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jeudi 18 juin 2015

PLONGÉE DANS LE MONDE JUIF DE PARIS



PLONGÉE DANS LE MONDE JUIF DE PARIS

Par Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps

            
          
          Retrouver Paris après toutes les péripéties que la Capitale a vécues, en ce début d’année, ne peut pas s’effectuer sans une certaine appréhension. L’image subliminale de la panique décrite par les medias hante les esprits et pourtant, il faut se rendre à l’évidence, le calme plat règne au sein d’une communauté juive qui semble insensible aux mots d’ordre visant à la pousser à l’expatriation. 



          L’assassinat de l’hyper cacher semble déjà loin comme s’il s’agissait d’un simple épisode dramatique. La communauté juive, longtemps tétanisée, est sereine malgré les mises en garde contre un antisémitisme latent, par inconscience peut-être, par fatalisme certainement. Une certitude, le départ n’est pas à l’ordre du jour pour la majorité des Juifs de Paris qui n’ont pas écouté les appels au départ des dirigeants israéliens.

On revient ainsi aux fondamentaux d’une alyah choisie par conviction et par idéalisme sioniste et non pas par nécessité. L’analyse des chiffres de l’alyah française en 2014 a été entachée d’un contre-sens volontairement éludé. Certes 6.694 Français ont choisi Israël en 2014 contre 3.414 en 2013. Mais on a volontairement omis de préciser que cette croissance exceptionnelle n’était pas naturelle ni liée à la situation sécuritaire en France. Elle résultait d’un choix fiscal car, en devenant israéliens, de nombreux Français protégeaient automatiquement leurs avoirs en Israël non déclarés en France. Ainsi, la moitié de ceux qui ont fait leur alyah en 2014 sont retournés vivre en France, après un court séjour en Israël, en emportant avec eux leur carte d’identité israélienne nouvellement acquise.

            Notre objectif n’est pas de montrer du doigt cette catégorie de Juifs qui exploitent à bon escient la loi fiscale mais d’attirer l’attention des dirigeants israéliens sur leur optimisme exagéré en 2014 qui les pousse à ne rien envisager de nouveau alors qu'ils doivent prendre des mesures excepyionnelles s’ils veulent vraiment attirer les Juifs français pour lesquels ils ne font rien. 
         Nous avons balayé différents quartiers de Paris pour nous entretenir avec une palette de Juifs représentatifs des différentes classes sociales laïques ou religieuses. Paradoxalement, les religieux sont les moins chauds à s'expatrier car, avec leur famille nombreuse, ils bénéficient d'avantages sociaux qui les mettent à l'abri du besoin.  
Lag baomer à Sarcelles

          Il est certain qu’à l’exception de certains quartiers chauds de la Capitale ou de la banlieue, l’indifférence aux risques sécuritaires règne. Les Juifs continuent à vivre dans l’insouciance des jours heureux qu’ils ont toujours connus. Les places sont chères au restaurant Guichi du 19ème qui a ouvert sa terrasse pour les beaux jours. De nombreux maghrébins côtoient les Juifs dans une paix teintée d’indifférence. Les kippas et les foulards bariolés des juives pieuses sont affichés en pleine rue sans aucun complexe ni aucune inquiétude. Non, «ils n’ont pas peur» et pour eux la cohabitation avec les Arabes reste pacifique, indifférente aux aléas de la politique. Certes ils vivent en s’ignorant mutuellement mais ils partagent certains plaisirs de la vie. Non, pour eux Israël est seulement une destination touristique. Ils songent certes à l’alyah mais «elle n’est pas encore planifiée dans leur esprit d’autant plus qu’il faut bien la préparer et bien l’organiser. La vie est dure en Israël et le gouvernement ne fait rien pour les Français alors que les Russes sont les mieux lotis». 
Jacques Kupfer

          Le président du Likoud en France, Jacques Kupfer, qui ne peut pas être suspecté d'être un opposant au gouvernement, vient d’abonder dans notre sens en déclarant : «Le fort antisémitisme en France accélère le processus mais les Juifs de France se voient opposer la bureaucratie à leur arrivée».



          Il est vrai que la plupart des familles juives de Sarcelles paient un loyer modéré de 300 euros (1.500 shekels) pour des revenus de 1.200 euros (6.000 shekels). Ils arrondissent leurs fins de mois en les doublant avec les allocations nationales et municipales. S'ils ne sont pas aidés en Israël, ils ne pourront jamais faire le grand saut.
            Même son de cloche dans les beaux quartiers du Trocadéro qui ont vu un accroissement de la population juive venue des quartiers chauds. Dans ce nouveau  Pletzl, les petites synagogues s’ouvrent encore au gré des traditions alors qu’une dizaine existe déjà. De nouvelles superettes tenues par des Juifs viennent s’ajouter à celles existantes avec leurs nombreux produits importés d’Israël. Des nouveaux traiteurs ou restaurants offrent une variété de spécialités françaises, italiennes, chinoises et japonaises certifiés par le Beth-Din. La clientèle aisée se «sent bien à Paris et ne pourra en aucun s’habituer à la vie compliquée en Israël, surtout en raison des différences culturelles». Si elle investit dans l’immobilier en Israël, c’est uniquement à des fins d’investissement ou pour s’assurer contre une éventuelle catastrophe non planifiée.



Pour eux, l’alyah n’est pas d’actualité car le gouvernement français a montré sa volonté de protéger les Juifs qui  envisagent leur avenir toujours en France. Ils le prouvent d'ailleurs en investissant dans des commerces à l’instar de ce dernier restaurant-salon de thé, au nom d’une grande enseigne juive connue dans le 19ème, qui vient de s’ouvrir au centre de l’avenue Poincaré, signe que l’on reste confiant sur la présence permanente des Juifs en France.
            Cela explique pourquoi les chiffres de l’alyah française vont retrouver en 2015 le rythme normal de 2.000 à 3.000 personnes par an.  Selon les statistiques du ministère israélien de l'Intégration, seulement 1.710 Juifs français ont fait leur alyah au cours des cinq premiers mois de l'année 2015, mais il ne donne pas le chiffre des retours.   
        Plusieurs explications peuvent être données à cette indifférence vis-à-vis de l’alyah de la part des Français. Il n’existe en Israël aucune discrimination positive pour les emplois de fonctionnaires de l’Etat. La difficulté linguistique et culturelle reste un barrage sérieux pour une majorité de Français qui voient dans l’hébreu une langue difficile. Les professionnels éprouvent de sérieuses difficultés d’intégration car leurs diplômes délivrés par de prestigieuses universités françaises ne sont pas reconnus. Les promesses d’élus francophones d’intervenir au sommet de l’Etat ne sont que paroles comme si le pays ne cherchait qu’à satisfaire d’abord ceux qui risquent leur vie, comme en Ukraine.


Alyah d'Ukraine

            Des emplois souvent précaires sont proposés aux nouveaux venus en Israël, exploités par des «négriers» qui les emploient à bas salaires durant une période de onze mois au terme duquel ils sont licenciés sans préavis et sans indemnité car la loi israélienne impose une année de travail pour bénéficier des normes sociales. La moitié des nouveaux immigrants français travaillent en effet dans leur langue natale au sein des 80 centres d'appels en Israël qui vendent leurs services à des sociétés françaises. Ceux qui ont des motivations religieuses ou sionistes acceptent cette condition précaire avec philosophie car leurs convictions priment sur leur condition matérielle. Les autres résistent quelques mois puis, la mort dans l’âme, décident de retourner dans leur pays d’origine, en rasant les murs car ils reconnaissent leur propre responsabilité dans leur échec. Ils ont surtout souffert de leur isolement culturel car, contrairement aux Russes, ils n’ont pas investi pas pour avoir la maîtrise de l’hébreu qui ppouvait leur ouvrir la voie à des emplois mieux rémunérés. Ils ont aussi souffert de la baisse dramatique du change de l’euro qui a réduit de 15% au moins leurs économies alors que, dans le même temps, l'immobilier monte.
            Le nouveau gouvernement devra s’inspirer des conditions instituées dans les années 1970 en offrant immédiatement des logements sociaux à bas coût aux nouveaux venus, avec option d’achat à terme. Il devra réserver quelques emplois de fonctionnaires dans les ministères, les organismes d'Etat ou les mairies. Il devra immédiatement reconnaître les diplômes des universités françaises en permettant de travailler au terme d’une période six mois pour apprendre l’hébreu. Les voitures ainsi que les appareils ménagers doivent être totalement détaxés pour les ramener au niveau des prix européens. Il ne s'agit plus d'un luxe mais d'un moyen de transport permettant une meilleure mobilité dans l'emploi. 
          La France est le plus grand vivier de Juifs européens candidats à l'émigration. Il faut mettre les grands moyens si l’on veut attirer des familles de la classe moyenne pour lesquelles les conditions  matérielles conditionnent leur décision. La fin justifie les moyens. Dans le cas contraire, les Juifs français resteront heureux en France.   

3 commentaires:

Pascale CHATELUS a dit…

J espère quand même que ceux qui reviennent ne sont pas les mêmes qui ont craché dans la soupe tricolore...

Vince a dit…

Jacques, avez-vous lu cet article publié par ynet aujourd'hui : http://www.ynetnews.com/articles/0,7340,L-4669430,00.html ? Cela semble contredire la diminution que vous semblez envisager...

Véronique ALLOUCHE a dit…

Mon impression est toute différente de la vôtre. Il me semble que "le calme plat" est loin de régner dans la communauté juive parisienne, qu'elle soit laïque ou religieuse. Bien au contraire à mon sens la sérénité a disparu pour faire place à un malaise palpable chez la plupart.
Bien sur il y aura toujours des sourds et aveugles aux événements récents, moi-même l'ai-je entendu ici à Tel-aviv de quelqu'un qui se sentait en sécurité au prétexte qu'elle habitait près de la Tour Eiffel. Ceux-là seront les derniers à réagir à une situation pourtant complexe.
Autre point de désaccord: l' alyah fiscale. Tout foyer fiscal en France est dans l'obligation de déclarer au fisc l'intégralité de ses biens, y compris ceux détenus à l'étranger. Ce n'est donc pas la carte d'identité israélienne qui les soustrait à cette obligation car le retour en France implique la contrainte à la loi fiscale.
Quant aux statistiques, seules sont connues les candidats au départ pour Israël. Qu'en est-il des juifs quittant la France pour les USA ou le Canada?
Bien cordialement
Véronique Allouche