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vendredi 2 octobre 2020

Azerbaïdjan-Arménie, le dessous des cartes par Francis MORITZ

 

AZERBAÏDJAN-ARMÉNIE, LE DESSOUS DES CARTES

Par Francis MORITZ

 


On a coutume de dire que depuis des décennies, le Caucase est un immense baril de poudre, doté de plusieurs mèches. On vient d’y craquer une allumette. Dans des temps anciens, cette région fut conquise par la Perse de Cyrus le Grand. La frontière avec l’Arménie actuelle correspond à peu de chose près à la frontière de l’époque. Compte tenu des luttes incessantes entre les différents empires et leurs conquêtes, elle passa successivement sous le joug des multiples empires qui l’occupèrent dont les Ottomans, les Perses et les Mongols. Mais c’est dans son histoire contemporaine qu’il faut rechercher les origines du contentieux qui a dégénéré en combats meurtriers.


Haut-Karabakh


En 1905 dans le chaos de la révolution russe, des milliers d’habitants des deux pays furent massacrés dans les grandes villes de l’époque. Lors de l’effondrement de la Russie des tsars en 1917, ces massacres se renouvelèrent à grande échelle. Un Azerbaïdjan indépendant réclama le Karabakh en 1918. La province du Nagorno Karabakh résista. Il y eu même une intervention britannique en faveur du gouvernement de Bakou, de multiples incidents, attaques, massacres eurent lieu de part et d’autre pendant toutes ces années. En 1921 tout le sud du Caucase était sous contrôle soviétique. Il semblait d’abord que la région du Nagorno Karabakh serait transférée à l’Arménie, mais la normalisation des relations entre la Turquie et l’URSS  en décida autrement. Le territoire fut incorporé par le régime soviétique en province semi-autonome à l’Azerbaïdjan. 

Les Azéris émigrent en masse. Dès 1926 la province était habitée à 96% par des Arméniens. La campagne de collectivisation soviétique de 1930 amplifia le phénomène. L’Arménie revendiqua alors le territoire. La guerre de 1993/94 permit à l’Arménie de faire quelques gains territoriaux, lui facilitant sa défense, voire même un accès plus facile vers l’Azerbaïdjan. Une reprise en main permit à l’Azerbaïdjan de modifier le peuplement en faveur des Azéris. Ce mouvement fut ensuite inversé, à tel point qu’en 1979 les Azéris ne représentaient plus que 25% de la population.

Durant la Glasnost les habitants du Nagorno revendiquèrent plus d’espace culturel et religieux. Il s’ensuivit de nombreux massacres et attentats de part et d’autre. Moscou plaça le pays sous la loi martiale en 1988, qui fut ensuite annulée, car l’URSS en perte de vitesse n’était plus en mesure d’imposer une solution. En octobre 1991, l’Azerbaïdjan déclara son indépendance, suivie par le Nagorno Karabakh  qui  s’auto-déclara indépendant en décembre 1991. Ce qui mit le feu aux poudres. L’Azerbaïdjan envahit le territoire et l’Arménie s’y opposa. 

Alors que ce territoire était enclavé dans l’Azerbaïdjan, à la suite des opérations militaire, il dispose depuis d’une petite frontière avec l’Iran et l’Arménie, lui permettant ainsi des échanges commerciaux très limités. Ce pays n’est reconnu par aucun pays alors qu’officiellement la province fait partie de l’Azerbaïdjan. La Russie, depuis des décennies et aussi longtemps qu’elle eut le contrôle de ces territoires, encouragea le développement de l’homogénéité ethnico religieuse chrétienne de la population, ce qui provoqua largement le départ des musulmans vers la Turquie, l’Iran notamment.

Ilham Aliyev


Le clivage se poursuivit ces dernières années. De sorte qu’on a d’une part l’Arménie et le Nagorno chrétiens et l’Azerbaïdjan musulman gouverné par une dictature oligarchique depuis 30 ans. Le dictateur azéri Ilham Aliyev, successeur de son père, est confronté à des manifestations de masses dont il a tout à craindre. La mort récente d’un officier supérieur sur la ligne de front a été le catalyseur de l’appel à manifester, à revendiquer des changements dans le pays, bref un amalgame susceptible de déboucher sur une crise de régime.

Le patriotisme réel des citoyens s’est transformé en appel à la vengeance et la guerre.  Les deux pays sont confrontés à la pandémie qui ajoute aux difficultés. La loi martiale et la mobilisation ont été décrétées des deux côtés. Ce qui permet  au dictateur de lancer une opération militaire pour se remettre en selle et  détourner  la colère populaire vers l’étranger. Chaque partie donne son explication. Cependant, il apparaît que l’Azerbaïdjan, qui fait état d’une contre offensive, avait  décidé une mobilisation de réservistes quelques temps avant le début du conflit. On peut y voir la préparation à la guerre qui a suivi.

Le discours nationaliste depuis des décennies, dans les deux pays, est basé sur une haine réciproque pour le voisin. Quel que soit le changement de régime, ce qui a été le cas en Arménie lors de la révolution de velours, le narratif national ne change pas. Un dirigeant voudrait-il modifier ce récit national, qu’il pourrait y laisser sa carrière ou sa vie. Déjà en 2016, Bakou avait lancé une attaque surprise, qui resta sans lendemain, car l’Arménie avait soigneusement aménagé ses défenses dans une région montagneuse qu’elle connaît bien.

Des habitants du Karabakh dans un abri


En juillet, Bakou trouva un prétexte pour lancer une nouvelle offensive. Ce qui cette fois créa une situation des plus délicates. L’Azerbaïdjan reçoit la majorité de son armement de la Russie, qui est aussi le fournisseur de l’Arménie. Le nouvel embrasement actuel voit la Turquie adopter une rhétorique extrêmement belliqueuse au soutien de l’Azerbaïdjan que le président turc qualifie de pays frère. On doit y voir un double objectif ; d’une part trouver dans ce conflit une arène supplémentaire pour s’ériger en nouveau Saladin du monde musulman, après ses multiples interventions au Moyen-Orient et dans d’autres théâtres d’opérations ; d’autre part, essayer de mobiliser la population turque déjà confrontée à des problèmes économiques et sanitaires majeurs. On ne peut que s’étonner des moyens énormes mis en œuvre face à des ressources en baisse. La Turquie y voit aussi un allié qui est riche en gaz et en pétrole, alors que l’Arménie chrétienne n’a rien à offrir. Certains affirment même que la Turquie aurait déplacé 4.000 mercenaires en provenance de Syrie, comme elle l’a fait en Libye. Elle aurait même abattu un avion arménien.

La Turquie alliée de l'Azerbaidjan


La Russie cette fois ne voudra pas soutenir militairement l’Arménie et donc intervenir par les armes. L’enjeu pour elle est de poursuivre ses bonnes relations avec l’Azerbaïdjan, son client et aussi son partenaire en ressources naturelles. Au delà, soutenir l’Arménie serait se couper de ce pays, laisser le champ libre à la Turquie et aux États-Unis qui avec l’Azerbaïdjan participent au programme de l’Otan, Partenaires pour la paix. Les États-Unis disposent de diverses facilités militaires : base de ravitaillement, survol de l’espace aérien, coopération contre le terrorisme. Un tiers des équipements autres qu’armements destinés aux bases dans la région, transite par Bakou. Une coopération étroite s’est également développée concernant la production d’hydrocarbures et la sécurité en mer caspienne. En clair les Américains ont toutes les raisons officielles et officieuses de laisser leur partenaire agir sans intervenir, autrement que par des initiatives diplomatiques. A preuve, un accord a été signé garantissant à ce pays la clause «du pays le plus favorisé».  L’Amérique soutient également la candidature du pays à son entrée dans l’OMC.

Mission américaine en Azerbaïdjan


Le groupe de Minsk au sein d’OSCE, constitué de la Russie, des Etats-Unis et de la France avait annoncé en janvier 2019 un accord peu suivi. En fait, le président Aliyev revendiqua pour son pays le droit au recours par la force. Le Groupe propose actuellement une médiation en vue de trouver une solution pacifique, sans succès jusqu’à maintenant, si ce n’est des suspensions sporadiques des hostilités. C’est ce qu’on appelle localement un conflit gelé. Un tonneau de poudre où il suffit d’allumer la mèche.

Le président français a une position ambivalente car il prône des sanctions contre la Russie (Biélorussie) et le dialogue. Il faut également noter que c’est le dernier forum où Russes et Américains peuvent officiellement se parler. L’UE fait de grandes déclarations en vue de calmer le jeu qui a déjà fait près de 100 victimes, militaires et civiles, mais rien n’y fait. Cette fois le président Aliyev sait que les grands joueurs se tiennent à l’écart. Dans le meilleur des cas un cessez le feu interviendra avec des gains pour l’Azerbaïdjan, à défaut il faut s’attendre à un conflit qui perdurera, obligeant les populations des deux pays à subir un drame de plus. Ce sont toujours les civils qui paient l’addition !

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