Manifestants syriens devant le tribunal de Coblence où était jugé le colonel Raslan, les familles de disparus réclament justice. |
Le ministre des Affaires étrangères iranien, Hossein Amir-Abdollahian, s'entretient avec le président syrien Bachar al-Assad à Damas, le 29 août 2021. |
A partir de là on doit se poser la question, en Syrie ne s’agit-il pas de crime contre l’humanité ? Une réponse nous est donnée par certains États de plus en plus nombreux : Rien de ce qui se passe en Syrie ne justifierait une inculpation de l’État ou de son président grand ordonnateur et on comprend donc que rien ne s’oppose à réintégrer cette dictature sanglante dans le concert des nations. Les signaux dans ce sens se multiplient. Le plus grand nombre considère que Bachar a gagné la guerre et qu’il faudra négocier avec lui. La Russie soutient cet objectif auprès des chancelleries.
Les
faits saillants qui conduisent à cette probable réintégration-absolution :
L’économie est en lambeaux, le trafic de stupéfiants est devenu une des
principales ressources du régime qui le contrôle. Plus de 12 millions de syriens
souffrent d’insécurité alimentaire. La sécurité intérieure est précaire. Il y a
en permanence des heurts armés entre les différentes milices, les troupes du
régime, les cellules de Daesh dans l’Est. On parle d’un cessez le feu dans le
nord-est, mais sur le terrain les attaques se poursuivent, le régime bombarde,
la Russie aide et Erdogan intervient contre les Kurdes ennemis jurés de la
Turquie et de la Syrie, que les Américains ont lâchés. D’un isolement punitif, Damas
passera progressivement d’un retour diplomatique par étape, à une réintégration
effective.
Depuis
juillet, la normalisation avec la Jordanie s’est accélérée, ce qui se traduit
par une réouverture du poste frontière, la reprise d’échanges commerciaux et
des garanties syriennes de ne pas laisser les milices iraniennes s’approcher de
cette frontière d’une part et de l’autre, la possibilité du retour du million
de réfugiés syriens.
Bahreïn nomme son ambassadeur en Syrie le 31 décembre 2021 |
Les
Émirats et le Bahreïn ont rouvert leur ambassade pendant que plusieurs autres États
arables militent pour que la Syrie revienne au sein de la Ligue Arabe dont
l’Irak, sans doute l’Arabie Saoudite qui reste très prudente. La réunion est prévue
en mars en Algérie, soutient de Damas. Au détour, on sait déjà que la Syrie a
été retenue pour accueillir une conférence arabe sur l’énergie en 2024. C’est
loin, mais c’est une indication. Les États-Unis maintiennent les sanctions,
tout en les allégeant, pour permettre le possible passage d’un futur gazoduc
égyptien destiné à acheminer du gaz au Liban. Ce faisant on rend service à tout
le monde et le président Biden pourra expliquer qu’il s’agit de soutenir les Libanais
tout en s’opposant à la normalisation alors que ses alliés régionaux militent
pour cette normalisation qui lavera le régime de toutes ses atrocités. Les
Américains sont ambivalents en s’abstenant d’appliquer rigoureusement la Loi César
sur les sanctions, pour ne pas gêner ses alliés. Dans le même temps ils
dressent des listes de responsables syriens en vue de sanctions. Ce qui est
loin d’une judiciarisation, telle que les Pays Bas l’ont en vue après l’Allemagne.
Le nouvel ambassadeur grec rencontre le président syrien, l'UE est de retour |
À qui
profite le crime ? Les bénéficiaires sont nombreux. Les arguments avancés sont
disparates : faire de la Syrie un contre poids arabe face à l’Iran et prémisse
d’un axe sunnite avec Israël peut-être ? Soulager les civils, permettre le
retour des exilés, prévenir un nouvel afflux de réfugiés vers les États
voisins. La Jordanie n’en peut plus. Coté U.E. la position est contrastée. Il
n’y a pas de position commune. En revanche, plusieurs pays se rapprochent de
Damas. La Grèce ne s’en cache pas, suivie par la Hongrie, la République de
Chypre et la Serbie.
Par
ailleurs très discrètement, on laisse entendre, qu’un engagement du régime à
accepter des réformes «nécessaires» ouvrirait les vannes du financement
de l’U.E et marquerait son retour dans la région, sans préciser le contenu de
ces «réformes nécessaires» et celui d’une «transition politique» selon
la résolution 2254 du Conseil de sécurité. L’ONU a déjà accompli un bout de
chemin.
Geir Pedersen envoyé spécial de l'ONU en Syrie |
Son
envoyé spécial Geir Pedersen s’est rendu sur place en décembre et disposant
sans doute de capacités extra lucides, il a «ressenti une prise de
conscience plus large qu’auparavant, que des mesures politiques et économiques
sont nécessaires et que celles-ci ne peuvent vraiment se produire qu’ensemble,
étape par étape». Ce qui, traduit en clair, signifierait faire des
concessions et encore, selon la méthode bien comprise du clan Assad depuis des décennies.
En somme Bachar pourra à juste titre comprendre qu’il a tout à attendre de la «communauté
internationale» sans rien lâcher sérieusement. Les trois piliers du régime
sont bien connus : prédation quand on sait que le régime s’approprie
l’aide humanitaire, corruption et trafic de drogue. Ce pas à pas est envisagé
par un nombre croissant de gouvernements qui pensent qu’Assad a gagné la guerre.
Il renforce la dictature qui pourra obtenir concession après concession, comme
l’avait déjà intégré feu Hafez El Assad qui avait adopté le fameux slogan de
Staline : Ce qui est moi est à moi et ce qui est à toi est négociable.
Le président égyptien officialise son soutien à la Syrie |
L’Égypte
a été la première à se réengager avec la Syrie qu’elle considère comme pierre
angulaire de sa politique régionale arabe et pense que la normalisation du régime
serait par ricochet un soutien à son propre régime autocratique. Il s’agit de
repositionner la Syrie à la place qu’elle occupait dans les années 90 comme
partenaire junior et susceptible de conclure une paix avec Israël sous son égide
en vue des bénéfices qu’elle en tirerait. Les Émirats, nouveau partenaire
d’Israël, en coordination avec la Russie et Jérusalem cherchent à affaiblir
l’Iran ou à la mettre hors-jeu agissent en coulisse. Israël ne pourrait pas
poursuivre ses bombardements sans un plein accord avec la Russie.
Malgré le
sang versé, seul l’intérêt des états compte. La France et tant d’autres
coopèrent déjà avec des régimes qualifiés de démocratures, variante de
dictature éclairée sans doute. L’appellation change en fonction des achats
d’armes et d’avions. Ceux qui ont déclaré haut et fort ne jamais coopérer avec
une dictature sanglante seront parmi ceux qui donneront l’absolution demain.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire