SLATE - 30 JUIN : LA JOURNÉE DE TOUS LES DANGERS EN ÉGYPTE
Par Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps
http://www.slate.fr/monde/74613/egypte-manifestation-morsi-armee
copyright © Temps et Contretemps
http://www.slate.fr/monde/74613/egypte-manifestation-morsi-armee
Les tensions politiques en Égypte tendent au paroxysme après le lancement en mai de la campagne de Tamarrod (rébellion), qui se donne pour objectif de remettre en cause la confiance attribuée au président Morsi en rassemblant les signatures de 15 millions de citoyens. Selon les organisateurs, près de 7 millions de signatures ont déjà été collectées. Cette campagne a appelé à des manifestations massives le 30 juin pour réclamer la destitution du président qu’elle accuse d’avoir trahi les idéaux de la révolution et de «ne pas avoir mis en œuvre des politiques pour améliorer la vie des gens ordinaires».
Partisans et opposants
La majorité des partis et des mouvements non
islamistes ont donné leur accord pour participer à la manifestation, y compris
le principal groupe d’opposition, le Front national du salut, dirigé par
les anciens candidats à la présidentielle Mohamed El-Baradei, Amr Moussa et
Hamdine Sabbahi. Les partisans du régime ont décidé de s’opposer à cette
contestation dans un face-à-face qui peut mener à des violences entre partisans
et opposants au régime. Les affrontements se transformeraient en fait en combat
entre laïcs et islamistes qui dépasseraient le terrain de la simple joute
verbale. Il est fort probable que des provocateurs se préparent à susciter des
combats de rues suffisamment violents pour conduire à un nouveau processus
révolutionnaire contre le régime des Frères musulmans.
Hazem Abou-Ismaïl |
Le groupe islamiste Hazemoun dirigé par le prédicateur
salafiste Hazem Abou-Ismaïl a
décidé de se joindre aux brigades des Frères musulmans pour défendre le président Morsi et son organisation.
Face à eux, les opposants violents du groupe des Black Bloc et des
Ultras investiront la rue.
Les problèmes économiques ne sont pas le seul moteur
de ces revendications. Les contestataires, issus de toutes les couches de la
population, s’élèvent contre le verrouillage des leviers de commandes par un
pouvoir qui veut imposer par la force son idéologie islamique. Par ailleurs le président Morsi est accusé de
ne pas avoir réussi à sortir le pays du marasme économique. L’économie est en
chute libre d’autant plus que le prêt de 4,8 milliards de dollars du FMI n’est
toujours pas parvenu à l’Égypte. Les réserves de devises s’écroulent,
les denrées alimentaires ont augmenté de 10% en un an et le pays subit des
coupures d’électricité régulières. Selon Al-Ahram :
«à ce jour, il n’y a pas eu la moindre réalisation des revendications de la
révolution. Aucun de ces dossiers n’a été réellement traité par la présidence».
Manifestation de femmes |
La
lutte armée
Les
révolutionnaires de 2011 ont perdu le peu de liberté d’expression qu’ils
avaient acquise. Des procédures judiciaires, au nombre de 600, ont été engagées
contre des journalistes et contre les médias. En fait, les Frères musulmans ont
fait illusion en parvenant au pouvoir.
Ils avaient une expérience d’aide sociale aux populations défavorisées mais en
aucun cas une expérience de gestion politique et économique d’un État. Selon l’expert
en média Yasser Abdelaziz : «
Les Frères ne comprennent pas ce que pluralisme politique signifie, que ce soit
sur le plan intérieur ou extérieur du pays. Les Frères croient qu’ils vont
résoudre les problèmes qui émergent de leur mauvaise gestion des affaires non
pas en modifiant leur politique, mais en faisant taire l’opposition». Les
révolutionnaires sont à présent convaincus que Morsi n’est pas à la hauteur de
sa fonction. On se souvient d’ailleurs qu’il avait été choisi par défaut par
son parti.
Assem Abdel-Maged |
Les soutiens du
régime assimilent ces manifestations à «un vestige de l’ancien régime» et
ont annoncé qu’ils iraient jusqu’au bout pour défendre le président islamiste
d’Égypte, sous-entendu par la force s’il le fallait. Les menaces sont claires. Assem Abdel-Maged, membre du mouvement
ultraconservateur Al-Djamaa Al-Islamiya, a précisé qu’il «n’y a pas de
limite à ce qui peut être fait pour protéger la légitimité du président et
celle de l’État». Il n’est pas le seul à utiliser cette dialectique puisque
Mohamad Al-Zawahiri (frère du numéro un d’Al-Qaeda Ayman Al-Zawahri) a affirmé,
lui, que «la lutte armée pouvait être acceptable dans certaines
circonstances».
Ministre de l'intérieur égyptien |
En fait les deux camps se haïssent et sont prêts à s’affronter
même si le chaos doit s’installer dans le pays. Fait nouveau depuis la
révolution, les armes circulent de manière illégale chez les civils et elles pourraient
être la cause de guerres de rues d’autant plus meurtrières que la police manque
d’efficacité. Le ministre de l’Intérieur, Mohamad Ibrahim, a déjà prévenu qu’il
n’est pas dans les intentions de la police de contrer les manifestations du 30
juin et que sa fonction consiste uniquement à protéger les «institutions
étatiques». Reste à savoir si les bâtiments des Frères musulmans et des
partis politiques entrent dans cette catégorie. En revanche la garde
présidentielle est la seule force efficace chargée de la protection du palais
présidentiel. Cette volonté de la police de ne pas être impliquée dans l’un ou
l’autre camp risque de mener en fait à la déflagration générale.
L’armée avait choisi, dans un
premier temps et par intérêt personnel, de se cantonner dans une stricte
neutralité. Mais il semble qu’au dernier entretien du 23 juin, Mohamed Morsi ait
réussi à persuader le général Abdel Fatah al-Sissi, ministre de la Défense, de
sortir de son mutisme. Le général vient de donner des ordres à son armée pour
assurer la sécurité : «Les forces armées ont le devoir d'intervenir
pour empêcher l’Égypte de plonger dans un tunnel sombre de conflit et de
troubles».
Le ministre a appelé les Égyptiens à oublier leurs querelles
et à se rassembler dans l’intérêt de la nation : «Il est du devoir national
et moral de l'armée d'intervenir pour
empêcher les violences confessionnelles ou l'effondrement des institutions de
l'État». Il a par ailleurs mis en garde tous ceux, quel que soit leur bord,
qui s’aventureraient à critiquer l’armée : «Ceux qui croient que nous
ignorons les dangers qui attendent la nation égyptienne se trompent. Nous ne resterons
pas silencieux face à la plongée du pays dans la violence».
L'armée dans la ville |
Le président Morsi, rassuré par la position engagée
des militaires a donné des «directives pour mettre en place rapidement
toutes les mesures nécessaires afin d'assurer la sécurité de toutes les
structures vitales et stratégiques du pays en coordination avec le ministère de
l'Intérieur». Mais il risque de ne pas se faire entendre tant il a été
désavoué de toutes parts. Depuis son élection, le président égyptien a été
confronté au pouvoir judiciaire, aux médias et plus récemment du monde de la
culture.
La culture malmenée
Jusque-là insidieuse, la mainmise générale des Frères
musulmans sur tous les aspects de la vie s’affirme ouvertement à présent au
sein du gouvernement. Le ministre égyptien de la culture, Alaa Abdel-Aziz,
s’est donné pour tâche de «purifier» les courants culturels et
intellectuels du pays pour «éliminer les mécréants et pour redonner à son
peuple son identité perdue». L’introduction de la nouvelle pensée islamiste passe
par l’exclusion puisque le ministre a écarté ceux qui ne sont pas dans le droit
fil culturel des Frères musulmans. Les mesures décidées par le ministre touchent tous les
secteurs puisque ont été limogés : Inas Abdel-Dayem, directrice de l’Opéra,
Ahmed Megahed, directeur de l’Organisme du livre, et Salah Al-Meligui,
directeur du secteur des arts plastiques.
Ainsi, l’affrontement du 30 juin pourrait s’assimiler
à un règlement de comptes qui pourrait être fatal au régime des Frères
musulmans et à l’Égypte si ces manifestations dérapaient. La mobilisation de
l’opposition parait impressionnante dans sa volonté d’exiger de nouvelles
élections présidentielles. Les opposants prétendent qu’il a été élu in extrémis
face à Ahmed Chafik, proche de l’ancien régime et que la révolution a été
inachevée car elle a été confisquée par les Frères musulmans. Ils reprochent au
président Morsi d’avoir mobilisé ses alliées salafistes pour neutraliser ses
adversaires afin de passer en force. Ils s’appuient sur la Cour
Constitutionnelle qui a invalidé l’élection du Conseil consultatif (Sénat) et la Commission
constituante et qui a rejeté plusieurs projets de loi ou des décisions prises
par le président Morsi qualifié de nouveau Pharaon ou, insulte suprême,
de Moubarak.
Si la situation
dégénérait, l’armée pourrait mettre à profit les évènements pour occuper à nouveau le devant de la scène et,
pourquoi pas, pour revenir aux affaires d’où elle a été exclue à la chute de
Moubarak. En restant à l’écart du tumulte depuis la révolution, les généraux
ont acquis une stature d’arbitres et de sages. Mais des troubles ont déjà été
signalés dans la ville de Mahala forçant l’armée à séparer des manifestants et
des éléments du parti salafiste Ennour, dont le siège a été envahi et incendié
par des inconnus. Dans le gouvernorat de Kafr Echeikh au nord de l’Égypte, les
habitants ont incendié des locaux des Frères musulmans et retenu sept d’entre
eux dans l’une des mosquées de la ville à la suite de l’agression dont a été
victime un membre de l’opposition, du Front du salut.
Le 30 juin sera
un test pour le régime. L’escalade de la tension entre partisans et opposants
au président Mohamed Morsi pourrait envenimer la situation durant cette journée
de tous les dangers. Certains ont sont arrivés à la conclusion que, malgré la
révolution, la dictature a simplement changé de camp.
Le mouvement Tamarrod, à l'origine
de la contestation contre le président égyptien Mohamed Morsi, a appelé, le lundi
1er juillet, le chef de l'État à quitter le pouvoir : «Nous
donnons à Mohamed Morsi jusqu'à mardi 2 juillet à 17H00 pour quitter le pouvoir
et permettre aux institutions étatiques de préparer une élection présidentielle
anticipée. En cas de refus, mardi 17H00 sera le début d'une campagne de
désobéissance civile totale ».
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire