NETANYAHOU ET LA POLITIQUE
SPECTACLE
Par Jacques BENILLOUCHE
- Que répondez-vous au discours de Netanyahou - Je ne l'ai pas écouté car les centrifugeuses tournent à plein régime |
Benjamin Netanyahou devrait lire
plus souvent Temps et Contretemps et Slate.fr car depuis 2010 des
dizaines d’articles ont traité du danger du nucléaire iranien sur la base
d’informations exclusives. Il aurait déjà découvert ce qu’il nous a présenté à
la télévision, même si nous n’avions pas à l’époque de classeurs de pacotille. Le
nucléaire iranien n’est pas nouveau. Netanyahou s’était déjà exprimé à ce sujet à la tribune de l'ONU et devant l’AIPAC avec son carton représentant une bombe.
Dans ce genre d’affaire, le silence
est d’or et l’esbrouffe peut conduire à des résultats dramatiques imprévisibles.
Israël nous avait habitués à des actions sans préavis, d’une part pour ne pas
mobiliser l’ennemi et d’autre part pour plus d’efficacité. Or, les dirigeants parlent beaucoup à l’heure actuelle, que ce soit pour menacer ou pour invectiver. Mais on
souhaiterait entendre les chefs des services sécuritaires en qui le pays a une
confiance totale : État-major de Tsahal, Mossad (renseignements
extérieurs) et Aman (renseignements militaires). Certes ils sont au service du
pouvoir politique mais leur avis est déterminant. S’il faut parler, alors nous
devons connaître l’éventail des mesures à prendre pour sécuriser Israël ainsi
que les risques encourus.
Ces personnages essentiels pour
l’existence d’Israël n’ont pas été invités sur la scène du théâtre, peut-être
parce qu’ils auraient marqué leurs divergences avec Netanyahou. En effet, ils
ne sont pas très favorables à une frappe solitaire contre l’Iran, sans appui
politique et logistique des Etats-Unis. Si
le premier ministre a choisi de donner une publicité aussi dramatique à son
intervention, alors il aurait dû aller jusqu’au bout en se faisant accompagner
par les hauts dirigeants militaires qui auraient crédibiliser son intervention.
En revanche, l’intervention du premier ministre a prouvé, à nouveau, l’exploit
sans précédent du Mossad, qui a réussi, à 1.600 kilomètres de Tel-Aviv, à transporter les archives secrètes du projet Imad après les avoir subtilisées au
cœur de Téhéran.
Il semble cependant que la démarche de
Netanyahou soit plus politique que sécuritaire, consistant à forcer la main du
président américain qui, au plus tard le 12 mai, doit prendre une décision sur
l’Iran. Mais Donald Trump n’est pas un dirigeant qui peut succomber à la pression.
Pression interne et externe |
En revanche, la présentation de Netanyahou
peut avoir des répercussions inattendues. En effet, des informations confirmées
par l’opposition iranienne font état depuis quelque temps de divergences
profondes entre le président Rohani et les Gardiens de la révolution. Les
accusations de Netanyahou sur le projet nucléaire secret peuvent être
interprétées comme une provocation qui pourrait favoriser une union nationale
en Iran, entre ennemis de longue date.
On sait que Rohani a déjà montré qu’il n’avait
pas peur des menaces israéliennes et américaines. Il sait qu’il a les moyens de
se procurer des têtes nucléaires en Corée du Nord sans qu’il ait besoin de les
fabriquer lui-même ; il dispose de lanceurs de plus en plus évolués qui
atteignent leur cible à longue distance, suffisamment pour inquiéter Israël.
L’arrêt de son programme nucléaire n’est pas un handicap pour lui. Il n’est pas
impossible des têtes nucléaires aient déjà été transportées en Iran, pour être
stockées en dehors des usines répertoriées.
Tête nucléaire de Corée du Nord |
Cependant, les «preuves
concluantes» sont des informations réchauffées dont disposait déjà le
Mossad. En effet, le 14 août 2002, l’opposition iranienne, le Conseil national
de la Résistance iranienne (CNRI), avait révélé l’existence de deux sites
nucléaire clandestins : le site d’enrichissement d’uranium à Natanz et le réacteur
d’eau lourde à Arak. Depuis, il n’y a aucune question
à se poser sur l’objectif iranien visant à se doter de la bombe nucléaire.
L’Iran n’est pas le seul à rechercher l’arme nucléaire mais il est l’un des
parrains du terrorisme et la source idéologique de l’islam extrémiste au
Moyen-Orient. La détention de l’arme absolue peut changer l’équilibre mondial.
Chaque mois, grâce à son réseau
étendu et efficace à l’intérieur du pays, la résistance iranienne informe
l’Occident sur l’évolution du programme nucléaire clandestin de l’Iran qui a
une dimension bien plus importante que ce que l’on pensait au départ. De nombreuses structures gouvernementales ont été impliquées dans le projet
nucléaire. On feint de découvrir aujourd’hui que l’attitude de Téhéran a été
celle du déni, de la tromperie, de la dissimulation, du rejet des faits, de la
politisation et de la reconnaissance contrainte et partielle lorsque que toutes
les autres alternatives ont été épuisées. Cela a été de tout temps sa position.
La question est sur la table depuis
plus de dix ans mais il n’y a jamais eu de politique ferme et cohérente en
réponse de la part de l’Occident ce qui a permis à l’Iran de développer en
silence son programme nucléaire et ses capacités nouvelles pour obtenir l’arme atomique
au mépris des résolutions du Conseil de sécurité. Téhéran ne peut pas arrêter
son programme, malgré ses promesses, car il considère que son programme nucléaire
est stratégique et vital pour la survie du régime. Alors il s’est engagé dans une
énorme tromperie stratégique tandis que rien n’était fait pour forcer l’Iran à exposer
en détail les aspects militaires de son programme. Rien n’a empêché les
ayatollahs de se rapprocher de la bombe malgré les sanctions.
La mise en scène sur les «preuves
concluantes» avait en fait pour but de justifier la loi qui permet dorénavant à Netanyahou de déclarer la guerre sans l’accord du Cabinet de sécurité ni
celui de la Knesset. De toute façon cela aurait été une formalité car les
ministres et les députés sont des soutiens inconditionnels de Netanyahou. Les
détails sur le plan iranien Amad de 2013 visant à produire cinq têtes
nucléaires était connu, au moins du Mossad qui doit être félicité pour avoir «emprunté»
les contenus des classeurs et des CD, dans un complexe militaire de la région
de Sherabad.
Cette révélation est cependant
dangereuse et stérile ; elle n’est pas dans les habitudes du Mossad qui
doit protéger ses sources. Netanyahou sait bien qu’il va déclencher une immense
chasse à l’homme et aux espions qui risquent de passer à la potence. Mettre en
danger ses sources pour de la pure propagande politique est presque
incompréhensible alors que les nerfs iraniens sont à fleur de peau après la
troisième attaque contre des installations de l'Armée arabe syrienne qui
hébergeaient des équipements et personnels iraniens, faisant au moins vingt-six
morts. Cette attaque, comme d’habitude, est attribuée à Israël qui ne commente
jamais ce genre d’opérations. Si Netanyahou prépare un combat direct avec
l’Iran, alors l’annonce est bien parvenue à destination. Mais avait-on besoin
de cette politique spectacle ?
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