Grand Sanhédrin des Israélites de l'Empire français & du Royaume d'Italie |
Hannah Arendt |
Hannah Arendt [1] relève dans «Eichmann à
Jérusalem [2]» qu’au vingtième siècle encore «les Juifs d’Europe de l’Est étaient considérés comme
un peuple distinct par leurs amis comme par leurs ennemis… Je ne crois pas pour ma part m’être jamais
considérée comme allemande – au sens d’appartenance à un peuple et non
d’appartenance à un État, si je puis me permettre cette distinction[3]».
Vers la fin de la seconde guerre mondiale cette
intellectuelle, de nationalité et de culture allemande, ajoute qu’elle espère
qu’émergera une Europe unie dans laquelle «les Juifs seraient reconnus en
tant que nation européenne et représentés au Parlement[4]». Les Juifs en exil
ont de tous temps été un peuple dans le peuple partout où ils étaient établis.
C’est ainsi qu’à Babylone la communauté juive eut pendant mille ans ses propres
tribunaux, sa police, ses corporations, ses régions, ses académies, et même un souverain
avec pour titre officiel «l’Exilarque [5]».
Dans la majeure partie du monde, les Juifs étaient
gouvernés par des institutions autonomes reconnues par le pouvoir local. Les
décisions des tribunaux rabbiniques fonctionnaient sur base du droit talmudique
[6] et avaient force de loi. Ils pouvaient même dans certains cas prononcer la
peine de mort [7]. Des Juifs vivant en dehors de ce cadre étaient rarissimes et
finissaient le plus souvent par se convertir au christianisme ou à l’islam.
Quand, au 17ème siècle, Spinoza [8] est excommunié par les rabbins d’Amsterdam,
il n’a pas vers qui se tourner. C’est pour cette raison qu’il est souvent
considéré comme le premier Juif laïc.
Des théoriciens du sionisme des origines comme Ahad
Ha’am [9] ou Bialik [10] avaient conscience du fait que l’Émancipation avait
été une arme à double tranchant. Passer du statut de peuple dans le peuple à
celui de citoyens à part entière partout dans le monde risquait d’entraîner une
extinction de la judéité par le biais l’assimilation. Un peuple est une fiction
à partir d’une conscience collective se référant à une continuité historique.
Le sionisme est donc avant tout un mouvement de libération nationale de Juifs
revendiquant un État au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
Contrairement à une idée reçue, la résilience de la judéité est due à la
persistance de l’appartenance à un peuple, et non pas à une religion.
Hertzl |
À cela, on oppose parfois que c’est la religion qui
a permis de maintenir l’identité juive en exil, mais cette manière de voir
consiste à interpréter le passé à l’aune du présent. Aujourd’hui de nombreux
Juifs sont non-pratiquants, voire athées, mais revendiquent leur appartenance
au peuple juif, dont près de la moitié vit en Israël. Israël n’est pas une
théocratie, conformément au souhait de Theodor Herzl [11] qui dans «l’État
Juif [12]» écrit «nous ne laisserons pas prendre racine les
velléités théocratiques de nos rabbins. Nous saurons les maintenir dans leurs
synagogues de même que nous maintiendrons nos militaires dans leurs casernes.
L’armée et le clergé doivent être honorés comme l’exige et le mérite leur
fonction. L’État les respectera, mais ils n’auront rien à dire».
La Diaspora juive est en voie de disparition. Partout où la judéité n’est plus qu’une religion, son déclin est inéluctable. Les mouvances ultra-orthodoxes persisteront dans des enclaves aux États-Unis ou ailleurs, mais c’est précisément parce qu’elles ne sont pas assimilables. Mais en dehors de cela, la résilience juive n’est plus pensable ailleurs qu’en Israël, l’État du peuple juif.
[1] Politologue, philosophe et journaliste juive allemande décédée en 1975.
[2] « Eichmann à Jérusalem », Viking Press, 1963, chapitre « Les déportations des Balkans »
[3] Idem
[4] Compilation des écrits de
Hannah Arendt sur la judéité. Editions Fayard 2011.
[5] Le « Chef de l’exil » était le
représentant du judaïsme babylonien reconnu par l’État et s’accompagnait de
privilèges et prérogatives.
[6] המשפט העברי, מנחם אלון,1973 הוצעת מגנס
[7] Idem
[8] Philosophe rationaliste
d’origine séfarade portugaise mort en 1677.
[9] Penseur nationaliste juif et
leader des Amants de Sion. L’un des pères de la littérature hébraïque moderne.
[10] Poète, essayiste et
journaliste en langue hébraïque d’origine ukrainienne. Mort en Palestine en
1934.
[11] Journaliste et écrivain juif
austro-hongrois, mort en 1904. Fondateur du mouvement sioniste.
2 commentaires:
Vous monsieur qui avait vécu loin d’Israël votre vie durant et fait votre allyah à votre retraite, est-il raisonnable de donner des conseils aussi péremptoires aux juifs de diaspora ?
Vous semblez bien optimiste concernant Israël mais êtes-vous certain de sa longévité si la religion venait à s’éteindre pour ne former qu’un peuple qui disparaîtra par assimilation comme en diaspora selon vos prédictions?
Madame Allouche, c’est précisément parce que j’ai passé la majeure de partie de ma vie en Diaspora que je me permets de faire un pronostic quant à son avenir. Mais nulle part dans mon article n'est-il question de donner des conseils. Ce que je dis ne relève que de constats, quitte à vous d’être en désaccord avec ceux-ci. Ces constats sont les suivants : Le peuple juif diminue à grande vitesse en dehors d’Israël, et grandit à grande vitesse à l’intérieur d’Israël, mais c’est sans lien avec la religion. Tout au long de l’antiquité, quand le peuple juif était souverain, une grande partie était païenne, y compris les Rois d’Israël eux-mêmes, à commencer par Salomon à la fin de sa vie. Cela n’a pas empêché le peuple de survivre en tant que peuple.
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