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dimanche 31 janvier 2016

Réalités sur l'arsenal iranien de missiles



RÉALITÉS SUR L’ARSENAL IRANIEN DE MISSILES

Par Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps

            
Test missile Emad

          Les Iraniens estiment que les missiles n’entrent pas dans les clauses de l’accord signé avec les cinq membres du Conseil de Sécurité plus l'Allemagne, parce qu’ils ne concernent pas le nucléaire. En conséquence, la fin des sanctions pousse le gouvernement des mollahs à renforcer et à poursuivre son programme de missiles. Ainsi le 11 octobre 2015, l’Iran avait procédé à un tir réussi d'un nouveau missile balistique à portée moyenne, le Emad. 



Général Dehghan
          «Nous ne demandons l’autorisation de personne pour augmenter notre capacité défensive et balistique et nous poursuivons notre programme balistique avec détermination», a commenté le général Dehghan, ministre iranien de la Défense. Le Trésor américain n’a pas apprécié ce pied de nez et a réagi immédiatement en imposant de nouvelles sanctions, décidées au lendemain de la mise en œuvre de l’accord sur le nucléaire iranien.
            En fait, le président Rohani s’est senti obligé d’équilibrer sa politique vis-à-vis des conservateurs iraniens en adoptant une position souple sur le nucléaire, mais en affichant une certaine intransigeance sur les questions purement militaires afin de neutraliser les durs parmi les Gardiens de la révolution. La reculade iranienne face aux Américains n’a pas supprimé l’arrogance de l’armée qui a besoin de gonfler le moral de ses troupes pour faire admettre l’arrêt, pendant au moins dix ans, du programme nucléaire. C’était un peu du donnant-donnant.
Mohsen Rezaei

            Mohsen Rezaei a été désigné pour porter la contestation, en particulier sur l’aspect militaire des missiles. Il représente les hauts personnages à la fois politiques et militaires du régime. Ancien commandant en chef du CGR (corps des Gardiens de la Révolution), il a mis en place une nouvelle génération d'officiers militaires. Il a dirigé cette unité d'élite pendant la guerre de huit ans entre l'Iran et l'Irak. En effet en 1981, Rezaei avait abandonné à l’âge de 27 ans ses études en génie mécanique à l'université pour devenir l'un des plus jeunes commandants militaires dans le monde.
            Son ambition le mena à se frotter à la politique en démissionnant de l’armée pour se présenter, sans succès, aux élections présidentielles de 2000, 2005, 2009 et 2013. Devant ses échecs successifs, il a décidé le 8 avril 2014 de réintégrer l’armée. Il avait justifié sa décision dans une lettre au Guide suprême Khamenei : «La prochaine décennie dans la région sera turbulente. Nous avons besoin de puissance pour des raisons de sécurité dans la région, mais le régime sioniste et l'Arabie saoudite sont devenus le centre de l'insécurité. La paix ne reviendra pas dans la région, à moins qu'ils ne soient remis à leur place». Une véritable déclaration de guerre qui a été cautionnée par les Conservateurs au pouvoir.
            Après avoir été commandant en chef des Pasdarans pendant 16 ans, il est actuellement secrétaire du Conseil de discernement de l'intérêt supérieur du régime de l'Iran. Ce Conseil est une institution de conservateurs qui s'apparente à un Conseil d'État et qui comprend des Gardiens de la révolution. Il arbitre les litiges entre le Majlis (parlement), l'Assemblée des experts et le Conseil des gardiens de la Constitution et dispose du droit d'édicter des solutions législatives pour les cas les plus graves.
            À ce titre, au lendemain des nouvelles sanctions américaines, Mohsen Rezaei a interpellé le président Rohani : «Tout comme le succès de l'Iran dans le développement de 20.000 centrifugeuses était une claque au visage des États-Unis et a forcé les Américains à venir à la table des négociations et à reconnaître notre droit à enrichir de l'uranium, je souhaite votre appui pour étendre la portée des missiles de l'Iran à plus 5.000 km». 

          Bien sûr il avait dans l’esprit d’atteindre le petit et grand Satan, Israël et la base américaine de l'île de Diego Garcia. L’Iran ne dispose actuellement que de missiles atteignant au maximum 2.000 km, de quoi menacer uniquement les pays du Golfe et l’Arabie saoudite qui confirme ainsi ses craintes vis-à-vis d’un Iran belliqueux. Les experts ont cependant des doutes sur les capacités iraniennes de développer des missiles de longue portée. 
Fateh-110

            Pour l’instant, l’Iran dispose du missile Fateh-110 dont la technologie a été améliorée et renforcée pour faciliter sa maniabilité, sa précision et ses capacités destructives. Mais les missiles balistiques iraniens, de portée limitée à 2.000 km, sont généralement à combustible liquide qui ne permet pas leur stockage dans des silos en raison des risques d’explosion. Cela impose donc que le remplissage des deux réservoirs, combustible et comburant, se fasse à l’extérieur, quelques heures avant leur lancement, ce qui les rend détectables par les satellites israéliens et donc vulnérables. D’autre part, les lacunes de ces missiles de longue portée sont notoires sur le plan de la maniabilité, de leur puissance destructrice et de leur précision. Ils ne peuvent s'appuyer sur des satellites pour un guidage de haute précision.
            L’Iran vient de tester le missile Emad, dont la maniabilité a été perfectionnée mais dont la portée devient réduite lorsqu’il est chargé d’une ogive de 900 kg ; cela limite son efficacité et surtout les dégâts qu’il peut occasionner.  Cependant l’Iran peut poursuivre ses recherches en exploitant les résultats de ses expériences spatiales pour parvenir à construire à terme un missile à longue portée. 
          Mais Rohani a, dans l'immédiat, d’autres objectifs car, pragmatique, il est conscient des nombreuses failles dans le système défensif iranien. Il ne se soumettra pas aux injonctions de Rezaei parce qu’il veut d'abord développer et améliorer son armement militaire conventionnel local. Il se distingue de ce point de vue de son prédécesseur qui avait axé sa guerre sur le développement de missiles au détriment de l'aviation.
Fateh-113

            Rohani avait obtenu des progrès significatifs dans son programme de missiles balistiques avec le  Fateh-313 d’une portée de 500 km. Ce nouveau missile avait été dévoilé le 22 août 2015 pour être produit en masse. Il est le prolongement du Fateh-110 qui n’avait qu’une portée de 300 km.  En doublant presque la portée du missile, en incorporant d’autre part un guidage plus précis, en rognant sur son poids, en réduisant la taille de la tête et en utilisant un combustible solide, l’Iran a gravi une étape majeure dans son programme de missiles. Il peut à présent cibler, sous différents angles, les installations militaires des États arabes du Golfe. Le combustible solide permet de stocker les missiles à travers tout le territoire iranien, en rendant leurs véhicules TEL (transporteur-érecteur-lanceur) plus difficiles à localiser et à détruire. Des informations sécuritaires donnent à penser que le Fateh-313 est aussi en mesure d’être transformé en missile balistique antinavires, avec une portée de 500 km. Mais les experts, au vu des photographies, pensent que la charge utile ne dépassera pas 500 kg. 
            Rohani a imposé une production massive de ces missiles Fateh-113. Mais il a été aussi à l’origine du programme Emad  à combustible liquide, à une portée de 1.700 km avec une charge utile de 750 kg. Le missile, testé le 10 Octobre 2015, dispose d'un véhicule de rentrée nouvellement conçu avec un système de guidage de précision et de contrôle plus avancé. La précision du missile sur sa cible est signalée autour de 500 mètres. Les forces armées en disposeront dès l’année 2016. 
          Mais les experts de l’ONU estiment que l’Emad est un missile balistique capable de transporter une ogive nucléaire, ce qui en fait une violation de la résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU. La résolution 1929 adoptée en juin 2010 interdit en effet à l’Iran de mener des activités liées «aux missiles balistiques pouvant emporter des armes nucléaires, y compris les tirs recourant à la technologie des missiles balistiques». C'est pourquoi de nouvelles sanctions ont été décidées.
S300


            Mais avec la levée des sanctions internationales, Rohani vise plutôt à présent l’armement conventionnel avec l’achat d’avions de chasse russes Sukhoi T-50 et de systèmes anti-aériens S-300. Il estime que les missiles à longue portée, dont les techniques de conception sont encore peu élaborées, n’exigent pas une urgence absolue pour ses forces armées d’autant plus que cela développe une controverse et des tensions avec les Occidentaux. De toute façon les allocations budgétaires ne sont pas encore disponibles.
            L’Iran doit d’autre part cadrer son programme avec celui de ses ennemis potentiels dans la région qui ont procédé à des achats massifs de matériels conventionnels créant un déséquilibre important.  L'Arabie saoudite a été l'un des plus gros importateurs d'armement, sinon le plus grand, avec 6,4 milliards de dollars, en augmentation de 54% par rapport à 2014. Les capacités militaires de la Turquie, de l'Égypte, de l'Arabie saoudite, des Émirats arabes unis et d'Israël sont une menace immédiate que Rohani doit d’abord contrer avant de se lancer dans la conception hypothétique de missiles balistiques.  Il doit développer ses capacités de défense sans orienter son armée vers une quelconque opération offensive. Les tests de nouveaux missiles sont donc à destination interne pour flatter la population locale et pour rassurer et occuper les Gardiens de la révolution. 
          La réorganisation de l’armée iranienne et de ses capacités défensives est à l’ordre du jour et si elle n'est pas engagée rapidement, alors elle sera compromise dans un futur proche. L’Iran doit combler son retard accumulé pendant plus de trente ans d'isolement et s’intéresser, surtout et avant tout, à l’amélioration des conditions de vie de sa population s’il ne veut pas que la grogne monte dans le pays et le déstabilise.


1 commentaire:

Georges KABI a dit…

Je ne suis pas sur que la direction iranienne actuelle ait pour objectif majeur l'amelioration du niveau de vie de ses citoyens. Cette soi-disante opposition entre "moderes" et "conservateurs" est une vieille tactique iranienne, qui a d'ailleurs fait ses preuves aupres de tous ceux qui sont prets a les croire. Dans la realite quotidienne, les forces de l'ordre iraniennes savent mater toute veilleite de de contestation. Ils raflent quelques dizaines de manifestants, en pendent une douzaine et tout rentre dans l'ordre.
Enfin, Jacques, tu n'as pas encore donner ton avis sur cette nouvelle affaire d'espionnage que les USA et leurs allies britanniques ont mene pendant 18 ans sur Israel. Est-ce que cela aura une repercussion sur la future alliance irano-americaine?