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lundi 27 mai 2019

Mobilisation de l'opposition israélienne contre Netanyahou



Par Jacques BENILLOUCHE
Copyright © Temps et Contretemps
       
          Il est rare qu’une partie de la population israélienne s’exprime de manière aussi visible dans les rues de Tel-Aviv et de Jérusalem pour s’opposer à l’érosion démocratique du pays. Des Israéliens s’inquiètent de la volonté du gouvernement d’affaiblir le système judiciaire sous prétexte que la justice veut traduire Benjamin Netanyahou en justice. Le premier ministre dispose encore d’un délai jusqu’au 29 mai pour proposer son nouveau gouvernement qui peine à se constituer face aux exigences, démesurées et parfois et contradictoires, des mini partis.


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Les difficultés son telles que, pressé par le temps, Netanyahou succombe aux diktats, en particulier celui concernant la révision de la loi qui permettrait aux jeunes ultra-orthodoxes de ne pas être incorporés dans l’armée. Ce qui est un casus belli pour Avigdor Lieberman qui, à ce jour, a décidé de ne pas intégrer le gouvernement ramené à une coalition minoritaire de 60 sièges sur 120. 
Le Likoud est prêt à tout pour protéger le premier ministre, quitte à modifier le système judiciaire pour empêcher qu’il soit traduit en justice. Mais les mesures envisagées affaibliraient le système judiciaire et réduirait la Cour suprême, contre-pouvoir ultime, en organe purement consultatif dont les décisions n’auraient aucun pouvoir contraignant. Par ailleurs de nouvelles lois sont prévues pour assurer l'immunité des députés soupçonnés de corruption ce qui ouvre l'espace à toutes les dérives.

            Effectivement, le procureur général Avichai Mandelblit a repoussé autant qu’il a pu les échéances judiciaires mais il a fixé au mois d’octobre son audience préliminaire pour mettre en accusation le Premier ministre pour fraude, abus de confiance et corruption. A l’appel des partis d’opposition, des milliers de personnes ont brandi des drapeaux israéliens et des slogans tels que «Un peuple, une loi» et «Erdogan est déjà là», faisant référence au président turc Recep Tayyip Erdogan, qui a bâillonné le système politique de son pays pour son propre bénéfice.
Benny Gantz a pris la parole durant le meeting : «Nous ne vous laisserons pas transformer Israël démocratique en cour privée d'une famille royale ou d'un sultanat. Israël est la réalisation d'un rêve, mais je suis ici pour dire haut et fort ce que nous ressentons tous, le rêve est en train de s'effondrer. Certains tentent de remplacer le régime du peuple par le régime d'un seul homme et asservir une nation entière aux intérêts d’un seul homme». En écho, le centriste Yaïr Lapid estime que «Nous n’aurons pas de dictateur turc. Vous n'êtes pas au-dessus des lois, nous ne vous laisserons pas être un dictateur». Tamar Zandberg, leader de la gauche Meretz, a déclaré «Il n'y a pas de roi en Israël, nous sommes l'État, pas Netanyahou. Il va écraser la Cour suprême pour empêcher la justice de suivre son cours avec un criminel en fuite».
Les organisateurs ont pêché par modestie car le lieu de la manifestation, le musée d'art de Tel Aviv, était trop exiguë pour accueillir les dizaines qui ont participé à l'événement. Les rues étaient bloquées et nombres de manifestants ont dû rebrousser chemin, faute de pouvoir atteindre la place. L’improvisation était évidente car les orateurs ont eu du mal à se faire entendre, faute d’une sonorisation professionnelle. Compter le nombre de manifestants présents, entre 10.000 à 15.000 selon les sources, n’a aucun intérêt car la guerre des chiffres fait toujours rage dans ce cas. En tout état de cause, la population s’est déplacée en masse.
            Si Netanyahou ne présente pas de coalition d’ici mercredi 29 mai, trois choix s’ouvrent à lui. Le président Réouven Rivlin pourrait confier la mission de former le gouvernement à un autre membre du parlement ou du Likoud, pour débloquer la situation afin de permettre une union nationale sans Netanyahou. Le gouvernement pourrait décider de nouvelles élections qui ne changeraient rien sauf s’il maintenait sa volonté de modifier le système électoral en relevant le seuil électoral à 5%, éliminant ainsi les partis qui n’atteindraient pas 6 députés pour s’orienter vers un bipartisme facilitant une majorité stable. Enfin Benny Gantz pourrait être chargé de la mission de former un gouvernement en comptant sur Avigdor Lieberman, Moshé Kahlon et quelques frondeurs du Likoud, mené par Gideon Saar, prêts à le rejoindre. Ce qui est sûr, c'est qu'Avigdor Lieberman aura réussi son pari de bloquer la coalition avec les ultra-orthodoxes au prix d’une grande incertitude.

            Mais cette manifestation s’est distinguée par la participation de députés arabes. De mémoire récente de journaliste, jamais les députés arabes se sont joints aux Juifs pour marquer une solidarité politique. Il est vrai que depuis les dernières élections, les députés arabes ont compris qu’ils devaient s’intégrer totalement dans le système politique israélien. Ils se sont scindés en deux groupes, l’un modéré et l’autre nationaliste. Ils ont éliminé de leur liste les provocateurs Haneen Zouabi et Jamal Zahalka pour la rendre plus présentable. 
Odeh à la Knesset

        Arabe, communiste et pacifiste, le député Ayman Odeh joue ainsi le rôle de faiseur de roi et contribue ainsi à faire tomber le Premier ministre au pouvoir depuis dix ans. Accusé de terroriste par les nationalistes juifs et de traître par les extrémistes arabes, il ne se décourage pas et axe son combat pour l’égalité entre Juifs et Arabes. Il n’est pas impossible que, par sa neutralité à la Knesset ou par une participation active, il apporte au parti Bleu-Blanc les voix manquantes à une coalition gouvernementale, réalisant son rêve de toujours, devenir le tombeur de Netanyahou au pouvoir depuis dix ans.
Odeh à la tribune

Ce député vit tous les jours la coexistence des deux peuples arabe et juif, à Haïfa, une ville mixte qui vit pacifiquement et où s’entremêlent les deux cultures. Il est prêt à aider Benny Gantz à former la prochaine coalition parce qu’il estime que la campagne du Likoud a tout fait pour délégitimer les partis arabes. Ayman Odeh, président de Hadash-Ta'al, a déclaré lors de la manifestation : «Je suis ici aujourd'hui parce que je crois en un partenariat judéo-arabe. Je crois que c'est le seul moyen d'espérer et de changer en Israël. On m'a dit que le fait que je me trouve ici est un exploit. Je pense que c’est un accomplissement, mais je ne suis pas satisfait de cela. Je veux être une partie intégrante d’un changement dans le pays».

Mais la participation à la manifestation d’Ayman Odeh a cependant fait débat. Moshe Yaalon s’était opposé à la participation du président de Hadash qui a pris la parole sans créer un quelconque disfonctionnement. D’autres membres de sensibilité de droite de Bleu-Blanc, Yoaz Hendel et Zvi Hauser, n’ont pas voulu cautionner par leur présence le discours d’Odeh pourtant modéré, plus modéré que celui du Meretz. Certains l'ont trouvé excellent, même écrasant. Il a parlé d’une lutte juste, qui concerne tout le spectre politique, contre la neutralisation de la Cour Suprême car «la corruption menace les Arabes et les Juifs, les Ashkénazes et les Sépharades, la gauche et la droite».
Pour illustrer le rapprochement judéo-arabe, les manifestants ont été nombreux à arborer la chechia rouge portée par les Arabes à la fois dans le cadre d’une certaine solidarité avec eux mais aussi pour symboliser la dictature du Turc Erdogan. Mais le chemin est encore long pour voir les arabes israéliens totalement intégrés à la nation israélienne. Les Israéliens ne sont pas encore prêts à les considérer comme faisant partie de la nation. Pourtant, les Bédouins, les Druzes et de nombreux Arabes intègrent Tsahal et laissent parfois leur vie sur les champs de bataille d’Israël.

Bédouins dans Tsahal

Les mentalités n’ont pas encore évolué. Les Arabes israéliens sont considérés comme des ennemis, voire des terroristes et pour cause. Ils attirent trop un regard négatif à leur encontre parce que leurs députés ne chantent pas l’Hatikva et ne portent pas la médaille de la Knesset, ornée du drapeau bleu et blanc. Ils continuent à commémorer chaque année la nakba, la création de l’État d’Israël, avec des rêves obsolètes. Alors que les Arabes participent, de plus en plus nombreux, à toutes les activités du pays, dans les hôpitaux, dans les pharmacies, dans les supermarchés, dans les commerces, dans le bâtiment et même dans l’industrie, ils donnent l’impression de mal choisir leurs représentants qui pensent n’être utiles que dans le déni de l’État d’Israël.
En attendant la situation politique israélienne est bloquée et à moins du miracle Lieberman, le gouvernement n’est pas en mesure de voir le jour avant le 29 mai, sauf un gouvernement minoritaire avec 60 sièges, dont la durée de vie sera éphémère. Quand on pense que les élections avaient été qualifiées de victoire totale de Netanyahou, on ne peut avoir que des doutes sur les jugements rapides politiques.

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