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lundi 23 août 2021

Les dessous de la visite de Yaïr Lapid au Maroc

 


LES DESSOUS DE LA VISITE DE YAÏR LAPID AU MAROC

Par Jacques BENILLOUCHE

copyright © Temps et Contretemps

El Othmani

            

          La visite de Yaïr Lapid n’a pas été un long fleuve tranquille car des réticences sont apparues en raison de la position ambigüe des islamistes marocains. Après une normalisation intervenue en décembre 2020, la visite du ministre israélien des Affaires étrangères devait sceller la réalité des relations diplomatiques. Mais le chef du gouvernement marocain, Saad Eddine El Othmani, a qualifié la normalisation des relations diplomatiques entre le Maroc et Israël de «décision douloureuse et difficile». À la télévision il a affirmé que l'intérêt national reste «avant toute considération», et s’est justifié en rappelant que le roi Mohammed VI avait affirmé que le Maroc ne «changera pas ses positions sur la cause palestinienne et la lutte du peuple palestinien».





Bien avant le début de la visite, il avait refusé de rencontrer Yaïr Lapid pour ne pas immortaliser une poignée de main car «ce n'est pas dans le programme que je le rencontre». Il s’est justifié en précisant que les positions officielles et populaires du Maroc à tous les niveaux sont contre «la judaïsation d’Al Qods et la modification de ses caractéristiques. La position du Maroc est très claire et consiste à soutenir la résistance du peuple palestinien».

On n’explique mal la volteface du Premier ministre marocain qui a refusé de rencontrer le responsable israélien, alors que le 22 décembre 2020, dans le cadre de l’accord d’Abraham, il avait signé la déclaration conjointe israélo-marocaine scellant la normalisation avec Israël. Opposé à cet accord, il s’était ensuite justifié en invoquant «le soutien permanent apporté par le gouvernement au roi Mohammed VI dans toutes les initiatives qu'il lance dans l'intérêt suprême du royaume».

Signature d’une déclaration commune par Jared Kushner, Saâdeddine El Othmani et Meir Ben Shabbat, le 22 décembre 2020


El Othmani ne pouvait pas réagir autrement en tant que Secrétaire général du Parti islamo-démocrate pour la justice et le développement (PJD), proche des Frères musulmans égyptiens. Mais sa décision risque d'être interprétée comme un refus de soutenir le roi. Il a d'ailleurs été contredit dans sa décision par l’ancien premier ministre et ancien leader du PJD, Abdelilah Benkirane, qui a justifié la normalisation avec Israël en raison «d’intérêts supérieurs de l'État». Limogé sans ménagement, il est sorti de son silence volontaire pour appeler à la raison ceux qui exigent que le premier ministre démissionne à la suite du rétablissement des relations diplomatiques avec Jérusalem. En fait il cherche à se réintroduire dans le circuit royal. En décembre il avait même appelé ses Frères islamistes à privilégier les intérêts de la nation à ceux de leur parti après la reconnaissance par les États-Unis de la souveraineté du Royaume sur le Sahara.

Benkirane


            El Othmani est critiqué par son parti pour n’avoir pas réussi à s’opposer à la visite de Lapid et surtout pour n’avoir pas pris de mesures de rétorsion après les prises de position de David Govrin, le chef du bureau de liaison israélien à Rabat qui avait reproché au premier ministre de «soutenir et de féliciter les deux organisations terroristes du Hamas et du Jihad islamique» lors de la dernière guerre de Gaza. Sa position était en effet peu diplomatique car un ambassadeur n’est pas habilité à critiquer le premier ministre du pays où il est en mission.

David Govrin en tenue locale


            Lapid n’a pas tenu compte des réticences du premier ministre car il sait que le vrai pouvoir appartient au cabinet royal qui prend toutes les décisions importantes. El Othmani n'est qu’un exécutant. Le roi a définitivement opté pour une alliance stratégique avec Israël en prévision d'un avenir trouble car il est entouré de pays ennemis comme l’Algérie qui défend le Front Polisario et l’Iran qui cherche à semer des troubles dans son pays.

            El Othmani a tout fait pour saboter cet accord afin de montrer qu’il avait de l’influence. En juin dernier, il avait invité à Rabat, le chef du bureau politique du Hamas, Ismail Haniyeh, dans le cadre d’une première mais il avait préalablement demandé l'accord préalable du Palais Royal. Il n’a réussi qu’à mettre en évidence ses contradictions et ses compromis et révéler l’inanité du Comité Al-Quds, créé en 1975 et présidé par le roi du Maroc, pour rassembler les partisans du peuple palestinien à travers le monde arabe.

El Othmani et Haniyeh


            En fait le roi avait bien manœuvré en autorisant cette visite de Haniyeh. Il voulait saper l'ambition d’Erdogan qui tenait à prendre la présidence du comité inutile. En revanche la presse israélienne a été autorisée à publier qu'un avion militaire marocain avait atterri en Israël, transportant des membres des Forces armées royales (RAF), qui participaient à des exercices militaires conjoints avec l'armée israélienne. Un moyen de mettre El Othmani face à ses contradictions et à la réalité que le cabinet royal, noyau du régime, prend toutes les décisions importantes.



            Il est certain que le refus du premier ministre marocain d’être présent aux côtés de Yaïr Lapid sera interprété comme un acte de défiance contre le roi Mohamed VI qui ne pardonnera pas cet affront. Les jours du premier ministre sont comptés. Des dirigeants au sein même du PJD sont d’ailleurs candidats au poste bien qu'ils ne feront que de la figuration. La plupart des «frères» préfèrent s’intéresser à leurs propres carrières. De toutes façons, le parti islamique est la proie de démissions, de menaces, de linge sale lavé en public démontrant qu’il traverse une grave crise. Les militants du PJD estiment qu’El Othmani avale trop de couleuvres. Pour cela, il a voulu redorer son blason auprès des siens en snobant Lapid.

La visite de Lapid a mis en lumière la contestation au sein du PJD qui souffre d’un clivage générationnel car les jeunes sont de plus en plus nombreux à critiquer sa trop grande rigidité idéologique, et son incapacité à admettre la diversité des opinions en son sein. Cependant, la diplomatie ne fait pas partie des prérogatives d’El Othmani. Au Maroc, les Affaires étrangères sont un ministère de souveraineté tandis que la position de l’État marocain sur le conflit israélo-palestinien n’est pas la même que celle du PJD.

Bilal Talidi


Bilal Talidi, politologue et membre du Conseil national du PJD estime que le soutien à la cause palestinienne est basé sur trois composantes : «D’abord, la Palestine et Al Qods sont des problématiques religieuses et non pas politiques, ensuite il s’agit de soutenir tous les mouvements de résistance contre l’occupation israélienne, et enfin il faut combattre la normalisation dans tous les domaines : culturels, économiques et politiques. Mais il convient néanmoins que le parti dirige le gouvernement et participe aux affaires de l’État. Il est donc obligé de soutenir la position du régime, d’autant qu’il s’agit là d’intérêts nationaux. C’est une situation très délicate, car la base électorale du parti est liée à lui par la référence islamique et les positions contre Israël».

La position ambiguë d’El Othmani a évolué vers un certain pragmatisme. S’il doit toujours être à la hauteur de ses principes et de ses valeurs, il sait que les ministres du gouvernement sont obligés de s’aligner sur le roi, sinon ils dégagent. Alors il se justifie et se réconforte en estimant que la question du Sahara l’emporte sur la question de la normalisation avec Israël. Le PJD en pleine tourmente n’avait pas besoin de cet épisode pour restaurer l’union en son sein. Yaïr Lapid sera peut-être celui qui aura instillé la mésentente au sein du parti gouvernemental islamiste.

3 commentaires:

Michel Goldberg a dit…

Merci
Je ne savais rien de ce qui se passe au Maroc
Michel

Patrick a dit…

Sans doute est ce que l'on appelle être assis entre deux chaises ! toujours problématique !!

Marianne ARNAUD a dit…

Cher monsieur Benillouche,


J’ai bien peur que voulant traiter des « dessous » de la politique marocaine, ne n’ayez affaire à forte partie.

En effet du fait du régime très particulier de la monarchie marocaine dans cette région, les atermoiements sont plus nombreux qu’à leur tour, car le roi doit sans cesse ajuster sa politique, tantôt à l’intérieur, pour tenir son opposition en respect, tantôt sur le plan extérieur pour tenir son rang sur la scène internationale.

J’ai eu l’immense plaisir de vivre dans ce magnifique pays en 1963/1964, et c’est à cette époque, ayant assisté en personne à des scènes très particulières et assez emblématiques de ce que j’avance, que je m’étais forgé cette idée, et je n’en ai pas changé.


Très cordialement.