RIEN NE VA PLUS ENTRE ERDOGAN ET POUTINE
Par Jacques BENILLOUCHE
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Erdogan ne connait pas les limites. Il se sent pousser des ailes avec ses grands airs de vizir dans sa quête d’un nouvel empire ottoman. Il est sur tous les théâtres d’opération,
envoyant ses mercenaires pour batailler en son nom. Les Occidentaux n’osent pas
le freiner au risque de voir affluer en Europe tous les réfugiés syriens basés
en Turquie. Comme ce chantage fonctionne, alors il se lance à la conquête de territoires affaiblis par des conflits internes.
Mais la Russie n’est pas l’Europe et Vladimir Poutine n’est pas dirigeant à se
laisser doubler par un allié. Erdogan a pris le risque d’affronter Moscou là
où il n’était pas attendu.
Haut Karabakh |
Mercenaires turcs en Libye |
Erdogan veut revenir sur la scène internationale en se plaçant au niveau
des Grandes puissances. Sa stratégie est d’agir partout où il trouve
de l’espace : au nord-est de la Syrie, en Irak contre les milices kurdes, en
Libye dans la guerre civile, en Grèce autour des forages en Méditerranée
orientale. Il provoque même la France dans son pré carré en Afrique de l'Ouest.
La Turquie trouve là un moyen de mettre en avant son équipement militaire
local, voire de le tester.
Moscou a ainsi reproché à Ankara de «jeter
de l'huile sur le feu» en déployant des «terroristes
et des mercenaires étrangers venant de Syrie et de Libye». Les observateurs
politiques sont convaincus qu’une intervention militaire directe turque pousserait
à une internationalisation du conflit. Poutine et Erdogan n’ont jamais été dans
la grande amitié, mais seulement dans des relations d’intérêt. On se souvient qu’en 2015,
un avion russe avait été abattu par les Turcs. Erdogan s’est éloigné de
l’Occident d’une part après le refus d’être intégré à Europe et surtout après
le coup d’Etat manqué de 2016 attribué à des éléments européens. Il n’a pas apprécié que les
Américains soutiennent les Kurdes syriens considérés comme des alliés de ses
ennemis du PKK et un danger permanent à ses frontières.
Erdogan appréciait son «amitié» avec Poutine qui trouvait de son côté l'occasion de s'introduire dans un pays de l'Otan en lui fournissant tout l'armement à bon prix. Les Turcs pouvaient faire un pied de nez aux
Américains qui avaient tendance à toujours imposer leurs conditions politiques. C’est ainsi qu'ils ont obtenu des
Russes le système de défense antimissile S-400. Par ailleurs les présidents turc et russe avaient officiellement lancé le gazoduc TurkStream qui transportera le gaz naturel
russe vers le sud de l'Europe via la Turquie, dans le cadre des efforts de
Moscou pour réduire les expéditions via l'Ukraine.
Mais dans une certaine inconscience, voire une volonté manifeste de puissance, Erdogan ne se rend pas compte qu’il marche sur les platebandes russes en Libye, au Moyen-Orient et au Caucase. Il n’a pas cessé de ridiculiser la technologie russe en envoyant ses drones détruire les systèmes russes de défense aérienne dans ces trois régions. Depuis quelques temps déjà des fissures dans l’amitié entre les deux pays sont apparues. Alors qu’Erdogan recevait chez lui le libyen Fayez al-Sarraj, la Russie aidait en fait les forces du général Khalifa Haftar grâce à l’intervention des mercenaires du groupe Wagner. Poutine avait déployé des avions de combat et des mercenaires syriens pour conserver Syrte, riche en pétrole.
Fayez Al-Sarraj à Ankara |
Enfin Erdogan s’est fait doubler par Poutine en Syrie. Les Russes avaient mis fin au cessez-le-feu en préservant le dernier bastion de l'opposition à Idlib car ils estimaient avoir atteint leurs objectifs en Syrie. Donald Trump avait ordonné le retrait des forces américaines du nord de la Syrie, pour céder le territoire au contrôle russe. Poutine n'avait plus besoin de la Turquie pour équilibrer la présence américaine en Syrie et il a continué à réchauffer la situation à Idlib. Les attaques syriennes et russes contre Idlib se sont alors intensifiées en mars. Erdogan poussait à l'arrêt de l'offensive mais Poutine voulait absolument expulser d’Idlib les éléments radicaux, tels que Ha'yat Tahrir al-Sham. Insulte suprême, Poutine refusait de le prendre au téléphone et avait envoyé une délégation russe à Ankara pour demander aux responsables turcs de se retirer d'Afrin, menaçant de fait le contrôle que la Turquie avait établi le long de la frontière nord.
En février et mars, la Turquie a enregistré la mort de plus de 59 de ses soldats, imputant cette attaque à l'armée de l'air russe. Devant ce désintérêt flagrant de Poutine à l'égard des Turcs, Erdogan s’est à nouveau tourné vers les Américains et a suspendu l’activation des systèmes de défense S-400. Le fil est rompu entre Poutine et Erdogan. Cependant les Turcs ne regrettent rien car ils ont testé en réel leurs drones armés et ont permis à leur armée de se familiariser avec les champs de bataille.
S-400 |
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