LES SOURCES TARIES DE
L’IMMIGRATION JUIVE
Par Jacques BENILLOUCHE
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En
2015, plus de 7.900 Français ont fait leur alyah marquant ainsi l'histoire des Juifs
de France puisqu’il s’agit d’un niveau record, le précédent record était de 7.231
en 2014. Cela constitue cependant une certaine déception car les prévisions,
certes optimistes, prévoyaient que plus de 10.000 Français s’installeraient en
Israël durant l’année 2015 sachant que 25.000 étaient intéressés à court terme
par une alyah.
Les responsables israéliens pensaient que de nombreux départs
pouvaient être motivés par l’insécurité symbolisée par la tuerie de l’hyper
Cacher de Vincennes, par les incertitudes sur le plan économique et par
les nombreuses manifestations pro-palestiniennes.
Les Français n’ont pas été dupes et ont mesuré le danger à sa juste proportion
car le gouvernement a montré sa détermination à s’opposer à toute déviance
antisémite au sein de la population. La peur ne peut être la condition d'un élan vers Israël mais la conviction sioniste qui peut permettre de supporter quelques sacrifices matériels.
Mais
une analyse précise des chiffres de l’alyah devrait tempérer l’optimisme. Ils interpellent
les dirigeants israéliens qui doivent considérer le problème avec sérieux s’ils
ne veulent pas que le nombre d’émigrés juifs devienne supérieur au nombre d’immigrants.
Un point fondamental devrait sensibiliser
l'Agence Juive puisqu’en 2015, seuls trois pays ont fourni 70% des immigrants :
la France, la Russie et l'Ukraine. L’alyah de France devance désormais celle de
Russie et des États-Unis. Il s’agit d'une situation paradoxale car les Juifs des Amériques représentent
5,8 millions dont 5,3 millions aux États-Unis ; les Juifs d’Europe sont évalués
à 1,1 million dont 470.000 en France et 291.000 au Royaume-Uni. Enfin en Russie ils ne sont plus que 194.000 Juifs
et 67.000 en Ukraine.
Rabbi Yechiel Eckstein avec les Ukrainiens |
Une
des sources a été tarie car l'émigration a été quasi totale en provenance des
pays de l'ex-Union soviétique. En revanche, les diasporas juives les plus
importantes (États-Unis, France) sont peu nombreuses à s'installer en Israël. En
se fondant sur les chiffres, s’il est constaté que l’immigration des Juifs de
France est la plus importante et dépasse désormais l’immigration venant de
Russie, il est paradoxal que les États-Unis, où la communauté juive est
pourtant 10 fois plus importante qu’en France, fournissent si peu d’immigrants.
Le
ministre israélien de l'Immigration Zeev Elkin a affirmé que «plus de 30.000
nouveaux immigrants devaient arriver en Israël en 2015 », le chiffre
le plus important depuis dix ans. Il évoque une augmentation de 16% par rapport
à 2014, quand 27.488 personnes avaient immigré en Israël. Mais il est clair que
le vivier des Juifs est exploité de manière inégale. Le ministère de
l’Immigration avait annoncé, en juin 2014, une série de réformes pour encourager
l’alyah et faciliter l’intégration parfois complexe des nouveaux arrivants,
notamment sur le plan professionnel. Mais il est resté dans le domaine de l’incantation.
Des responsables d’organisations, qui viennent en aide aux immigrants de France,
ont pris le problème au sérieux mais avec peu de moyens. Ils déplorent d’ailleurs
le fait que les réformes annoncées sont jusqu’à présent restées des promesses
sur le papier. Or des mesures concrètes sont urgentes si l’on veut toucher tous
les pays du monde. Ainsi les 30.883 nouveaux immigrants juifs de 2015
comprenaient parmi eux 7.900 Juifs de France, 7.300 d'Ukraine, 7.100 de Russie
et 3.500 d'Amérique du Nord. Ils
viennent paradoxalement de pays les moins peuplés en Juifs et représentent une goutte d'eau dans le monde juif.
Zeev Elkin |
Les
sources commencent à se tarir car l’immigration de nécessité s’est épuisée.
Israël ne peut donc plus compter que sur une alyah choisie, de conviction
sioniste, faute de quoi le pays ne pourra compter sur la croissance naturelle de
la natalité avec le risque de voir plus d’Israéliens partir pour l’étranger. Il
n’y a donc pas lieu de pavoiser. Le chiffre record de l’alyah française est un
cache-misère qui camoufle l’échec dans les autres pays occidentaux.
En cause; le
gouvernement n’a pas de politique sérieuse d’immigration. Il tresse ses propres lauriers à son inertie parce qu’il ne compte
que sur les vents politiques et économiques instables pour attirer
à lui, parfois de façon spectaculaire, les candidats à l’alyah. Il donne l’impression
d’avoir fait le plein en Israël et de ne plus être intéressé par les
populations de la Diaspora considérées aujourd’hui comme exigeantes. Cela s’explique
parce que leur niveau de vie est tel que l’expatriation devient un sacrifice si
elle n’est pas soutenue par un sentiment sioniste ou par une volonté de la
pratique religieuse en Israël.
L’élément clé réside dans la
faiblesse des immigrants en provenance des pays anglophones qui comptent 850.000 Juifs,
puisqu’à peine 0,06% d’entre eux ont fait leur alyah en 2015. On voit mal
comment les chiffres pourraient évoluer dans des communautés aisées mais
souvent assimilées, peu enclines à accepter un changement de niveau de vie. Le Canada
a fourni 0,11% de ses Juifs pour l’alyah, l’Australie et la Nouvelle Zélande 0.12%
et l’Afrique du Sud 0.3%. Ces chiffres significatifs ne peuvent que s’aggraver si
aucun fait politique majeur n’intervient pour modifier la donne.
Constructions dans les implantations |
Les
dirigeants israéliens ne montrent pas leur désir d’une politique volontariste d’immigration
à base de mesures efficaces, certes coûteuses. Mais il faut savoir ce que l'on veut. Ils utilisent un saupoudrage de circonstance au gré de leur
humeur avec un budget ridicule au lieu de réduire celui des implantations car les
nouveaux venus, en majorité des citadins, ne sont pas prêts à vivre dans des zones isolées. Seule une politique
de logement dans les grandes villes peut attirer les Juifs étrangers si elle est doublée d’une
politique de discrimination positive à l’égard des nouveaux venus.
Réunion d'un lobby francophone |
Devant ces faits et ces chiffres, l’Agence
juive semble miser uniquement sur l’immigration française avec l’espoir qu’elle
devienne sécuritaire comme celle d’Ukraine. Quoiqu’on le veuille, la situation n’est
pas la même dans ces deux pays car la guerre ne sévit qu'en Ukraine. Mais les
Français sont peu organisés et ne pèsent pas lourd dans la vie politique
israélienne parce qu’ils sont divisés. Par ailleurs les groupes de pression qui
se créent, par ci et par là, pèchent par une absence de laïcs dans les
instances dirigeantes laissant croire que la kippa est devenue un signe de ralliement
obligatoire pour faire partie de l’élite dirigeante. Si l’on ne garantit pas la
variété des sensibilités, juifs religieux et non religieux, juifs de droite ou
de gauche, intégristes ou traditionnels, alors seule une infime partie des Juifs se
dirigera vers Israël.
8 commentaires:
Les juifs réformés des E. Unis pourraient être une alya de qualité
Excellent article, Jacques, qui aborde tous les sujets ... sauf la "yérida" qui doit être également variable, selon les pays ; est-on sûr des 30 % pour les retours vers la France, dont tu m'avais parlé ? Et quels sont les chiffres pour les autres pays ?
Un bémol, aussi : la caricature sur les Juifs qui quittent la France en raison de l'insécurité, et qui la retrouvent en Israël. Non pas qu'il n'y ait une part de vérité, mais à y regarder de près ce dessin porte une charge antisioniste ; et ce n'est pas un hasard si je l'avais vu, en premier, sur des pages militantes pro-palestiniennes !
Le déclin du judaïsme français ne profitera pas beaucoup à Israël, les prétextes de sécurité ne sont pas sérieux, on va en Israël pour motifs religieux, ou en raison du dynamisme économique et social due à une société très jeune, mais ce motif ne tient effectivement que pour les sionistes convaincus.
Le prix des logements dans des zones où les français aimeraient vivre ainsi que le niveau des salaires est dissuasif.
La vie culturelle se limite pour les francophones trop souvent à des cours de rabbins, des villes comme Beith Shemesh n'ont même pas un cinéma, et toute la vie associative tourne autour de la religion.
Jacques a pose le probleme tres clairement.
Michel, tu omets un element fondamental: l'emploi.
Les salaries, a part les diplomes d'universite, ont des salaires avoisinants le SMIC. Les Juifs de France ne sont plus depuis longtemps deja des smicards, Et le gouvernement israelien n'est pas pret a faire des efforts pour integrer cette nouvelle aliyah. Pourquoi? Parce que la plupart de ses electeurs sont des Juifs provenant de l'Ex-URSS, que leur taux dans la medecine, la pharmacie, la hight tech, la recherche, les arts sont tres eleves, plus meme que les Juifs de France. Et ils n'ont beneficie de pratiquement pas d'aide. J'ai vu de nombreux medecins sovietiques travailles dans des chantiers de construction, dans des postes payes au-dessous du SMIC (pratique interdite mais tres courante en Israel) avant de savoir suffisamment d'hebreu pour commencer a faire leur stage obligatoire. Seulement voila, les controleurs des examens etaient aussi ex-sovietiques. Cela explique qu'au moins 80 a 90% des professions medicales et para-medicales controles par des ex-Sovietiques ont ete examines par des ...ex-sovietiques, Cela explique pourquoi 70% des medecins olim de France echouent. Il y a un phenomene normal de guilde, d'autant plus que les Francais sont des individualistes forcenes. Mon oculiste est francais d'origine. Il refuse de me parler en francais, pretextant que l'hebreu est une langue non moins belle (ce qui est malheureusement faux).
Si les olim americains ont plus de chance que les Francais, c'est tout simplement parce que l'Oncle Sam exerce certaines pressions.
En bref, les olim de France doivent mettre leuirs diplomes dans leur poche, avec un mouchoir dessus, retrousser leurs manches et remplacer les ex-Sovietiques, et petit a petit faire glisser le mouchoir, et laisser pparaitre les diplomes. Une maniere plus aisee mais assez frustrante est de faire une reconversion professionelle (c'est ce que j'ai fait, apres la case "balai").
Et si l'idée du gouvernement, derrière l'apparence affichée de prôner l'Alyah, n'était pas celle non avouée de préférer laisser les juifs occidentaux vivre dans leur pays d'origine pour ainsi les utiliser à la "promotion" d'Israël à l'étranger? D'autre part ces mêmes juifs vivant pour beaucoup dans l'aisance, apportent à Israël une aide financière conséquente, tant par le tourisme que par les différents dons, qui disparaîtrait de fait s'ils étaient candidats à l'alyah.
Bien cordialement
Véronique Allouche
Malheureusement, je dois reconnaître que je suis totalement d'accord avec toi Jacques. Amical chalom
L'aliyah est un choix complexe souvent irrationnel et les autorités israéliennes font très bien ce qu'elles doivent faire :!pas de discrimination positive mais accueil chaleureux . Les juifs de France quitteront leur pays quand ils n'en pourront plus de vivre dans des réserves sous la garde de l'armée ou d'entendre des salopards les insulter directement ou insidieusement. Donnons du temps au temps et abandonnons le sujet .
"Il donne l’impression d’avoir fait le plein en Israël" est écrit dans l'article .
Je crois que ce n'est pas qu'une impression. Si je me souviens bien, Herzog a dû monter au créneau lors des dernières élections pour "rassurer" et dire que le sujet ne concernait pas notre génération.
De quoi s'agissait-il? De ceux qui avait osé franchir LE suprême tabou en disant tout haut ce qu'on entend de la part de beaucoup de locaux nés en Israël: "Le pays devrait arrêter d'accueillir des Olim et durcir les conditions de l'émigration pour les mettre aux normes des pays occidentaux".
Pour être clair: lentement mais sûrement, Israël commence à se dire que l'émigration n'est plus nécessaire? rentable?...
En tous les cas, même s'ils n'osent pas le formuler, c'est ainsi que les politiques agissent . Il suffit d'observer à quel point ils ne se sentent pas concernés (hormis les discours de circonstance) pour prendre de réelles mesures afin d'aider à l'intégration des olim.
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