KOL-ISRAËL - EGYPTE : ET MAINTENANT ? L’ARMÉE OU
LE CHAOS
Par Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps
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La
situation en Égypte est pleine de paradoxes. La révolution qui a mis fin au
règne de Hosni Moubarak avait renvoyé l’armée dans ses casernes après l’avoir
accusée d’avoir soutenu à bout de bras un régime désavoué. Un président
islamiste et un parlement élus démocratiquement sont arrivés au pouvoir. Le
président Morsi, qui fut un deuxième choix des Frères musulmans, avait
peut-être l'expérience de la gestion d’une association de bienfaisance aux
nécessiteux mais en aucun cas celle d’un pays avec les contraintes économiques
internationales.
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Au micro de Annie Gabbai
Adeptes
des mosquées
Mais au
lieu de prendre le temps nécessaire pour rassembler une population déchirée et
avide de démocratie, pour faire l’inventaire de plusieurs années de dictature,
pour organiser la relève avec des technocrates plutôt qu’avec des adeptes des
mosquées, Mohamed Morsi a voulu tout verrouiller pour accaparer l’ensemble des
pouvoirs législatifs et judiciaires. Il s’est alors lancé dans une course
effrénée pour islamiser un pays qui n’était pas encore prêt à abandonner ses
traditions laïques et sa culture essaimées comme modèles à travers le monde
arabe.
Les Frères musulmans ont été
surpris par la chute rapide et non planifiée de Moubarak et n’ont pas eu le
temps de se préparer à la gestion du pays.
Avant de réformer à tout va, ils auraient dû prendre un délai pour se
préparer de manière minutieuse, pour constituer des équipes techniques et
politiques qualifiées, pour apprendre le fonctionnement d’un gouvernement et
pour fonder une politique sur d’autres critères que la religion et la charia
dont les préceptes sont anachroniques en ces temps de mondialisation.
Le nouveau visage de l'Egypte d'aujourd'hui |
Le peuple
voulait du pain et non la charia appliquée au paroxysme, des emplois et non des promesses, le
développement de l’éducation et non l’apprentissage du Coran, la culture comme
outil d’émancipation et non d’obscurantisme, la liberté de parole et non l’absence
de dialogue, la justice légale et non le fait du Prince. Bref, le régime de
Morsi s’est empressé de tout changer, dans le mauvais sens et sans l’aide des
forces vives du pays.
Les deux candidats de la présidentielle |
Et pourtant Morsi savait que son élection avait été
obtenue de justesse et qu’au moins la moitié de la population ne l’avait pas
agréé. Il n’a même pas assimilé le fait qu’après une année de pouvoir la
confiance à son égard s’était étiolée. Il n’a pas compris le symbole des
injures scandées par plusieurs millions d’égyptiens, «dégage» et «à
bas le régime», les mêmes injures proférées à l’encontre de Moubarak que
certains semblent regretter aujourd’hui.
L’armée
en arbitre
L'armée en ville pendant la révolution |
Mais
l’un des paradoxes consiste à appeler aujourd’hui l’armée en arbitre alors
qu’elle avait été honnie durant la révolution et qu’elle refuse à présent de
servir de rempart du régime. L’avenir est sombre et se profile, soit une
nouvelle dictature, soit la reprise des rênes du pouvoir par une armée à la
recherche de revanche. L’avenir est compromis parce que le dialogue est rompu
entre le pouvoir actuel et le mouvement «Tamarrod», qui regroupe l’opposition
laïque, libérale et de gauche et qui estime que le temps des discussions est
dépassé car le temps presse.
En effet, l’économie
est effondrée au point où le FMI
rechigne à accorder ses prêts. L'industrie est paralysée par des pénuries de
carburant et d'électricité. La population est affamée et manque d’aliments de
base parce que l’État n’a plus les moyens de subventionner le pain et l’essence
face à un manque de devises dans les caisses. Les aides financières de deux
milliards de dollars du Qatar et de la Libye à la Banque centrale égyptienne
ont été gaspillées. Celle de la Turquie est encore attendue.
Al-Sissi avec le secrétaire à la défense Chuck Hagel |
L’armée
n’a pas pris de position claire et son communiqué est un modèle du genre dans
l’ambiguïté. Le général Abdel Fattah al-Sissi a insisté sur le fait que les «revendications
du peuple doivent être satisfaites. Si les revendications du peuple ne sont pas
satisfaites durant cette période, l'armée annoncera une feuille de route et des
mesures pour superviser leur mise en œuvre». Rien n’est dit sur ses
intentions réelles mais le communiqué semble concerner les deux parties. Les Frères
musulmans doivent l’interpréter comme un avertissement à leur encontre tandis
que les manifestants sont conviés à ne pas mettre en doute la légitimité du gouvernement.
Hamdine Sabbahi |
On ne sait
pas si l’armée veut le rassemblement et la réconciliation ou, à nouveau, le
pouvoir sans partage «si la violence venait à échapper à tout contrôle».
Des membres éminents de l’opposition, à l’instar du nationaliste de gauche
Hamdine Sabbahi, n’hésitent plus à faire
appel à l’armée puisqu’ils prônent une solution commune où «le peuple,
l’autorité judiciaire et l’armée mettraient au point un plan destiné à gérer la
transition». L’armée semble avoir sa propre feuille de route sans qu’elle
ait donné ses éclaircissements. Quarante-huit heures semblent trop courtes pour
une décision du régime actuel alors qu’Hosni Moubarak avait été déchu après 18
jours.
Un pays
en décomposition
Mais
le pays se décompose à chaque heure qui passe. Sami Anan, conseiller militaire
du président Morsi et ancien directeur de cabinet du président déchu Moubarak,
a présenté sa démission en signe de solidarité avec les manifestants contre les
Frères musulmans. Cinq ministres égyptiens ont présenté leur démission : le
ministre du Tourisme, Hisham Zaazou, le ministre de la Communication et de
l'informatique Atef Helmi, le ministre des Affaires juridiques et
parlementaires, Hatem Bagato; le ministre des eaux Abdel Qawy Khalifa, et le
ministre de l'Environnement Khaled Abdel-Aal.
Le ministre des Affaires étrangères, Mohammed Kamel Amr, a aussi annoncé son départ. Il est le plus important membre du cabinet à se retirer. Dans la foulée, le porte-parole de la présidence Ehab Fahmi et le porte-parole du gouvernement, Alaa al-Hadidi, ont quitté leur poste. Infligeant un revers supplémentaire au président égyptien, la justice, engagée depuis son élection dans un bras de fer avec Morsi, a ordonné la réintégration du procureur général, Abdel Méguid Mahmoud, nommé sous Hosni Moubarak, qu'il avait limogé en novembre par décret présidentiel. Ces décisions risquent d'avoir un effet dévastateur psychologique.
Le ministre des Affaires étrangères, Mohammed Kamel Amr, a aussi annoncé son départ. Il est le plus important membre du cabinet à se retirer. Dans la foulée, le porte-parole de la présidence Ehab Fahmi et le porte-parole du gouvernement, Alaa al-Hadidi, ont quitté leur poste. Infligeant un revers supplémentaire au président égyptien, la justice, engagée depuis son élection dans un bras de fer avec Morsi, a ordonné la réintégration du procureur général, Abdel Méguid Mahmoud, nommé sous Hosni Moubarak, qu'il avait limogé en novembre par décret présidentiel. Ces décisions risquent d'avoir un effet dévastateur psychologique.
Omar Amer |
Ce n’est pas
par une reconnaissance tardive de ses erreurs que Mohamed Morsi pourra se
relever. Le porte-parole présidentiel Omar Amer a confirmé que
Mohamed Morsi avait appelé au dialogue national : «Morsi a annoncé à tout le peuple d'Égypte qu’il
avait fait des erreurs et qu'il était en train de corriger ces erreurs». Peine
perdue, les émeutiers veulent à présent des décisions tangibles et la seule qui
leur conviendrait serait sa démission.
La position
de l’armée est encore hésitante. Il est clair qu’elle ne veut pas faire
l’erreur de prendre le pouvoir sans l’accord des deux parties pour ne pas
donner l’impression d’un retour au régime de Moubarak sans Moubarak. Il n'est pas certain qu'elle veuille prendre le pouvoir au moment où la situation économique est catastrophique. Les militaires ont aussi compris que le temps des putschs est révolu et que l'opinion internationale n'accordera aucun soutien à une junte arrivée au pouvoir par la force.
Mais ils ont besoin de sauver la face du président Morsi et des Frères musulmans. Alors, pour
éviter une vacance de pouvoir trop longue, ils pourraient permettre à Morsi d’assurer un
régime transitoire le temps de l’organisation de nouvelles élections
législatives et présidentielles, à condition qu’un nouveau gouvernement plus
ouvert soit nommé pour garantir la bonne tenue d’élections sans fraudes.
La Constitution,
qui a été approuvée à 64% par référendum
de décembre 2012, a été l’un des enjeux de la protestation. Pour stabiliser l’État
et calmer les émeutiers, elle devra être
annulée ou amendée de manière significative par un nouveau comité agréé par les
deux parties. Mais la procédure démocratique imposerait des délais qu’il faudra
combler par des mesures transitoires d’autant plus que l’armée n’a pas le droit
d’annuler la Constitution. Il lui reste à trouver une formule juridique qui respectera le droit.
En fait
l’armée impose un délai volontairement court de 48 heures pour forcer opposition
et pouvoir à faire des concessions pour amender ensemble la constitution dans
le cadre d’une procédure démocratique. Cette procédure implique cependant le
retour au calme de la part du régime et de l’opposition. Il ne peut y avoir de
nouveaux morts qui entraineraient une situation instable, non propice aux
discussions, car alors l’armée sera contrainte d’agir pour rétablir l’ordre et
le cas échéant reprendre le pouvoir si le chaos s’installait. Nul n’est capable
de prévoir le meilleur scénario pour l’Égypte.
1 commentaire:
Tout compte fait et au vu des soubresauts et insatisfactions constatées dans les pays où l'Islam prétend gouverner des États, il faut rendre hommage à la « vista » de Kemal Attaturk qui avait institué une constitution dans laquelle un État major militaire supervisait les orientations laïques des lois du pays.
Il ne s'agissait pas d'un hasard: il s'agit du fait qu'il s'était rendu compte que l'Islam, dans son essence, et sans aucun moyen constitutif pour l’accommoder avec l'actualité, était incompatible avec la démocratie et avec le besoin des peuples d'améliorer leurs conditions matérielles.
Cette incompatibilité reste valable pour tous les religieux qui veulent s'immiscer dans la gouvernance d'un pays: Car on élit des politiques pour améliorer le matériel et le présent, alors que pour les religieux le bonheur se recherche dans l’au delà.
Lorsque des politiques sont des religieux, leur concept du monde s'oppose à la mission qui leur est confiée par les électeurs: l'amélioration de leurs conditions de vie sur terre.
La seule chose qu'ils savent faire est l'augmentation des privilèges des autres religieux parce qu'ils sont religieux.
Oui, que ce soit pour n'importe quel pays resté longtemps sans institutions démocratiques, il est utile que l'armée construise ces institutions afin d'y édifier les mécanismes vers la démocratie.
Un bon-vouloir n'équivalant pas à un savoir faire administratif, ce serait œuvre utile, pour éviter toute dérive dictatoriale, que l'ONU, si prompte à déléguer d'inutiles et inefficaces casques bleus, institue des missions de conseillers indépendants, chargés de suggérer au pouvoir militaire en place les étapes qui les mèneront rapidement, sans heurts ni violences, vers les mécanismes d'une démocratie respectant l'identité et les coutumes de ce pays.
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