation est d’accompagner, dans leur insertion professionnelle et sociale les Francophones
souhaitant s’installer à Londres. Le centre aide les jeunes Français pour
trouver un emploi, un logement et pour leur faciliter l’adaptation aux codes
professionnels anglo-saxons. Trois conseillers emploi sont mis à leur
disposition pour améliorer leur cv et les diriger vers des offres d’emploi
adaptées. Cependant, pour de nombreux jeunes, il s’agit d’une première étape
avant de rejoindre les États-Unis ou Hongkong.
La France se vide de ses
meilleurs éléments et assiste impuissante à la fuite de ses cerveaux. Les jeunes
estiment que leurs carrières à l’étranger sont fulgurantes car elles sont
fondées sur le seul principe du mérite, alors que la règle de l’ancienneté
règne en France, décourageant ainsi les excellents éléments impatients. Ces
jeunes salariés deviennent vite des entrepreneurs dans des start-up innovantes
après avoir appris les codes de la finance. Les diplômes français sont reconnus
et même appréciés à Londres ; une jeune dentiste vient de s’y installer.
L’attraction de la capitale britannique étonne alors que la vie est plus chère
qu’en France. Une chambre en banlieue en colocation coûte 600 euros tandis
qu’il faut voyager avec une carte de transport mensuelle au prix de 180 euros.
Quant aux prix de la nourriture, ils dépassent de loin la norme et la qualité françaises.
Les jeunes Juifs
français se sont organisés en petite communauté
respectueuse des traditions sociales et
religieuses importées. Ils s’entraident, créent des liens qui leur évitent de
perdre leurs racines, se marient entre eux car les filles les ont rejoints.
Paradoxalement, «l’exil» les pousse à mieux affirmer leur identité. Certains
découvrent d’ailleurs la pratique de la religion dont ils s’abstenaient en
France. Ces jeunes, dont certains ont raté leur alyah, trouvent une facilité de
vie qu’ils n’ont pas connue en Israël où ils n’étaient pas attendus et surtout où
ils n’étaient pas accompagnés dans leur transplantation. Ils avaient
l’impression d’être des intrus dans le pays juif.
Mais un nouveau phénomène
est perceptible depuis les attaques antisémites en France. Des familles juives entières
tentent à présent leur chance à Londres en rejoignant souvent leurs enfants
envoyés en éclaireurs. Depuis que des militaires sont postés devant les écoles
juives et que l’on déconseille le port de la kippa dans la rue, alors la peur
s’est installée. Les parents quarantenaires n’envisagent nullement l’alyah face
aux difficultés que certains ont rencontrées ou qui leur ont été rapportées.
Ils ont perdu la foi sioniste et tournent à présent leur regard vers Londres où
la grande communauté juive est contente
de se renforcer. Ils représentent le même espoir apporté en France par les
Juifs d’Afrique du nord qui ont éveillé une communauté endormie et qui ont été
à ‘origine d’un souffle nouveau pour les Juifs locaux.
Les familles religieuses estiment que la vie juive y est plus libre et que Londres dispose des meilleurs Yeshivas européennes où l'enseignement se fait en yiddish. Un véritable flux de Juifs
français est perceptible dans les synagogues et les écoles juives et
d’ailleurs les religieux apprécient de circuler
dans la ville avec leurs marques extérieures de judaïsme. Londres devient
progressivement le refuge pour la
communauté française en faisant une concurrence déséquilibrée avec Tel-Aviv ou
Jérusalem. Les statistiques parlent ; les enfants juifs représentent près
de 40% des nouvelles inscriptions dans les écoles selon Marc Meyer, directeur
de la conférence des rabbins européens. Le phénomène touche aussi le milieu du
judaïsme libéral duquel certains Juifs se sentent proches face au choix
orthodoxe plus contraignant. Les synagogues organisent même des offices en
français sous la conduite du rabbin René Pfertzel. Lyon et Marseille
fournissent aussi leur lot de Juifs qui trouvent dans la synagogue un point de
ralliement et une aide à l’intégration. Aux attaques antisémites s’ajoutent les
raisons économiques dues à un fort taux chômage en France qui touche même les
diplômés. Par ailleurs, le régime d’imposition fiscal britannique est beaucoup plus faible
qu’en France même si les avantages sociaux et les retraites sont loin de
rivaliser avec ceux de France.
Il est vrai que Londres est très
proche de Paris, deux heures d’Eurostar, et que l’installation ne nécessite
aucun visa ni autorisation de séjour. Les Juifs qui s’y installent peuvent
garder un lien étroit avec leur pays et leurs familles grâce à des voyages
réguliers. Mais il ne s’agit pas pour l’instant d’un exode à l’image de celui
des Juifs d’Afrique du nord mais d’une tendance similaire à celle des Juifs qui
ont choisi Miami plutôt que Tel-Aviv. C’est une constante. Quand la situation
sécuritaire se dégrade, alors les Juifs sont toujours à la recherche d’un
endroit sûr où ils peuvent poser leurs valises, dans un exil permanent.
Londres cosmopolite |
Le départ reste quand même
un drame car il faut changer de vie et de culture. Mais alors que les Français
avaient tendance à refuser le communautarisme, ils finissent par fréquenter à
Londres le milieu juif dans une quête d’intégration, voire d’assimilation. Mais
ce communautarisme est une institution qui
détruit le mythe du melting-pot effectif en Israël. Les communautés étrangères se fréquentent
mais gardent leurs spécificités dans l’espace public et s’organisent dans leurs
quartiers dédiés. Les associations juives dans les universités se chargent des
rencontres entre Juifs ce qui permet aux parents français d’en profiter pour
nouer des liens avec les Anglais. Ceux qui ont sauté le pas pour Londres
affirment tous qu’ils ne vivent pas dans la même paranoïa qu’en France où le danger semble s'installer partout. Le drame est qu’Israël reste
loin de leurs préoccupations, à peine un problème politique peu abordé. L’esprit
de l’alyah est à présent absent chez les
Juifs de Londres.
2 commentaires:
J'ai un pote qui en est à sa troisième inauguration de synagogue francophone à Londres depuis 2015. Faut croire qu'effectivement certains de nos coreligionnaires s'y plaisent :(
Apparemment, Londres plaît beaucoup aux juifs...Moi j'y vais le 28 juin, pour une soirée au profit de la Tsedaka à la salle Mermaid avec un concert de Gilbert Montagné...soirée de folie en perspective!
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