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jeudi 4 juillet 2013

KOL-ISRAËL - EGYPTE : ET MAINTENANT ? L’ARMÉE OU LE CHAOS



KOL-ISRAËL - EGYPTE : ET MAINTENANT ? L’ARMÉE OU LE CHAOS

Par Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps
          
           
          La situation en Égypte est pleine de paradoxes. La révolution qui a mis fin au règne de Hosni Moubarak avait renvoyé l’armée dans ses casernes après l’avoir accusée d’avoir soutenu à bout de bras un régime désavoué. Un président islamiste et un parlement élus démocratiquement sont arrivés au pouvoir. Le président Morsi, qui fut un deuxième choix des Frères musulmans, avait peut-être l'expérience de la gestion d’une association de bienfaisance aux nécessiteux mais en aucun cas celle d’un pays avec les contraintes économiques internationales.

Cliquer sur le lien pour écouter le journal de Kol-Israël présenté par Annie Gabbai 



Au micro de Annie Gabbai
                      Adeptes des mosquées



          Mais au lieu de prendre le temps nécessaire pour rassembler une population déchirée et avide de démocratie, pour faire l’inventaire de plusieurs années de dictature, pour organiser la relève avec des technocrates plutôt qu’avec des adeptes des mosquées, Mohamed Morsi a voulu tout verrouiller pour accaparer l’ensemble des pouvoirs législatifs et judiciaires. Il s’est alors lancé dans une course effrénée pour islamiser un pays qui n’était pas encore prêt à abandonner ses traditions laïques et sa culture essaimées comme modèles à travers le monde arabe. 
  
          Les Frères musulmans ont été surpris par la chute rapide et non planifiée de Moubarak et n’ont pas eu le temps de se préparer à la gestion du pays.  Avant de réformer à tout va, ils auraient dû prendre un délai pour se préparer de manière minutieuse, pour constituer des équipes techniques et politiques qualifiées, pour apprendre le fonctionnement d’un gouvernement et pour fonder une politique sur d’autres critères que la religion et la charia dont les préceptes sont anachroniques en ces temps de mondialisation.
Le nouveau visage de l'Egypte d'aujourd'hui
          Le peuple voulait du pain et non la charia appliquée au paroxysme,  des emplois et non des promesses, le développement de l’éducation et non l’apprentissage du Coran, la culture comme outil d’émancipation et non d’obscurantisme, la liberté de parole et non l’absence de dialogue, la justice légale et non le fait du Prince. Bref, le régime de Morsi s’est empressé de tout changer, dans le mauvais sens et sans l’aide des forces vives du pays. 
Les deux candidats de la présidentielle

          Et pourtant Morsi savait que son élection avait été obtenue de justesse et qu’au moins la moitié de la population ne l’avait pas agréé. Il n’a même pas assimilé le fait qu’après une année de pouvoir la confiance à son égard s’était étiolée. Il n’a pas compris le symbole des injures scandées par plusieurs millions d’égyptiens, «dégage» et «à bas le régime», les mêmes injures proférées à l’encontre de Moubarak que certains semblent regretter aujourd’hui.

                         L’armée en arbitre


L'armée en ville pendant la révolution


            Mais l’un des paradoxes consiste à appeler aujourd’hui l’armée en arbitre alors qu’elle avait été honnie durant la révolution et qu’elle refuse à présent de servir de rempart du régime. L’avenir est sombre et se profile, soit une nouvelle dictature, soit la reprise des rênes du pouvoir par une armée à la recherche de revanche. L’avenir est compromis parce que le dialogue est rompu entre le pouvoir actuel et le mouvement «Tamarrod», qui regroupe l’opposition laïque, libérale et de gauche et qui estime que le temps des discussions est dépassé car le temps presse.
          En effet, l’économie  est effondrée au point où le FMI rechigne à accorder ses prêts. L'industrie est paralysée par des pénuries de carburant et d'électricité. La population est affamée et manque d’aliments de base parce que l’État n’a plus les moyens de subventionner le pain et l’essence face à un manque de devises dans les caisses. Les aides financières de deux milliards de dollars du Qatar et de la Libye à la Banque centrale égyptienne ont été gaspillées. Celle de la Turquie est encore attendue.
Al-Sissi avec le secrétaire à la défense Chuck Hagel
            L’armée n’a pas pris de position claire et son communiqué est un modèle du genre dans l’ambiguïté. Le général Abdel Fattah al-Sissi a insisté sur le fait que les «revendications du peuple doivent être satisfaites. Si les revendications du peuple ne sont pas satisfaites durant cette période, l'armée annoncera une feuille de route et des mesures pour superviser leur mise en œuvre». Rien n’est dit sur ses intentions réelles mais le communiqué semble concerner les deux parties. Les Frères musulmans doivent l’interpréter comme un avertissement à leur encontre tandis que les manifestants sont conviés à ne pas  mettre en doute la légitimité du gouvernement. 
Hamdine Sabbahi
          On ne sait pas si l’armée veut le rassemblement et la réconciliation ou, à nouveau, le pouvoir sans partage «si la violence venait à échapper à tout contrôle». Des membres éminents de l’opposition, à l’instar du nationaliste de gauche Hamdine Sabbahi,  n’hésitent plus à faire appel à l’armée puisqu’ils prônent une solution commune où «le peuple, l’autorité judiciaire et l’armée mettraient au point un plan destiné à gérer la transition». L’armée semble avoir sa propre feuille de route sans qu’elle ait donné ses éclaircissements. Quarante-huit heures semblent trop courtes pour une décision du régime actuel alors qu’Hosni Moubarak avait été déchu après 18 jours.

                  Un pays en décomposition

            Mais le pays se décompose à chaque heure qui passe. Sami Anan, conseiller militaire du président Morsi et ancien directeur de cabinet du président déchu Moubarak, a présenté sa démission en signe de solidarité avec les manifestants contre les Frères musulmans. Cinq ministres égyptiens ont présenté leur démission : le ministre du Tourisme, Hisham Zaazou, le ministre de la Communication et de l'informatique Atef Helmi, le ministre des Affaires juridiques et parlementaires, Hatem Bagato; le ministre des eaux Abdel Qawy Khalifa, et le ministre de l'Environnement Khaled Abdel-Aal.  
          Le ministre des Affaires étrangères, Mohammed Kamel Amr, a aussi annoncé son départ. Il  est le plus important membre du cabinet à se retirer. Dans la foulée, le porte-parole de la présidence Ehab Fahmi et le porte-parole du gouvernement, Alaa al-Hadidi, ont quitté leur poste. Infligeant un revers supplémentaire au président égyptien, la justice, engagée depuis son élection dans un bras de fer avec Morsi, a ordonné la réintégration du procureur général, Abdel Méguid Mahmoud, nommé sous Hosni Moubarak, qu'il avait limogé en novembre par décret présidentiel. Ces décisions risquent d'avoir un effet dévastateur psychologique.
Omar Amer

          Ce n’est pas par une reconnaissance tardive de ses erreurs que Mohamed Morsi pourra se relever. Le porte-parole présidentiel Omar Amer a confirmé que Mohamed Morsi avait appelé au dialogue national : «Morsi  a annoncé à tout le peuple d'Égypte qu’il avait fait des erreurs et qu'il était en train de corriger ces erreurs». Peine perdue, les émeutiers veulent à présent des décisions tangibles et la seule qui leur conviendrait serait sa démission.
          La position de l’armée est encore hésitante. Il est clair qu’elle ne veut pas faire l’erreur de prendre le pouvoir sans l’accord des deux parties pour ne pas donner l’impression d’un retour au régime de Moubarak sans Moubarak. Il n'est pas certain qu'elle veuille prendre le pouvoir au moment où la situation économique est catastrophique. Les militaires ont aussi compris que le temps des putschs est révolu et que l'opinion internationale n'accordera aucun soutien à une junte arrivée au pouvoir par la force. 

          Mais ils ont besoin de sauver la face du président Morsi et des Frères musulmans. Alors, pour éviter une vacance de pouvoir trop longue, ils pourraient permettre à Morsi d’assurer un régime transitoire le temps de l’organisation de nouvelles élections législatives et présidentielles, à condition qu’un nouveau gouvernement plus ouvert soit nommé pour garantir la bonne tenue d’élections sans fraudes.
          La Constitution, qui  a été approuvée à 64% par référendum de décembre 2012, a été l’un des enjeux de la protestation. Pour stabiliser l’État et calmer les émeutiers, elle devra  être annulée ou amendée de manière significative par un nouveau comité agréé par les deux parties. Mais la procédure démocratique imposerait des délais qu’il faudra combler par des mesures transitoires d’autant plus que l’armée n’a pas le droit d’annuler la Constitution. Il lui reste à trouver une formule juridique  qui respectera le droit.
          En fait l’armée impose un délai volontairement court de 48 heures pour forcer opposition et pouvoir à faire des concessions pour amender ensemble la constitution dans le cadre d’une procédure démocratique. Cette procédure implique cependant le retour au calme de la part du régime et de l’opposition. Il ne peut y avoir de nouveaux morts qui entraineraient une situation instable, non propice aux discussions, car alors l’armée sera contrainte d’agir pour rétablir l’ordre et le cas échéant reprendre le pouvoir si le chaos s’installait. Nul n’est capable de prévoir le meilleur scénario pour l’Égypte.

1 commentaire:

Unknown a dit…

Tout compte fait et au vu des soubresauts et insatisfactions constatées dans les pays où l'Islam prétend gouverner des États, il faut rendre hommage à la « vista » de Kemal Attaturk qui avait institué une constitution dans laquelle un État major militaire supervisait les orientations laïques des lois du pays.
Il ne s'agissait pas d'un hasard: il s'agit du fait qu'il s'était rendu compte que l'Islam, dans son essence, et sans aucun moyen constitutif pour l’accommoder avec l'actualité, était incompatible avec la démocratie et avec le besoin des peuples d'améliorer leurs conditions matérielles.
Cette incompatibilité reste valable pour tous les religieux qui veulent s'immiscer dans la gouvernance d'un pays: Car on élit des politiques pour améliorer le matériel et le présent, alors que pour les religieux le bonheur se recherche dans l’au delà.
Lorsque des politiques sont des religieux, leur concept du monde s'oppose à la mission qui leur est confiée par les électeurs: l'amélioration de leurs conditions de vie sur terre.
La seule chose qu'ils savent faire est l'augmentation des privilèges des autres religieux parce qu'ils sont religieux.
Oui, que ce soit pour n'importe quel pays resté longtemps sans institutions démocratiques, il est utile que l'armée construise ces institutions afin d'y édifier les mécanismes vers la démocratie.

Un bon-vouloir n'équivalant pas à un savoir faire administratif, ce serait œuvre utile, pour éviter toute dérive dictatoriale, que l'ONU, si prompte à déléguer d'inutiles et inefficaces casques bleus, institue des missions de conseillers indépendants, chargés de suggérer au pouvoir militaire en place les étapes qui les mèneront rapidement, sans heurts ni violences, vers les mécanismes d'une démocratie respectant l'identité et les coutumes de ce pays.