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lundi 16 août 2021

Erdogan, fer de lance du panislamisme au Sahel par Francis MORITZ

 

ERDOGAN, FER DE LANCE DU PANISLAMISME AU SAHEL

Par Francis MORITZ

 

 

Le président turc avec le président IBK malien avant son renversement

        A l’instar de Gamal Abdel Nasser qui fut la figure de proue du panarabisme, le président Erdogan, qui a reçu une formation d’imam dans sa jeunesse, se considère investi d’une mission sinon divine, pour le moins très inspirée : devenir le parangon du monde musulman. Comme premier ministre en 2014, puis président, il n’a eu de cesse que d’intervenir partout en tant qu’allié de ses frères en islam et en conjonction étroite avec les Frères musulmans dont il est un porte étendard. Ce qui le fait courir ? Il croit être la réincarnation du dernier sultan ottoman Abdülhamid II. En 1922 le mot turc remplaça celui d’ottoman et marqua la fin de l’empire que le président turc rêve de restaurer avec lui comme grand calife. Il a deux patries, la Turquie et les Frères musulmans qui ont trouvé en lui le partenaire politique et militaire idéal ; le Qatar foyer des Frères est leur autre allié.



Signature de plusieurs accords entre le Niger et la Turquie par les ministres des A.E. à Niamey

       Depuis 2005, célébrée année de l’Afrique, la Turquie a beaucoup investi dans le continent africain. Elle y a apporté une assistance économique, médicale, alimentaire, obtenu des contrats pour les sociétés turques, financé des mosquées. Au Niger, diverses entreprises turques ont mené à bien plusieurs projets importants qui ont permis à Niamey d’accueillir le sommet de l’Union Africaine en juin 2019. Au Mali, la fondation Maarif a signé un accord avec le ministre de l’Éducation, lui permettant de prendre le contrôle de dix-huit écoles Horizon anciennement affiliées à Fethullah Gülen accusé d’avoir fomenté le coup d’état de 2017. Il s’agit bien entendu de la diffusion de l’islam sur place.

C’est ce qu’on appelle le soft power opposé au hard power, celui des armes. Ce sont deux des facettes du nouveau calife d’Ankara. Il se pose comme protecteur des Palestiniens, soutien du boucher de Damas, il élimine les Kurdes, intervient directement dans le conflit libyen, est aux côtés de l’Azerbaïdjan au nom de la solidarité identitaire musulmane contre la petite Arménie chrétienne. On n’oublie pas la mise en service du Turk Stream en janvier 2020 par les deux partenaires que sont Vladimir Poutine et Tayyip Erdogan, par ailleurs partenaires dans les accords d’Astana sur la Syrie avec l’Iran. On n’oublie pas non plus l’accueil chaleureux réservé au premier responsable du Hamas Ismaël Haniyeh.

Au Mali Moktar Ouane premier ministre avant son renversement par la junte corrige diplomatiquement le ministre le Driant au sujet des djihadistes




Il s’intéresse désormais au Sahel. Ce qui inquiète à juste titre la France, qui sous couvert de changement stratégique, opère son retrait programmé du Mali, laissant officiellement l’initiative aux Africains dont on connait les limites. Ce départ, que d’autres qualifient d’échec, provoque une accélération de la pénétration djihadiste en Afrique. On se rappelle que Boko Haram est présent au Nigeria et au nord du Cameroun, depuis des années sans être éradiqué. À cet égard, l’Afrique de l’Ouest avec ses ports est considérée comme le ventre mou par lequel transite la drogue vers l’Europe. L’intervention française a été un coup de pied dans la fourmilière du trafic dans tout le Sahel ce qui a entraîné sa réorganisation.

On sait que les groupes djihadistes en mal de financements se sont également investis dans la source très lucrative du trafic. De plus la diversité des organisations a exacerbé la concurrence. Ce qui se traduit par une augmentation non seulement des attaques contre les forces militaires étrangères, mais aussi par des luttes de territoire, dont pâtissent les populations les plus démunies. Le nombre croissant de victimes témoigne de cette aggravation que les autorités des États concernés et les pays occidentaux ont tendance à minimiser pour masquer la gravité de la situation.

Le ministre turc des affaire étrangères rencontre le représentant de l’ONU au Mali


L’expansion turque et ses investissements ne sont en rien comparables à ceux de l’UE, pour autant ce qui n’était que civil, humanitaire ou commercial évolue progressivement vers des projets de nature militaire. On passe graduellement du soft power au hard power. En juillet 2020 la Turquie et le Niger ont signé un pacte de défense (le texte reste confidentiel) qui jette les bases d’une présence opérationnelle directe d’Ankara. Pour mémoire, c’est à peine un an après l’annonce par la France de son plan de fermeture de sa base au nord, proche de la frontière libyenne où la Turquie est partie au conflit avec ses miliciens. Avec le Niger, il est prévu l’envoi de militaires turcs pour sécuriser les frontières et pourquoi pas au-delà ?

La Turquie dispose déjà d’une base militaire en Somalie. Pendant que la France adoubait le successeur d’Idriss Deby au Tchad après son coup d’État et refusait celui des militaires au Mali, le ministre turc des affaires étrangères Mevlüt Çavuşoğlu était le premier officiel de haut rang à rencontrer la junte. Diverses sources indiquent qu’Ankara aurait financé et armé certains groupes djihadistes. Ce qui pourrait expliquer, en partie, la recrudescence des attaques.

Mevlüt Çavuşoğlu Ministre turc des affaires étrangères


Les Sahéliens ont accueilli la Turquie comme un acteur majeur international avec lequel ils ont de nombreuses affinités. L’islam est leur lien commun. À leurs yeux, la France et l’UE sont arrogantes et développent une politique anti islamique et migratoire anti africaine, ce qui les rend très disposés à conclure d’autres alliances hors la France et l’UE. Celui conclu avec le Niger a valeur d’exemple. Niamey y voit la perspective d’une coopération qui permettra l’intensification des opérations de renseignement et le renforcement de ses capacités sécuritaires.

Pour l’instant, cette expansion au Sahel n’a pas une ampleur suffisante pour bouleverser les cartes. Cependant elle commence à inquiéter les chancelleries. Car si la Turquie n’a pas tous les moyens d’une grande puissance, elle a largement démontré ses capacités à nuire, déstabiliser dans les divers conflits dans lesquels elle est impliquée. Le principal danger de cette offensive turque tous azimuts est de pousser d’autres États du Golfe, notamment les Émirats, à intervenir. On assiste par ailleurs à un rapprochement récent entre la Turquie, l’Égypte et certaines monarchies du Golfe jusque-là en conflit. Ce qui démontre la capacité d’Ankara-caméléon à rompre ses relations pour ensuite tenter de les reprendre.

En 2017 le chef d’etat major turc inaugure La base de Mogadiscio


La timide tentative de reprise des contacts avec Israël est un autre exemple. Cette même compétition a eu pour résultat de déstabiliser l’Afrique du Nord et la Corne de l’Afrique. Dans le même temps, Ankara semble vouloir s’aligner sur les options occidentales dans le Sahel, de nature multilatérale plutôt que bilatérale. Les Occidentaux doivent réfléchir à inclure ou exclure la Turquie dans ces démarches pour éviter de voir ce pays poursuivre la conclusion d’accords bilatéraux qui ne pourront que compliquer la situation. Dans ces deux hypothèses, on voit bien la conjonction d’intérêts de ces trois menaces que sont le développement en Afrique d’un panislamisme militaro-politique, l’avènement d’une nouvelle forme de califat djihadiste dans les régions les plus déshéritées, qui comblera le vide laissé par les États sahéliens et leurs mentors européens qui ont failli à prendre leurs responsabilités et à reconnaître la vrai nature des problèmes et le développement d’une présence mortifère du narco trafic, à l’exemple de la Colombie ou du Mexique.

Il reste à l’UE et plus spécialement à la prochaine présidence française de proposer une politique européenne à vocation économique, humanitaire et sociale qui s’attaquera aux vrais difficultés chroniques de ces populations et pas uniquement à projeter des forces militaires qui ne finissent pas de s’enliser dans les sables.

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