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mardi 18 octobre 2022

Le Hezbollah contraint de composer avec Israël


LE HEZBOLLAH CONTRAINT DE COMPOSER AVEC ISRAËL


Par Jacques BENILLOUCHE

Copyright © Temps et Contretemps


            

          Depuis la guerre du Liban de 2006, il n’y a pas eu de confrontation sérieuse avec le Hezbollah mais quelques escarmouches sans grande conséquence. Israël avait en effet donné au gouvernement libanais la liste exhaustive des structures industrielles et militaires qui seraient détruites dans l’heure, en cas de tir de missiles sur Israël par la milice chiite. La menace a été prise au sérieux par le président Aoun, allié du Hezbollah. Le calme a donc régné bien que les menaces se soient faites de plus en plus pressantes. Le Hezbollah semble aujourd’hui avoir choisi la voie de la raison plutôt que de l’aventure face à l’affaiblissement de la Syrie et au désengagement russe. Certes Israël ne peut faire totalement confiance à la milice mais il peut essayer la voie pacifique tout en développant la force militaire de Tsahal aux frontières du Liban.



Banque attaquée au Liban


La crise économique dramatique au Liban a fini par persuader Hassan Nasrallah qu’il n’avait aucun intérêt à envenimer la situation. La délimitation de la frontière maritime a donné au Hezbollah l’occasion d’entrer sur la scène diplomatique comme partenaire à part entière dont l’avis compte. À la surprise générale, plusieurs hauts dignitaires de la milice se sont montrés très coopératifs et ont écarté toute intention belliqueuse de leurs discours, dans une sorte d’attitude commune nouvelle. 



Nasrallah avait prononcé un discours à la fin de la marche centrale de l'organisation à Baalbek pour l'évènement Arbaeen,  lorsque les chiites pleurent la mort de l'imam Hussain bin Ali, petit-fils de Mohammad. La télévision al-Manar, le 17 septembre 2022, avait rapporté des propos de Nasrallah qui détonnaient par rapport à sa sémantique habituelle puisqu’il y déclarait que le Liban avait actuellement une occasion en or d'améliorer sa situation économique en produisant du pétrole et du gaz. Il avait affirmé que le champ gazier de Karish resterait inactif jusqu'à ce que la frontière navale du Liban soit délimitée. Tant que le différend n'était pas résolu et que les «justes demandes» du Liban n'auraient pas été satisfaites, aucun pétrole ou gaz ne serait produit par cette région sachant que les «yeux et les roquettes» du Hezbollah étaient pointés sur Karish. Le Hezbollah était donc prêt à donner une véritable chance à une résolution négociée, loin d'une confrontation, mais il a prévenu que si cela se transformait en confrontation, il y serait également préparé. Ce langage pacifique est nouveau mais profondément intéressé.  

Nabil Qaouk


Sur Radio Nur, le 18 septembre 2022, le haut responsable Nabil Qaouk avait prononcé un discours dans le village de Ramyeh, près de la frontière israélo-libanaise, où il avait affirmé que la seule chance pour le Liban de se sortir de ses difficultés économiques était de reprendre ses ressources pétrolières et gazières. Le Hezbollah assurerait leur restauration mais pas la médiation américaine.

Hashem Safi al-Din, chef du Conseil exécutif du Hezbollah et successeur putatif de Nasrallah, avait précisé que sa position sur l’exploitation du champ gazier de Karish dépendait des actions d’Israël. Le Hezbollah était convaincu que le Liban recevrait les droits sur la zone contestée. Le commentateur politique Yahya Dabouq a estimé dans le quotidien al-Akhbar affilié au Hezbollah que, à la suite de l'avancée des négociations sur la délimitation de la frontière maritime, «Israël veut signer l'accord rapidement mais craint que s'il le fait, le Hezbollah présenterait l'accord comme l'une de ses réussites». Selon lui, seules les menaces explicites du Hezbollah, qui incluaient la stratégie de la corde raide, ont empêché Israël et les États-Unis d'accumuler des réalisations aux dépens des droits naturels du Liban. Cette analyse tend à justifier auprès des militants la position modérée, sinon pragmatique, du Hezbollah.



La pénurie de carburant pousse le Hezbollah à composer. En effet, le manque de carburant pourrait arrêter les stations de pompage d'eau à Tyr ce qui a incité le Hezbollah à livrer 3.300 litres à la compagnie des eaux de la ville. Par ailleurs, les tensions entre organisations palestiniennes aggravent la situation au Liban.  Le lieutenant-colonel du Fatah Alaa al-Din a été abattu dans le camp de réfugiés d'Ayn al-Hilweh, près de Sidon, par trois hommes non identifiés. Il était responsable des relations extérieures du Fatah dans le camp de réfugiés et, en raison de son rôle, avait également des liens avec la sécurité libanaise. Son assassinat a provoqué des tensions dans la région.

Amir-Abdollahian


À la suite de la grave crise énergétique au Liban, le ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein Amir-Abdollahian, a officiellement contacté le gouvernement libanais et a proposé de commencer la construction immédiate de deux centrales électriques pour fournir de l'électricité avec la capacité de produire 1.000 mégawatts. L’une sera construite à Beyrouth et l'autre au sud du Liban. Accepter l'offre iranienne signifiera une augmentation substantielle du pouvoir du Hezbollah au Liban et de l'influence de l'Iran sur la politique intérieure du Liban mais donnera à Israël d’autres cibles potentielles à détruire en cas d’attaque du Hezbollah. De plus, le Liban recevra de l'Iran du carburant en guise de cadeau donc non passible de sanctions.

Photo satellite montrant les dégâts après une frappe israélienne visant l'aéroport d'Alep 7 septembre 2022


Par ailleurs, plusieurs attaques ont été menées par l’aviation israélienne dans la région d’Alep contre des entrepôts d'armes des milices soutenues par l'Iran stationnés près de l'aéroport. Assad a donc demandé au Hezbollah de se déployer en Syrie pour soulager la pression israélienne sur les forces syriennes et pour renforcer les sites où se trouvaient des forces et donc de dégarnir sa présence au Liban ce qui le rend plus vulnérable. Les attaques ont fait un grand nombre de victimes syriennes et endommagé des installations et des moyens militaires fournis par l'Iran. Par ailleurs, en raison de la guerre en Ukraine, la Russie ne peut plus reconstituer l'arsenal de missiles sol-air de l'armée syrienne qui ne peut plus viser l'aviation israélienne tandis que les convois d'armement du Hezbollah sont systématiquement détruits. 

C'est pourquoi, Assad a décidé d’éviter toute guerre avec Israël et a conseillé au Hezbollah d’en faire autant. Une telle décision stratégique a été bien sûr prise après des communications personnelles entre Nasrallah et Assad pour coordonner une présence du Hezbollah sur Alep. La milice a donc dégarni ses forces au Liban d’où sa nécessité de négocier avec Israël car il craint d’être la cible d’attaques.  Le retrait des batteries anti-aériennes russes de Syrie a exposé les milices à l'est et les a rendues plus vulnérables aux frappes aériennes israéliennes. Les Syriens ont affirmé avoir identifié des activités intensives de collecte de renseignements par les forces israéliennes, ce qui a accru les craintes d'attaques supplémentaires contre les bases des milices. 

Le Hezbollah a donc donné son imprimatur à l’accord gazier avec Israël ce qui le condamne à plus de retenue pendant plusieurs mois. Le gouvernement israélien a choisi de son côté de prendre un risque limité avec la milice. Les Libanais n'envisagent pas de reconnaissance diplomatique mais refusent l'affrontement militaire. C'est un premier pas. Les armes libanaises restent au vestiaire. Cependant, par la force des choses, une certaine reconnaissance de l’État d’Israël reste implicite. Une confrontation autour d’une table de négociations est préférable à une guerre sur un champ de bataille. Israël ne peut se permettre de perdre un seul soldat et de rééditer l’action militaire de 2006 qui a fait plus de 150 victimes militaires israéliennes. Il ne s’agit pas de pacifisme déplacé mais de la réalité sur le terrain sachant que les ennemis d’Israël ne sont plus les Fédayins de 1967 disposant d'armes conventionnelles.

  

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