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jeudi 2 mai 2019

Quelle mouche a piqué le Druze libanais Joumblatt ?



QUELLE MOUCHE A PIQUÉ LE DRUZE LIBANAIS JOUMBLATT ?

Par Jacques BENILLOUCHE
Copyright © Temps et Contretemps
       
Walid Joumblatt

          Les fermes de Shebaa, ou Har Dov est une bande de territoire contesté à la frontière entre le Liban et le plateau du Golan. Ce territoire disputé de deux kilomètres de large et de dix kilomètres de long, est situé au sud du village libanais de Shebaa, sur les pentes ouest du Mont Hermon, et à proximité du point de triple frontière entre Syrie, Liban et Israël. Son altitude atteint jusqu'à 1.880 mètres, ce qui ajoute une valeur stratégique. En 1964, le Liban et la Syrie ne sont pas parvenu à démarquer une frontière commune; donc le territoire est resté en Syrie. Quand Israël a évacué le Sud-Liban en 2000, il a gardé ces territoires syriens et l’ONU a certifié le «retrait complet de tous les territoires libanais».



Le Hezbollah justifie ses attaques contre Israël par cette revendication territoriale, estimant que les fermes de Shebaa sont libanaises. Mais ce n’est pas l’avis du libanais Walid Joumblatt, chef de la communauté druze, qui confirme que ces fermes ne sont pas libanaises. Il a été rejoint, autour de la même idée, par le chef des Forces libanaises, Samir Geagea. Les deux chefs sont convaincus que le Hezbollah expose le Liban à un grand danger.

Samir Geagea

Alors que jusqu’à présent les Druzes appuyaient le Hezbollah, Joumblatt a décidé de rompre le discours officiel en se démarquant de la thèse gouvernementale et en ne ménageant pas le Hezbollah. Il a confirmé sans ambages que les fermes de Shebaa ne sont pas libanaises et qu’elles sont «occupées» par le Liban. Ce revirement politique est très apprécié par Israël parce qu’il élimine tout contentieux avec le Liban. Il s’agit d’une position courageuse et originale qui met dorénavant Joumblatt dans le viseur des islamistes.
La critique est ferme à l’égard de la «moumanaa» (l’axe de la résistance) qui, selon lui, porte préjudice au Liban : «Il n’est pas surprenant qu’une décision ait été prise par une institution judiciaire (le Conseil d’État) pour détruire la nature dans la réserve des cèdres du Chouf et les terrains appartenant à Aïn Dara. Le pays entier est ouvert à tous vents pour servir les intérêts de la moumanaa. Cela commence au niveau des carrières et va crescendo». En fait cette attaque intervient au moment où le Conseil d’État a autorisé la construction d’une énorme cimenterie à Aïn Dara, décidée par le Hezbollah.

Carrière qui défigure Aïn Dara

De son côté Samir Geagea s’inquiète de «la politique des axes qui consiste à adopter des décisions unilatéralement, en faisant fi de l’unanimité gouvernementale. Le fait d’hypothéquer la décision stratégique de l’État conduira en définitive à sa perte. Notre parti continuera de militer pour atteindre l’objectif qu’il s’est fixé : un État au vrai sens du terme, qui détient, seul, la décision de paix et de guerre ; une République forte grâce à sa bonne gouvernance et à la probité de ses dirigeants et qui sera au service de son peuple et non pas une République de pacotille qui cède son pouvoir de décision aux autres, rongée par la corruption et minée par l’échec».  
Walid Joumblatt a donné une explication historique à ce contentieux avec Israël: «Après la libération du Liban-Sud, en l’an 2000, des officiers libanais ont entrepris, en collaboration avec la Syrie, de modifier les cartes géographiques pour faire en sorte que les fermes de Shebaa et Wadi el-Assal (à la frontière avec le Golan) soient intégrés au territoire libanais, afin de garder le prétexte d’une terre occupée qu’il fallait libérer à tout prix. Les fermes de Shebaa ne sont pas libanaises. En théorie, c’est nous qui les occupons».
En fait le leader druze voit plus loin. Il veut que cette délimitation des frontières avec Israël soit agréée pour commencer les opérations de prospection gazière et pétrolière off-shore. Il en a profité pour se déchaîner contre le président syrien, Bachar el-Assad, l’accusant d’être «un grand menteur car il avait adressé en 2012 une lettre au Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, via un émissaire russe, pour le rassurer sur le fait qu’un mini-État alaouite en Syrie ne représentait pas un risque pour Israël».

Joumblatt veut faire la leçon à la milice chiite : «Le Hezbollah doit s’ouvrir aux critiques, il doit apprendre à écouter. Je rêve d’un Liban où le dédoublement du pouvoir aura disparu. Le printemps arabe se poursuit, en exemple ce qui se passe en Algérie et au Soudan, où des peuples prennent la parole et s’expriment». En revanche il s’est dit «désenchanté de ce qui se passe au Moyen-Orient».
En fait, il ne veut plus retenir ses coups, donne l’impression de vouloir se rapprocher d’Israël et laissé éclater son amertume quand il «compare le régime inhumain et despotique syrien à celui d’Israël. Le grand rêve arabe s’est évanoui avec la disparition de Nasser et de Arafat ». Il a précisé d’ailleurs que son père Kamal Joumblatt avait refusé de «rejoindre la grande prison syrienne. L’Iran et le Hezbollah ont rempli le vide laissé par les Arabes, et ont repris le flambeau de la défense de la Palestine. Certes, je conçois que la population du Liban-Sud ait pu considérer que le Hezbollah la défend, mais je rêve d’un Liban où le dédoublement du pouvoir aura disparu, ou il n’y aura plus qu’un seul pouvoir exécutif. Nous avons le droit de rêver ; le Hezbollah ne peut confisquer ma libre décision indéfiniment. Il doit s’ouvrir aux critiques, il doit apprendre à écouter. Certes, une guerre peut hypothétiquement éclater à tout moment, mais je ne crois pas que Benjamin Netanyahou va s’y aventurer. Il tentera au préalable d’anéantir toute opposition à Gaza».

Zones gazières

Il a révélé qu’au sujet des richesses gazières du Liban : «Israël nous a proposé de négocier directement,  ce qui n’est pas dans nos possibilités». Il a tracé le Liban de l’avenir qui s'inspire de celui d’Israël ; il veut «une juste redistribution des richesses du pays, et notamment une nette indépendance de l’industrie vis-à-vis de la classe commerçante, la protection de l’agriculture et le développement d’industries légères, en particulier de l’industrie informatique».
            Walid Joumblatt serait ainsi le premier dirigeant au Liban à envisager un aggiornamento qui permettrait au Liban la cessation de l’état de guerre et une entrée dans la modernité.  Il a compris que cela impliquait l’acceptation, au moins partielle, des nouvelles conditions politiques régionales et de l’évolution de la société contemporaine. Mais il est encore trop minoritaire pour être entendu.

2 commentaires:

Micha a dit…

Je prie qu'HM lui prête vie et que sa démarche courageuse ne soit pas interrompue par les terroristes du Hezbollah qui ont déjà tué beaucoup d'hommes politiques parce qu'ils voulaient retirer la chape de plomb qui pèse depuis trop longtemps sur le Liban.

L'affaiblissement de l'Iran et donc du Hezbollah en cours, malgré les gesticulations d'une Europe auto-suicidaire, devrait contribuer à l'évolution positive à laquelle nous aspirons, en espérant voir bientôt la paix avec nos voisins du Nord.

V.Jabeau a dit…

Les US via Mike Pompéo sont venus très récemment expliquer aux Libanais que le Hezbollah et l’Iran en Syrie étaient en danger face à la détermination des Américains (durcissement des sanctions vers les pays qui continuent à acheter du pétrole iranien) et des Israéliens. Les Libanais sont priés de rester en dehors sous peine de payer un prix élevé. 2 porte avions US arrivent en Méditerranée orientale.
D’où la soudaine illumination de la classe politique libanaise non Hezbollah.
Voilà la mouche qui a piqué M. Joumblatt et que vous trouverez à la lecture de quelques bons journaux internationaux (bon pas en France car c’est un peu loin des référentiels de l’AFP).