L’ARABIE ORGANISE L’ALLIANCE MONDIALE SUNNITE
Par Jacques BENILLOUCHE
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La Mecque |
L’Arabie saoudite est discrète et préfère
agir dans les antichambres des palais des Émirs et des Princes. La signature de
l’accord américano-iranien a accentué ses craintes d’un Iran nucléaire ou, ce
qui est le plus probable, d’un Iran ayant une capacité de déstabilisation et de
nuisance au sein des pays sunnites. Les États-Unis, s’étant désengagés du
Moyen-Orient, laissent les pays arabes à la merci d’un nouvel impérialisme constitué
soit par le djihadisme sanguinaire, soit par la nébuleuse chiite.
Les Royaumes et les Émirats, bâtis
sur des fondements fragiles, n’ont jamais su consolider leur pouvoir autrement qu’à la
force du sabre. L’Arabie saoudite se sent aujourd’hui complétement encerclée
malgré l’immensité de ses déserts. La peur s’installe dans l’esprit de ses
dirigeants tandis que le doute sur le bon choix de leurs alliances les contraint
à réviser leur stratégie. Le danger se rapproche des frontières d’Arabie
saoudite depuis que Daesh a menacé de l’attaquer pour «collusion avec les
Croisés» après avoir traité ses alliés de «crétins et d’imbéciles».
D’ailleurs, face au danger
représenté par l’État islamique, le Qatar est vite rentré dans le rang
saoudien. Après plus d’un an de rivalités avec ses voisins du Golfe, le Qatar a
revu ses prétentions à la baisse. L’Arabie saoudite est sortie gagnante du bras
de fer avec son concurrent. En effet, les Saoudiens avaient exigé du Qatar
qu’il appuie la politique prônée par l’ensemble des pays arabes alors qu’il
avait soutenu, à coup de millions de dollars, la révolution égyptienne du
président Morsi qui avait vu les Frères musulmans arriver au pouvoir.
CCG insuffisante
CCG en avril 2014 |
Cette stratégie purement personnelle avait entraîné l’isolement du Qatar mis à l’index par l’Arabie, le Koweït, le Bahreïn, les Émirats arabes et Oman. Le Qatar avait même été écarté du CCG (Conseil de coopération du Golfe), l’organisation de défense régionale regroupant six pétromonarchies arabes et musulmanes du golfe Persique. Mais ce regroupement de quelques pays n’était plus à la mesure du danger qui touchait tous les autres pays sunnites dans le monde.
Prince Mohamed ben Salman |
Le Prince Mohamed Ben Salman et
ministre de la défense, l'homme fort du régime, a donc décidé d’étendre cette coalition en créant une
sorte d’OTAN sunnite antiterroriste composée de 34 à 44 pays sunnites pour se
prémunir contre Daesh. Cette initiative
suscite le doute parmi ceux qui interprètent ce projet de contrer l'Iran chiite comme une manœuvre de l’Arabie pour prendre le leadership du monde
sunnite. Mais les dirigeants
arabes du Golfe constatent que Daesh ne cache plus sa volonté de renverser les
dynasties régnantes et les régimes faibles avec l’objectif d’étendre son
hégémonie au-delà de la Syrie et de l’Irak. D’ailleurs les menaces sont
parvenues jusqu’en Tunisie, pays faible et peu structuré militairement. Les
terroristes ont même planifié de détruire le nouveau centre commercial érigé sur
les berges du Lac de Tunis. Ils avaient déjà réussi à organiser un attentat
suicide dans un bus de la garde présidentielle tunisienne.
Le Prince a donc opté le 14 décembre
pour une coalition militaire capable de défendre tous les pays sunnites contre
le danger djihadiste d’une part, et contre l’Iran d’autre part car il ne peut
compter ni sur les États-Unis et encore moins sur la communauté internationale.
Il pense que l’Occident a montré ses limites et son inefficacité à combattre le
terrorisme qui se répand à travers plusieurs pays. Il est convaincu que les
Occidentaux ont mal diagnostiqué l’expansion de Daesh due à la destruction du
peuple syrien par Bachar Al-Assad et au soutien de l'Iran aux
milices chiites au Moyen-Orient. Cependant, cette alliance minimaliste ne
pourra pas être comparée à celle de l’OTAN qui s’est structurée autour de
membres qui ont accepté des engagements
contraignants, mais il s’agit d’un embryon sécuritaire qui prendra consistance
avec le temps.
L’Arabie poursuit un autre objectif :
s’affranchir de la tutelle occidentale et américaine en particulier. Elle avait
marqué un point en refusant le siège qui lui avait été réservé au Conseil de
Sécurité. Elle avait justifié sa position en expliquant que «le carnage en cours en Syrie et le
processus de paix bloqué entre Israël et les Palestiniens étaient des preuves
irréfutables et la preuve de l'incapacité du Conseil de sécurité d'exercer ses
fonctions et responsabilités». Elle n’avait pas non plus apprécié les choix
qui avaient été faits au Yémen. Alors, pour mettre en œuvre sa propre
stratégie, elle a organisé une coalition militaire au Yémen pour rétablir au
pouvoir le président Abed Rabbo Mansour Hadi qui avait été démis de ses fonctions par les rebelles Houthis
soutenus par l’Iran.
L’Arabie gendarme du Moyen-Orient
Le Prince saoudien donne
l’impression de vouloir se substituer aux Américains comme garant de la
stabilité au Moyen-Orient ; il sait cependant qu’il ne pourra pas le faire
sans impliquer Israël dans sa stratégie (ce qui fera l’objet d’un prochain
article). Ses ennemis rôdent aux frontières et la diplomatie tranquille n’est
plus de mise. L’Iran est en embuscade, Daesh s’étend, et les communautés
chiites d’Arabie n’attendent qu’un signal iranien pour se soulever. Or selon le
Prince, les États-Unis ont prouvé qu’ils étaient incapables de maintenir
l’ordre mondial sauf à lancer des frappes militaires inefficaces, en Syrie et
en Irak, dans le cadre d’une stratégie brouillonne. L’Arabie et Israël
d’ailleurs s’inquiètent de la réintégration de l’Iran dans la communauté
internationale. Les Saoudiens estiment donc qu’il est temps de créer leurs
propres alliances s’ils veulent protéger leurs intérêts nationaux.
Adel al-Jubeir |
Les contours de cette nouvelle coalition
et ses objectifs sont encore flous. Le ministre des Affaires étrangères, Adel
al-Jubeir, suggère une force conjointe agissant sous le commandement d’un
centre opérationnel basé à Riyad. Mais à l’opposé, le porte-parole militaire
saoudien, le général Ahmed Assiri, prévoit seulement un rôle de «coordination»
des actions de ses membres sans constituer une force conjointe.
Mais une
certitude, les moyens militaires mis en œuvre sont illimités. Les
importations d'armement de l'Arabie saoudite, 6,4 milliards de dollars, ont
augmenté de 54% en 2014. Ryad a dépassé New Delhi, en devenant le premier
acheteur d'armes dans le monde. D’autre part, le surarmement
d’un petit pays comme le Qatar avait au départ pour but de financer son
influence diplomatique dans la région. Son intégration à la coalition aura un
effet décisif. En effet, le Qatar a
signé un contrat de 23 milliards de dollars avec la Grande-Bretagne pour
l'achat d'hélicoptères d'assaut et de missiles et avec les États-Unis pour la
fourniture d’armes pour 10 milliards par an. À un certain moment les pays
arabes craignaient que ces armes ne se retournent contre eux car le Qatar
représentait, face aux potentats arabes féodaux, une image libérale véhiculée
avec ses investissements en tout genre dans les pays occidentaux.
Otan sunnite |
Cette sorte d’OTAN sunnite est le
premier pas vers une politique militaire indépendante vis-à-vis des États-Unis,
mais entièrement consacrée à la neutralisation du défi terroriste
d’inspiration religieuse. Les pays sunnites disposeront d’un front commun
indispensable pour l’éradication des djihadistes et pour la résolution des
questions syrienne et palestinienne. Cette union remet sur le tapis la menace
arabe contre l’Iran, la bête noire des pays arabes sunnites. Elle consolidera
l’accord américano-iranien car les Iraniens hésiteront avant de relancer leur programme
nucléaire face à la menace sunnite. Les Américains pourraient aussi y trouver
leur compte dans un monde sunnite, uni sous l’égide de l’Arabie saoudite, qui permettrait aussi de trouver un terrain d’entente avec la Syrie.
Daesh en Libye |
Cette
politique n’est pas éloignée de celle prônée par les Israéliens qui avaient
gardé une neutralité active vis-à-vis du régime de Bachar Al-Assad car ils
étaient persuadés que le danger venait des djihadistes, les seuls à avoir la
capacité d’attirer à eux de nouveaux soutiens à leur politique sanguinaire.
Cette crainte de hordes barbares qui envahissent les terres vassales de l’Iran
pourrait amener les mollahs iraniens, qui voient d’un mauvais œil un front
constitué contre eux, à une meilleure collaboration pacifique avec l’Occident. Daesh
est en train de recomposer le monde arabe mais les Saoudiens ont décidé de
briser l’élan des djihadistes. Sans le vouloir, l’Arabie saoudite rejoint les États-Unis
dans leur stratégie internationale. Neutraliser le régime iranien et éradiquer
Daesh seraient pour les Américains la seule victoire au Moyen-Orient, là où ils
n’ont connu que des échecs.
4 commentaires:
Jattends avec impatience l'article sur l'implication israelienne dans cette strategie.
Jacques, encore une fois un article brillant. Toutefois (comme d'hab.) il y a un point qui ne me satisfait pas. Les USA, en concoctant leurs accords avec l'Iran, a laisse montrer deux choses, la première c'est qu'il comptait sur l'Iran pour être le gendarme de cette région, et aussi qu'ils avaient l'intention d'abandonner cette région a son sort.
Jacques,
Tout comme Max, j'attends avec impatience ton prochain article concernant éventuellement l'implication d'Israël dans cet imbroglio "politico-nébuleux" qui ne cesse de faire monter les tensions...
Claude
Alors nous attendons,bonne année civile à toute l'équipe !
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