PRINTEMPS ARABE
TARDIF EN ALGÉRIE
Par Jacques
BENILLOUCHE
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L’Algérie n’avait pas fait beaucoup parler d’elle lors des révoltes consécutives au Printemps arabe qui n’avaient
touché que la Tunisie de Ben Ali et l’Égypte de Moubarak. Et
pourtant l’Algérie avait enregistré une trentaine de tentatives d’immolation
depuis 2011 et six décès. En effet, entre le 3 et
le 7 janvier 2011, des émeutes d’ampleur nationale eurent lieu en
raison de la hausse brutale et importante des prix de l’huile et du sucre.
Maître Ali Yahia Abdennour |
Ce mouvement de révolte avait
débuté à Oran pour se propager ensuite à l’ensemble du territoire, jusqu’à
Laghouat au sud, durant cinq jours en causant la mort de cinq personnes.
Il a été à l’origine de l’émergence de mouvements politiques exigeant un
changement politique profond. Une Coordination Nationale pour le Changement et
la Démocratie (CNCD), avec pour figure de proue Maître Ali Yahia Abdennour, avait été créée le 21 janvier 2011 pour demander la levée
de l’état d’urgence et la liberté de rassemblement et d’expression. Malgré un
dispositif de plusieurs dizaines de milliers de policiers, des marches de 2.000
à 5.000 manifestants furent organisées. Malgré cela aucune réforme politique
n’a vu le jour et la perspective d’un «changement dans le système» s’estompa
rapidement.
L’Algérie n’est pas entrée dans
le Printemps arabe mais elle partageait plusieurs points avec ceux qui
l’ont subi. Le pourvoir a toujours voulu nier l’existence d’une crise
politique. D’abord la présence depuis plusieurs années d’Abdelaziz Bouteflika à
la tête d’un État dominé par les militaires ; ensuite un taux de chômage
évalué à 23,6% chez les jeunes ; la société s’est appauvrie sous le
double effet de l’inflation et de la stagnation des salaires sachant que le
salaire minimum ne dépassait pas 130 euros par mois tandis que 70 % de la
population a un revenu inférieur à 200 euros. La population ne croyait plus
dans ses responsables locaux et nationaux. La limitation constitutionnelle du
nombre de mandats présidentiels a été supprimée au profit d’Abdelaziz
Bouteflika. Le système politique s’est affaibli face aux stratégies de
succession d’un président affaibli.
La crise de légitimité s’est
nourrie du développement exponentiel de la corruption. L’Algérie a préparé de
grands programmes publics d’infrastructures qui n’ont pas été réalisés en
raison des scandales de corruption. En 2009, un demi-million de logements avaient
été à peine livrés, la moitié de la quantité prévue par le plan quinquennal, et
leur attribution souffrait de conditions opaques. En fait pour le pouvoir : «Il
faut que tout change pour que rien ne change».
Mais l’Algérie est un cas
spécifique par rapport à ses voisins. En Tunisie, la police et le
ministère de l’Intérieur assuraient la surveillance et la répression de
l’opposition, sans aucun rôle de l’armée. En Égypte, la Sécurité d’État
assurait le rôle de police politique tandis que l’armée était garante de la
légitimité et de la pérennité du pouvoir. En Algérie, l’éparpillement des
centres de décision entre la Présidence, les services de sécurité et l’armée a
généré un flou entretenu par la crainte d’une nouvelle guerre civile à l’instar
de celle de 1991 qui a fait près de 200.000 morts, entraîné 20.000 disparitions
et déplacé un million et demi de personnes.
La rente pétrolière permet au
pouvoir de s’acheter une paix sociale malgré les nombreuses grèves et
mouvements de protestations mais elle est un enjeu de lutte au sein du pouvoir
et une source de violence contre les économies locales. Contrairement à
l’Égypte et à la Tunisie, l’Algérie n’est pas dépendante du tourisme et des
investissements étrangers.
Cependant l’Algérie souffre de plusieurs
lignes de fractures socioculturelles, entre élites francophones et arabophones,
entre populations arabes et kabyles, entre classes supérieures politico-économiques,
classes moyennes sinistrées, groupes intellectuels isolés et jeunesse
marginalisée. A cela s’ajoutent des divisions géographiques.
Ensuite, l’attitude des
puissances occidentales influe sur les possibilités de changement. L’Algérie
est un enjeu important dans l’ensemble maghrébin. Elle est une pièce maîtresse
du dispositif antiterroriste américain dans la région sachant qu’elle
abrite un État-major conjoint au Sahel à Tamanrasset et un centre de
renseignements conjoint à Alger, dans le cadre du Trans-Saharan
Counter-Terrorism Partnership. Face à une Libye décomposée, sa place est
importante pour contrer les groupes terroristes au Sahel qui ont succédé aux
groupes armés algériens des années 1990. Si l’Algérie sombrait comme la
Libye dans l’incertitude et la violence, alors les intérêts occidentaux
seraient menacés.
Désormais, l’Algérie fait face à
un mouvement historique irréversible et la réponse du pouvoir aux attentes légitimes
de la population déterminera le cours que prendront les événements. La société restera
toujours silencieuse car la stabilité du pays n’est qu’un mirage mince.
S’il n’y a pas de changement démocratique alors ce sera la fin du modèle
algérien d’exercice du pouvoir. L’État
est affaibli par les scandales et les divisions. Tout dépend de l’attitude et de la neutralité
de l’armée, totalement rajeunie et renouvelée. Les printemps arabes à l'origine sont nés de pouvoirs à bout de souffle. En Tunisie, le clan Trabelsi
cherchait à s’imposer sur la scène officielle tandis qu’au Caire, Moubarak
préparait une transmission héréditaire du pouvoir. En Algérie, Saïd Bouteflika,
le frère du président, tente de s’introduire sur la scène politique.
Les peuples tunisiens
et égyptiens ont tout fait pour ne pas voir leur révolution confisquée. Il
reste au peuple algérien de trouver un moyen de s’unir et de reconstruire une
nation ébranlée par les rivalités, la corruption et la violence politique.
Il n’est pas sûr que l’Algérie puisse longtemps faire l’économie d’un Printemps
arabe. Les manifestations qui ont lieu aujourd'hui semblent le prélude à un changement radical de gouvernance.
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