LE HEZBOLLAH CONTRAINT DE COMPOSER AVEC ISRAËL
Par Jacques BENILLOUCHE
Depuis la guerre du
Liban de 2006, il n’y a pas eu de confrontation sérieuse avec le Hezbollah mais quelques
escarmouches sans grande conséquence. Israël avait en effet donné au
gouvernement libanais la liste exhaustive des structures industrielles et
militaires qui seraient détruites dans l’heure, en cas de tir de missiles sur
Israël par la milice chiite. La menace a été prise au sérieux par le président
Aoun, allié du Hezbollah. Le calme a donc régné bien que les menaces se soient
faites de plus en plus pressantes. Le Hezbollah semble aujourd’hui avoir choisi
la voie de la raison plutôt que de l’aventure face à l’affaiblissement de
la Syrie et au désengagement russe. Certes Israël ne peut faire totalement confiance à la milice mais il peut essayer la voie pacifique tout en développant la force
militaire de Tsahal aux frontières du Liban.
Banque attaquée au Liban |
La crise économique dramatique au Liban a fini par persuader Hassan Nasrallah qu’il n’avait aucun intérêt à envenimer la situation. La délimitation de la frontière maritime a donné au Hezbollah l’occasion d’entrer sur la scène diplomatique comme partenaire à part entière dont l’avis compte. À la surprise générale, plusieurs hauts dignitaires de la milice se sont montrés très coopératifs et ont écarté toute intention belliqueuse de leurs discours, dans une sorte d’attitude commune nouvelle.
Nasrallah avait prononcé un discours à la fin de la marche centrale de l'organisation à
Baalbek pour l'évènement Arbaeen, lorsque les chiites pleurent la mort de l'imam Hussain bin Ali,
petit-fils de Mohammad. La télévision al-Manar, le 17 septembre 2022, avait
rapporté des propos de Nasrallah qui détonnaient par rapport à sa sémantique
habituelle puisqu’il y déclarait que le Liban avait actuellement une occasion
en or d'améliorer sa situation économique en produisant du pétrole et du
gaz. Il avait affirmé que le champ gazier de Karish resterait inactif
jusqu'à ce que la frontière navale du Liban soit délimitée. Tant que le différend n'était pas résolu et que les «justes demandes» du Liban n'auraient
pas été satisfaites, aucun pétrole ou gaz ne serait produit par cette région
sachant que les «yeux et les roquettes» du Hezbollah étaient pointés sur
Karish. Le Hezbollah était donc prêt à donner une véritable chance à une
résolution négociée, loin d'une confrontation, mais il a prévenu que si cela se
transformait en confrontation, il y serait également préparé. Ce langage pacifique
est nouveau mais profondément intéressé.
Nabil Qaouk |
Sur Radio Nur, le 18 septembre
2022, le haut responsable Nabil Qaouk avait prononcé un discours dans le
village de Ramyeh, près de la frontière israélo-libanaise, où il avait affirmé que
la seule chance pour le Liban de se sortir de ses difficultés économiques était
de reprendre ses ressources pétrolières et gazières. Le Hezbollah assurerait
leur restauration mais pas la médiation américaine.
Hashem Safi al-Din, chef du
Conseil exécutif du Hezbollah et successeur putatif de Nasrallah, avait précisé que sa position sur l’exploitation
du champ gazier de Karish dépendait des actions d’Israël. Le Hezbollah était convaincu
que le Liban recevrait les droits sur la zone contestée. Le commentateur politique Yahya Dabouq a estimé dans le quotidien al-Akhbar affilié
au Hezbollah que, à la suite de l'avancée des négociations sur la délimitation de la
frontière maritime, «Israël veut signer l'accord rapidement mais craint que
s'il le fait, le Hezbollah présenterait l'accord comme l'une de ses réussites». Selon
lui, seules les menaces explicites du Hezbollah, qui incluaient la stratégie de
la corde raide, ont empêché Israël et les États-Unis d'accumuler des
réalisations aux dépens des droits naturels du Liban. Cette analyse tend à
justifier auprès des militants la position modérée, sinon pragmatique, du
Hezbollah.
La pénurie de carburant pousse le Hezbollah à
composer. En effet, le manque de carburant pourrait arrêter les stations de
pompage d'eau à Tyr ce qui a incité le Hezbollah à livrer 3.300 litres à la
compagnie des eaux de la ville. Par ailleurs, les tensions entre organisations
palestiniennes aggravent la situation au Liban.
Le lieutenant-colonel du Fatah Alaa al-Din a été abattu dans le camp de
réfugiés d'Ayn al-Hilweh, près de Sidon, par trois hommes non identifiés. Il
était responsable des relations extérieures du Fatah dans le camp de réfugiés
et, en raison de son rôle, avait également des liens avec la sécurité
libanaise. Son assassinat a provoqué des tensions dans la région.
Amir-Abdollahian |
À la suite de la grave crise
énergétique au Liban, le ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein
Amir-Abdollahian, a officiellement contacté le gouvernement libanais et a
proposé de commencer la construction immédiate de deux centrales électriques
pour fournir de l'électricité avec la capacité de produire 1.000
mégawatts. L’une sera construite à Beyrouth et l'autre au sud du Liban. Accepter
l'offre iranienne signifiera une augmentation substantielle du pouvoir du
Hezbollah au Liban et de l'influence de l'Iran sur la politique intérieure du
Liban mais donnera à Israël d’autres cibles potentielles à détruire en cas
d’attaque du Hezbollah. De plus, le Liban recevra de l'Iran du carburant en
guise de cadeau donc non passible de sanctions.
Photo satellite montrant les dégâts après une frappe israélienne visant l'aéroport d'Alep 7 septembre 2022 |
Par ailleurs, plusieurs attaques
ont été menées par l’aviation israélienne dans la région d’Alep contre des
entrepôts d'armes des milices soutenues par l'Iran stationnés près de
l'aéroport. Assad a donc demandé au Hezbollah de se déployer en Syrie
pour soulager la pression israélienne sur les forces syriennes et pour renforcer
les sites où se trouvaient des forces et donc de dégarnir sa présence au Liban ce qui le rend plus vulnérable. Les
attaques ont fait un grand nombre de victimes syriennes et endommagé des
installations et des moyens militaires fournis par l'Iran. Par ailleurs,
en raison de la guerre en Ukraine, la Russie ne peut plus reconstituer l'arsenal de missiles sol-air de l'armée syrienne qui ne peut plus viser l'aviation israélienne tandis que les convois d'armement du Hezbollah sont systématiquement détruits.
C'est pourquoi, Assad a
décidé d’éviter toute guerre avec Israël et a conseillé au Hezbollah d’en
faire autant. Une telle décision stratégique a été bien sûr prise après des
communications personnelles entre Nasrallah et Assad pour coordonner une
présence du Hezbollah sur Alep. La milice a donc dégarni ses forces au Liban
d’où sa nécessité de négocier avec Israël car il craint d’être la cible
d’attaques. Le retrait des batteries
anti-aériennes russes de Syrie a exposé les milices à l'est et les a rendues
plus vulnérables aux frappes aériennes israéliennes. Les Syriens ont
affirmé avoir identifié des activités intensives de collecte de renseignements
par les forces israéliennes, ce qui a accru les craintes
d'attaques supplémentaires contre les bases des milices.
Le Hezbollah a donc donné son
imprimatur à l’accord gazier avec Israël ce qui le condamne à plus de retenue
pendant plusieurs mois. Le gouvernement israélien a choisi de son côté de
prendre un risque limité avec la milice. Les Libanais n'envisagent pas de reconnaissance diplomatique mais refusent l'affrontement
militaire. C'est un premier pas. Les armes libanaises restent au vestiaire. Cependant, par la force des choses,
une certaine reconnaissance de l’État d’Israël reste implicite. Une
confrontation autour d’une table de négociations est préférable à une guerre
sur un champ de bataille. Israël ne peut se permettre de perdre un seul soldat et de rééditer l’action militaire de 2006 qui a fait plus de 150 victimes militaires
israéliennes. Il ne s’agit pas de pacifisme déplacé mais de la réalité sur le
terrain sachant que les ennemis d’Israël ne sont plus les Fédayins de 1967 disposant d'armes conventionnelles.
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