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dimanche 10 janvier 2016

Des institutions juives françaises désuètes : 2/ Consistoires



DES INSTITUTIONS JUIVES FRANÇAISES DÉSUÈTES

2/ CONSISTOIRES

Par Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps


           
          Le Consistoire central israélite de France est l'institution créée en 1808 par Napoléon Ier pour administrer le culte juif en France. Cette institution est officiellement représentative de la religion juive de France et se distingue du CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France) qui est une association politique dont la vocation est de représenter, auprès des pouvoirs publics, toutes les tendances de la communauté juive française. Rappelons que le Fonds social juif unifié (FSJU) est en charge des problèmes culturels et sociaux.



            Les consistoires israélites français se composent d'un consistoire central dont le siège est à Paris, et de quinze consistoires départementaux dont celui de Paris. Chaque consistoire départemental se compose d'un grand rabbin et de quatre membres laïcs choisis dans l'assemblée des notables juifs locaux. Le consistoire central, à Paris, réunit le grand rabbin de France et huit membres laïcs élus par les notables juifs des différents départements. Le consistoire central et celui de Paris sont, depuis plus de dix ans, présidés par Joël Mergui qui cumule les deux fonctions.
            Le consistoire central se charge de la haute surveillance des intérêts et du culte juif, délivre aux rabbins agréés les diplômes du second degré et nomme le grand rabbin de France. Il donne aussi son avis en vue de la nomination des rabbins départementaux. Il est chargé de la formation des rabbins à l’École rabbinique de France. Il représente et défend les intérêts du judaïsme partout en France. Il collabore avec les pouvoirs publics sur tous les sujets essentiels et sensibles du judaïsme et de la vie juive. Il soutient les petites communautés isolées et menacées d’extinction. Enfin, il dirige la Fondation du Patrimoine juif de France. Le consistoire central fédère et coordonne l’ensemble des consistoires régionaux.
Grand Rabbin Haïm Korsia

            Chaque consistoire départemental administre les bâtiments et les associations religieuses locales. Il délivre aux rabbins agréés les diplômes du premier degré. Les consistoires organisent le culte et le rabbinat. Ils ont la responsabilité de l’entretien et de la préservation des lieux de culte, des bâtiments communautaires, des cimetières et des mikvaot (le mikvé est le bain rituel utilisé pour l'ablution nécessaire aux rites de pureté dans le judaïsme). Ils ont en charge les aumôneries des armées, des prisons et des hôpitaux. Ils sont responsables des mariages et des divorces religieux et des conversions au judaïsme. Ils organisent l’enseignement religieux et gèrent les écoles communautaires. Enfin ils sont responsables de l’abattage rituel et de la cacherout des produits alimentaires.


Synagogue Buffault à Paris

            Les consistoires n’ont subi aucune évolution depuis la Révolution française alors qu’à l’époque 40.000 Juifs vivaient en France. Aujourd’hui ils sont évalués à 500.000, après l’apport des populations d’Afrique du nord. Mais les Juifs de France ont évolué et ils ont partiellement abandonné la définition cultuelle de leur existence pour adopter des définitions culturelles ou politiques ce qui met le consistoire en porte-à-faux face à l’identité religieuse. Pendant longtemps le Consistoire restait l’instance représentative par excellence auprès des pouvoirs publics, et d’ailleurs la présidence du CRIF lui revenait statutairement. Aujourd’hui, il partage cette responsabilité avec le CRIF ce qui peut causer des réticences.
            Le Consistoire qui, en théorie, représente les Juifs, n’est en fait que l’expression de certaines fractions du judaïsme religieux. Il ne les contient pas toutes, ce qui est une limitation formelle, institutionnelle et financière. Ainsi le mouvement hassidique Loubavitch, très implanté en France puisqu’il compte 40.000 membres, n’est pas intégré aux consistoires. Au départ d'origine ashkénaze, il fait ses recrues essentiellement au sein des séfarades, à l'image de la communauté juive en France dans son ensemble. Il compte plus de soixante-dix institutions à travers la France, indépendante du Consistoire, comprenant des écoles pouvant recevoir plus de huit mille enfants, et des centres communautaires Habad dans toutes les principales villes de France. Il dispose de sa propre cacherout ce qui diminue d’autant les ressources du consistoire.
Centre loubavitch à Neuilly

            Depuis 1977, une nouvelle branche du judaïsme inspirée des mouvements américains, le Mouvement juif libéral de France (MJLF), tend à moderniser les pratiques religieuses. Cette association cultuelle et culturelle juive libérale, affiliée à la World Union for Progressive Judaism, est rejetée par les orthodoxes, donc par le Consistoire qui ne reconnaît ni ses membres et ni ses décisions. Créé à l’initiative du rabbin Daniel Farhi, formé à l’école rabbinique orthodoxe, le mouvement promeut la vie religieuse et culturelle juive au travers d’un centre communautaire et de deux synagogues. Ce judaïsme réformé et moderne prône un judaïsme moins austère, plus ouvert aux conversions, avec des pratiques plus collées à la vie moderne telles que l’usage de la voiture et de l’électricité le shabbat, les prières en français et la mixité dans les synagogues. Il attire à lui des Juifs que les préceptes rigides et figés datant de l'époque des Livres rebutent. Mais ses membres ne sont pas reconnus comme juifs.
Mouvement libéral à Paris

            Le monde religieux français est donc scindé en plusieurs sensibilités indépendantes que le Consistoire n'arrive plus à rassembler. Les Juifs aspirent pourtant à une représentation unique pour éviter que les pouvoirs publics, selon la conjoncture politique, donnent une audience tantôt au Consistoire, tantôt au CRIF. Or le Consistoire, qui présidait statutairement l’assemblée du CRIF, a perdu ce privilège à la suite d’une modification des statuts.
Juifs de Djerba (Tunisie)

           L’arrivée massive des Juifs maghrébins a modifié l’équilibre entre religieux et laïcs. Chez les Juifs maghrébins les traditions politiques juives sont presque absentes, et c’est au sein de la pratique religieuse, ou contre cette pratique, qu’ils se définissent pour la plupart. Du coup, le Consistoire, à la suite d’une remontée en puissance des pratiques religieuses, a acquis une plus grande représentativité. Mais la question se pose de savoir ce qui motive tant de personnes à choisir un poste bénévole pour assurer la gestion difficile du Consistoire. En fait, la cacherout génère de grandes sommes d’argent dont l’utilisation est laissée à la discrétion des administrateurs. Les taxes imposées sur la viande, le vin, les restaurants et les produits alimentaires, pour garantir la conformité avec les règles de la Loi juive, la Halakha, constituent les revenus pour couvrir les dépenses dont certaines sont considérées comme inappropriées.
Joël Mergui

            Joël Mergui avait fait de la réforme des statuts un point fort de son programme électoral durant la campagne pour la présidence du Consistoire Central en 2012 où il avait été élu avec 85 % des suffrages contre Moïse Cohen, et celle du Consistoire de Paris en 2013, sans pour autant avoir donné des indications précises. Pendant un temps, il avait été question d’une fusion entre les deux Consistoires mais le projet avait été abandonné au profit d’un rapprochement entre les deux institutions qui conserveraient leurs existences juridiques respectives et des budgets distincts. Joël Mergui, persistait cependant à vouloir fusionner les deux organes.
            Depuis deux ans, la proposition de modifier les statuts a figuré à l’ordre du jour de toutes les réunions des deux Consistoires. Le 29 novembre 2015, les 30.000 adhérents du Consistoire de Paris ont eu à statuer sur le projet qui devait obtenir la majorité des deux tiers pour être adopté. Il s’agissait de créer un Consistoire juif de France en fusionnant le consistoire central et celui de Paris.
Vote du 29 novembre 2015

            Mais le projet impliquait la suppression de l’élection directe des administrateurs par les adhérents ce qui n’était pas acceptable pour nombre de militants juifs. En contrepartie, les administrateurs seraient choisis par un collège de grands électeurs constitué à la fois de présidents et de trésoriers des commissions administratives, ce qui aurait pour effet de couper le Consistoire de sa base.  La réforme prévoyait le cumul des fonctions de président du Consistoire de Paris et du Consistoire de France. 
          Cette concentration des pouvoirs risquait d’une part d’affaiblir les communautés de province et d’autre part de limiter considérablement les débats. Elle donnerait un pouvoir sans partage à une seule personne qui, après cooptation de membres serviles, deviendrait un président à vie comme dans les républiques bananières. Les opposants à la réforme craignaient par ailleurs un durcissement de la ligne orthodoxe défendue par Joël Mergui avec une prévalence de son rôle sur celui du Grand Rabbin.
            Mais des doutes sérieux existaient sur l’organisation du scrutin. Certains membres du collège électoral ont été évincés arbitrairement. Parmi les 120 délégués du consistoire de Paris (60 titulaires, 60 suppléants), l'habitude avait été prise de nommer, au côté des membres de droit, des responsables de communautés ou d'anciens administrateurs, certaines personnalités extérieures ce qui permettait à Joël Mergui de s’entourer de ses hommes de confiance. Dov Zerah, qui s’inquiétait des méthodes de l’équipe en place, avait obtenu par voie de justice la présence d’un huissier pour contrôler et valider le vote qui devait s’effectuer exclusivement à bulletins secrets et non à main levée. C’est le paradoxe d’une institution qui dispose de son propre tribunal, le Beth Din, pour régler les litiges entre Juifs et qui fait appel à une instance laïque extérieure pour arbitrer une question juive.

            Le scrutin du 29 novembre 2015, modèle d’élection dans la pagaille, n’a pas fait honneur au Consistoire. Une vidéo montre le désordre et la cacophonie qui régnait tout au long des débats et les manœuvres des hommes de Mergui pour influencer le vote. Malgré cela, grâce à la présence d’un huissier, le projet a été rejeté en assemblée générale par absence d’une majorité des deux tiers. Joël Mergui a été désavoué après une rude bataille menée par deux anciens présidents Moïse Cohen et Dov Zerah. Ce rejet a renforcé la fonction du Grand rabbin de France qui dans le nouveau schéma prévu aurait été marginalisé.
Projet centre juif paris 17°

            Joël Mergui voulait par ailleurs avoir les mains libres pour gérer la construction du nouveau centre culturel juif de 4.800 mètres carrés à Paris. Encore faut-il qu’il boucle le financement du projet qui s’élève à plusieurs millions d’euros avec tous les risques de dérives que de tels montants peuvent soulever. De nombreux Juifs trouvent que le moment est mal choisi pour la construction du centre juif à Paris, une sorte de caprice de riche alors que les caisses du Consistoire ne sont pas en état de supporter le choc et que des Juifs de plus en plus nombreux s’installent en Israël. Ses détracteurs émettent des doutes sur les réels propriétaires finaux de ce futur centre communautaire qui passerait en fait entre des mains privées.
Ancien siège de la gendarmerie à Paris 16°

            Ce projet est d’autant plus risqué qu’il ferait double emploi avec une réalisation déjà signée et financée. En effet, des jeunes cadres juifs français, commerçants, dentistes, médecins, experts-comptables et commerçants, lassés par l’indifférence des autorités israéliennes peu enclines à favoriser leur alyah, ont pris le parti de consolider définitivement leur installation en France en investissant pour leur communauté à Paris. Ils ont signé l’achat, près du Trocadéro dans le 16ème arrondissement de Paris, de tout le rez-de-chaussée d’un immeuble en rénovation, anciennement occupé par la direction de la gendarmerie. Les 1.200 m², livrables en 2018, seront emménagés en synagogue, mikvé, salle de cours, bibliothèque, talmud torah, salle de fêtes pour mariages et bar-mitsva, école maternelle et primaire. Il n’est pas prévu que ce complexe dépende du Consistoire. Il sera géré par les promoteurs du projet qui trouvent trop importantes les ponctions financières imposées par le Consistoire et douteuse la destination des dons. Ainsi, deux projets dans pratiquement le même quartier seraient un luxe pour la communauté juive de Paris.
            Ce projet de la rue Saint-Didier prouve par ailleurs que le Consistoire ne fait plus l’unanimité puisque de nombreuses petites synagogues préfèrent s’affranchir de sa tutelle. Elles accusent le Consistoire de faire un mauvais usage d’une partie des fonds récoltés et préfèrent gérer leur propre budget et choisir leur propre rabbin souvent venu d’une Yeshiva israélienne. 
Centre Edmond Fleg

          Mais à côté de ces dépenses qui peuvent sembler démesurées, le Consistoire a pris dans le secret la décision non débattue de supprimer le centre Edmond Fleg au Quartier Latin. Pilier du judaïsme parisien, ce centre «rassemble les étudiants qui peuvent prier, étudier, se rencontrer et manger cacher».  Il sert de synagogue aux Juifs du 6° et aux nombreux touristes qui viennent y prier. Une décision arbitraire qui démontre que le Consistoire est sourd aux demandes qui lui parviennent et qui restent sans réponse.
          Au lieu de chercher à donner tous les pouvoirs à un seul clan, voire à un seul dirigeant, le Consistoire devrait concentrer ses efforts pour ramener à lui toutes les structures juives qui lui ont échappé en raison d’une politique autoritaire. Mais pour cela, les méthodes doivent changer, et peut-être les hommes.

5 commentaires:

Georges KABI a dit…

Merci Jacques, j'apprends beaucoup de choses, surtout du au fait que je vis en Israel depuis maintenant 40 ans.
Dans ma jeunesse, j'ai eu affaire au Consistoire par deux fois. La premiere a ete provoquee par une demande de la Federation Sioniste de France qui cherchait a etendre son influence en banlieue parisienne. J'etais alors militant sioniste, habitant en banlieue et je fus contacte. Je demanda donc les listes de Juifs de cette banlieue et le Consistoire me l'accorda sans faire de difficultes. En fait, je fus assez surpris, j'appris ensuite pourquoi cette largesse.
En fait, aucune institution communautaire de l'epoque, y compris la communaute juive locale, ne savait pas le veritable nombre de Juifs. Les estimations variaient mais on l'estimaita environ un millier. Je pris ce travail au serieux et apres plus de 3 mois de recherches, de portes a portes, de telephone arabe, j'avais reussi a constituer une liste precise avec adresse et telephone de...4000 Juifs!!!
J'organisa une soiree avec chanteur israelien, orateur et ambassadeur d'Israel a la cle. Le lendemain, la communaute locale me vira comme un mal propre. Je protesta au Consistoire et on me ricana au nez: "les dirigeants de votre communaute gerent un budget qu'ils n'ont pas envie de partager avec vous". En fait, je n'avais jamais rien demande que l'utilisation du petit centre communautaire. Rien n'y fit. Tout mon travail tomba a l'eau.

Yossef NAMAN a dit…

Cet exposé, quoique schématiquement assez complet mérite quelques mises aux points, qui seront elles aussi très schématiques:
. L’organisation de la cacherout n’est pas du tout centralisée au sein du Consistoire Central de France. Chaque consistoire régional est tenté de développer sa propre cacherout, voire chaque communauté : Paris, Lyon, Marseille, Strasbourg, Aix-les-Bains..etc. Un des grands souhaits du Grand Rabbin de France Joseph Haïm SITRUCK était de réunir toutes ces cacherouts sous la bannière du Consistoire Central, € obligent, tentative avortée.
. Parler de modernisation des pratiques religieuses en ce qui concerne le MJLF est tendancieux, pour ne pas utiliser d’autres vocables. La Thora écrite ou orale est éternelle. Sachant que la Thora orale est le pilier de la Halacha on ne saurait parler de rendre moins austère notre mode de vie, qui au demeurant est loin d’être austère. Quant à son ouverture aux conversions, cela réside principalement dans le fait que la plupart de ses membres ont contracté des mariages mixtes et se retrouvent dans une impasse. Nous n’évoquerons même pas les services religieux conduits par des femmes, les minyanes mixtes, les et autres joyeusetés de ce genre qui n’ont rien à voir avec le Judaïsme.
. Parler en ce qui concerne les juifs du Maghreb comme de personnes n’ayant aucune ou peu de traditions politiques c’est faire offense à la mémoire des Grands Rabbins Sidi Fredj HALIMI, Rahamim NAOURI, ESKENASI, Etc. Eux devaient composer non seulement avec les autorités dominantes, savoir la France, mais également la population locale autochtone. D’autre part, les Rabbins d’Afrique du Nord étaient tous profondément sionistes, et ce sans exception.

Gilles ORSELLY a dit…

les services conduits par les femmes, la mixité, quelle horreur en effet Yossef ! rien à voir avec le judaïsme ? rien à voir avec votre vision Daesh du judaïsme c'est sûr, mais au nom de quoi vous érigez-vous en autorité suprême pour formuler ce jugement ??? Une majorité de juifs dans le monde pensent autrement que vous, or dans le judaïsme c'est la majorité qui décide (je précise que je ne suis pas libéral, j'ai beaucoup de désaccords avec eux mais quand je vous lis je me dis que je les préfère encore aux esprits bornés - c'est dire

Anonyme a dit…


Vous êtes en dessous de la réalité.
Le "noircissement" du Consistoire a fait fuir beaucoup de gens vers les libéraux mais surtout les Massoratiim.
Quant aux magouilles financières des dirigeants et de leurs copains, c'est une honte ! Au moins le régime des notables avait du bon parce qu'ils payaient de leurs poches..

Avraham NATAF a dit…

Le Grand-Rabbin Kaplan s’était tenu debout et avait dirigé énergiquement le Consistoire dans l’après-guerre et l’afflux de juifs d'Afrique du nord.Le mouvement Loubavich a remplit un vide social et travaillé dans la quantité. Les Hassidim ramassent des gens de la rue quitte à les laisser aussi dans la rue.