LES DESSOUS DE LA VISITE DE YAÏR
LAPID AU MAROC
Par Jacques BENILLOUCHE
El Othmani |
La
visite de Yaïr Lapid n’a pas été un long fleuve tranquille car des réticences
sont apparues en raison de la position ambigüe des islamistes marocains. Après
une normalisation intervenue en décembre 2020, la visite du ministre israélien des
Affaires étrangères devait sceller la réalité des relations diplomatiques. Mais
le chef du gouvernement marocain, Saad Eddine El Othmani, a qualifié la
normalisation des relations diplomatiques entre le Maroc et Israël de «décision
douloureuse et difficile». À la télévision il a affirmé que l'intérêt
national reste «avant toute considération», et s’est justifié en rappelant
que le roi Mohammed VI avait affirmé que le Maroc ne «changera pas ses
positions sur la cause palestinienne et la lutte du peuple palestinien».
Bien avant le début de la visite, il avait refusé de
rencontrer Yaïr Lapid pour ne pas immortaliser une poignée de main car «ce
n'est pas dans le programme que je le rencontre». Il s’est justifié en
précisant que les positions officielles et populaires du Maroc à tous les
niveaux sont contre «la judaïsation d’Al Qods et la modification de ses
caractéristiques. La position du Maroc est très claire et consiste à soutenir
la résistance du peuple palestinien».
On n’explique mal la volteface du Premier ministre
marocain qui a refusé de rencontrer le responsable israélien, alors que le 22
décembre 2020, dans le cadre de l’accord d’Abraham, il avait signé la déclaration
conjointe israélo-marocaine scellant la normalisation avec Israël. Opposé à cet
accord, il s’était ensuite justifié en invoquant «le soutien permanent
apporté par le gouvernement au roi Mohammed VI dans toutes les initiatives
qu'il lance dans l'intérêt suprême du royaume».
Signature d’une déclaration commune par Jared Kushner, Saâdeddine El Othmani et Meir Ben Shabbat, le 22 décembre 2020 |
El Othmani ne pouvait pas réagir autrement en tant
que Secrétaire général du Parti islamo-démocrate pour la justice et le
développement (PJD), proche des Frères musulmans égyptiens. Mais sa décision risque d'être interprétée comme un refus de soutenir le roi. Il a d'ailleurs été contredit dans sa décision par l’ancien premier ministre et ancien
leader du PJD, Abdelilah Benkirane, qui a justifié la normalisation avec Israël
en raison «d’intérêts supérieurs de l'État». Limogé sans ménagement, il
est sorti de son silence volontaire pour appeler à la raison ceux qui exigent
que le premier ministre démissionne à la suite du rétablissement des relations
diplomatiques avec Jérusalem. En fait il cherche à se réintroduire dans le
circuit royal. En décembre il avait même appelé ses Frères islamistes à
privilégier les intérêts de la nation à ceux de leur parti après la
reconnaissance par les États-Unis de la souveraineté du Royaume sur le Sahara.
Benkirane |
El Othmani est
critiqué par son parti pour n’avoir pas réussi à s’opposer à la visite de Lapid
et surtout pour n’avoir pas pris de mesures de rétorsion après les prises de
position de David Govrin, le chef du bureau de liaison israélien à Rabat qui
avait reproché au premier ministre de «soutenir et de féliciter les deux
organisations terroristes du Hamas et du Jihad islamique» lors de la
dernière guerre de Gaza. Sa position était en effet peu diplomatique car un
ambassadeur n’est pas habilité à critiquer le premier ministre du pays où il
est en mission.
David Govrin en tenue locale |
Lapid n’a pas tenu
compte des réticences du premier ministre car il sait que le vrai pouvoir
appartient au cabinet royal qui prend toutes les décisions importantes. El
Othmani n'est qu’un exécutant. Le roi a définitivement opté pour une alliance
stratégique avec Israël en prévision d'un avenir trouble car il est entouré de pays ennemis comme l’Algérie qui défend le Front Polisario et l’Iran qui cherche à
semer des troubles dans son pays.
El Othmani a tout fait
pour saboter cet accord afin de montrer qu’il avait de l’influence. En juin
dernier, il avait invité à Rabat, le chef du bureau politique du Hamas, Ismail
Haniyeh, dans le cadre d’une première mais il avait préalablement demandé l'accord
préalable du Palais Royal. Il n’a réussi qu’à mettre en évidence ses
contradictions et ses compromis et révéler l’inanité du Comité Al-Quds, créé en
1975 et présidé par le roi du Maroc, pour rassembler les partisans du peuple
palestinien à travers le monde arabe.
El Othmani et Haniyeh |
En fait le roi avait
bien manœuvré en autorisant cette visite de Haniyeh. Il voulait saper
l'ambition d’Erdogan qui tenait à prendre la présidence du comité inutile. En
revanche la presse israélienne a été autorisée à publier qu'un avion militaire
marocain avait atterri en Israël, transportant des membres des Forces armées
royales (RAF), qui participaient à des exercices militaires conjoints avec
l'armée israélienne. Un moyen de mettre El Othmani face à ses contradictions et
à la réalité que le cabinet royal, noyau du régime, prend toutes les décisions
importantes.
Il est certain que le
refus du premier ministre marocain d’être présent aux côtés de Yaïr Lapid sera
interprété comme un acte de défiance contre le roi Mohamed VI qui ne pardonnera
pas cet affront. Les jours du premier ministre sont comptés. Des dirigeants au
sein même du PJD sont d’ailleurs candidats au poste bien qu'ils ne feront que de la
figuration. La plupart des «frères» préfèrent s’intéresser à leurs
propres carrières. De toutes façons, le parti islamique est la proie de démissions,
de menaces, de linge sale lavé en public démontrant qu’il traverse une grave
crise. Les militants du PJD estiment qu’El Othmani avale trop de couleuvres. Pour cela, il a voulu redorer son blason auprès des siens en snobant Lapid.
La visite de Lapid a mis en lumière la contestation
au sein du PJD qui souffre d’un clivage générationnel car les jeunes sont de
plus en plus nombreux à critiquer sa trop grande rigidité idéologique, et son
incapacité à admettre la diversité des opinions en son sein. Cependant, la
diplomatie ne fait pas partie des prérogatives d’El Othmani. Au Maroc, les
Affaires étrangères sont un ministère de souveraineté tandis que la position de
l’État marocain sur le conflit israélo-palestinien n’est pas la même que celle
du PJD.
Bilal Talidi |
Bilal Talidi, politologue et membre du Conseil
national du PJD estime que le soutien à la cause palestinienne est basé sur
trois composantes : «D’abord, la Palestine et Al Qods sont des
problématiques religieuses et non pas politiques, ensuite il s’agit de soutenir
tous les mouvements de résistance contre l’occupation israélienne, et enfin il
faut combattre la normalisation dans tous les domaines : culturels, économiques
et politiques. Mais il convient néanmoins que le parti dirige le gouvernement
et participe aux affaires de l’État. Il est donc obligé de soutenir la position
du régime, d’autant qu’il s’agit là d’intérêts nationaux. C’est une situation
très délicate, car la base électorale du parti est liée à lui par la référence
islamique et les positions contre Israël».
La position ambiguë d’El Othmani a évolué vers un certain pragmatisme.
S’il doit toujours être à la hauteur de ses principes et de ses valeurs, il
sait que les ministres du gouvernement sont obligés de s’aligner sur le roi, sinon ils dégagent. Alors il se justifie et se réconforte en estimant que la
question du Sahara l’emporte sur la question de la normalisation avec Israël. Le
PJD en pleine tourmente n’avait pas besoin de cet épisode pour restaurer
l’union en son sein. Yaïr Lapid sera peut-être celui qui aura instillé la
mésentente au sein du parti gouvernemental islamiste.
3 commentaires:
Merci
Je ne savais rien de ce qui se passe au Maroc
Michel
Sans doute est ce que l'on appelle être assis entre deux chaises ! toujours problématique !!
Cher monsieur Benillouche,
J’ai bien peur que voulant traiter des « dessous » de la politique marocaine, ne n’ayez affaire à forte partie.
En effet du fait du régime très particulier de la monarchie marocaine dans cette région, les atermoiements sont plus nombreux qu’à leur tour, car le roi doit sans cesse ajuster sa politique, tantôt à l’intérieur, pour tenir son opposition en respect, tantôt sur le plan extérieur pour tenir son rang sur la scène internationale.
J’ai eu l’immense plaisir de vivre dans ce magnifique pays en 1963/1964, et c’est à cette époque, ayant assisté en personne à des scènes très particulières et assez emblématiques de ce que j’avance, que je m’étais forgé cette idée, et je n’en ai pas changé.
Très cordialement.
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