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samedi 16 mai 2015

ISRAËL 1965 : À LA DÉCOUVERTE DE L’ALLEMAGNE



ISRAËL 1965 : À LA DÉCOUVERTE DE L’ALLEMAGNE

Par Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps


Les présidents allemand et israélien le 11 mai 2015 à Berlin

Le 24 septembre 1965, un article publié dans le seul journal francophone d'alors, l’Information d’Israël, m’avait valu les pires attaques et les insultes de la part des biens pensants juifs qui étaient horrifiés à l’idée que l’on puisse se compromettre avec l’Allemagne Fédérale, considérée à tort comme l’héritière du régime nazi. Il est vrai que j’avais eu des positions tranchées, un peu en avance sur mon temps, contestataires souvent au nom des erreurs de jeunesse pour certains. J’avais trouvé alors en Roger Ascot, président en France de la Fédération sioniste, un soutien de poids dans une certaine solitude politique. Cet article n’a pris aucune ride en ce jour anniversaire du cinquantenaire de la relation israélo-allemande.





Jacques Benillouche, étudiant juif de France, raconte les impressions de son voyage en Allemagne d’après-guerre et livre ses réflexions et ses observations  sur lesquels (peut-être) tout le monde ne sera pas d’accord.

La prescription des crimes nazis, le dernier versement effectué au titre des réparations allemandes, l’anniversaire de la libération des camps de concentration, l’établissement des relations diplomatiques entre Bonn et Jérusalem, tous ces faits concourent aujourd’hui à placer l’Allemagne fédérale au premier plan de l’actualité. Juif croyant, sioniste ou athée, nul ne peut rester indifférent à ces problèmes. Si a fortiori on a l’occasion de parcourir l’Allemagne, il est impossible de rester indifférent car, au long des kilomètres, les souvenirs, les vestiges du pays, les impressions ressenties, nous amènent irrémédiablement à passer en revue ces questions, à les analyser, à prendre position même.

Une semaine suffirait à donner au visiteur une idée générale de ce que représente l’Allemagne d’aujourd’hui et à lui permettre de faire connaissance avec tous les aspects du pays. Si la chance est donnée de trouver d’aimables jeunes Allemands acceptant de jouer aux guides, la visite est plus agréable et les contacts avec la population plus faciles.

L’Allemagne nouvelle

            Ce qui impressionne au premier abord le visiteur, c’est l’énormité des réalisations de ce pays, en grande partie rasé pendant la guerre ; c’est la rapidité de son relèvement économique ; c’est la nature de l’accueil qui est réservé aux Juifs qui se considèrent comme tels.
            Si quelques villes gardent encore le cachet de ce que fut la Prusse, grâce à quelques Cathédrales ou monuments ayant résisté aux assauts de la guerre, il est incontestable que l’Allemagne a changé physiquement avec ses hauts buildings ultra-modernes, ses avenues spacieuses parsemées d’espaces verts, ses voies de dégagement grandioses, le tout laissant croire à une ville américaine.
Düsseldorf

            Rien ne distingue Düsseldorf, capitale de la Rhénanie, d’une autre ville occidentale, avec ses magasins aux vitrines alléchantes, ses gens pressés, ses piétons disciplinés,  ses flots de voitures et ses embouteillages. Et pourtant, il y a vingt ans à peine, c’était dans cette ville une hystérie collective. On ne peut s’empêcher, sinon de s’étonner, au moins de rêver.
            La vieille ville ou ce qui en reste, (les mauvaises langues disent qu’elle a été reconstruite en «vieux» pur attirer les touristes), abrite les clubs, les cafés, les lieux de plaisir, où la jeunesse se répand en quête de nouvelles idées ou de nouvelles occupations. Ce fut la première fois à Düsseldorf que nous abordions une salle publique fréquentée par des intellectuels et l’appréhension de dévoiler notre appartenance au judaïsme augmentait en nous la curiosité d’analyser les réactions de nos interlocuteurs. Ce fut notre première déception car leur attitude n’avait rien de particulier. Ils se comportaient avec nous comme l’auraient fait des Français ou des Italiens. Au contraire, ils semblaient marquer plus d’intérêt, ne manquaient pas de nous communiquer leurs idées, nous posaient constamment des questions sur ce pays lointain, Israël. Pour eux, le passé est mort, ils n’aiment pas qu’on le leur rappelle. «Si ce passé fut douloureux pour la plupart d’entre vous, il nous a permis de constater au moins qu’il ne suffit pas d’être fort pour dominer un peuple», conclurent-ils.

Essen, ville industrielle

Usine à Essen

            À quelques kilomètres de là, c’est Essen qui nous accueillait avec son aspect lugubre et sa population essentiellement ouvrière. En ville, rien ne laissait présager qu’aux alentours, les cheminées des usines ne s’arrêtaient pas de fumer, que les mines déposaient inlassablement leur épaisse couche de poussière noire, donnant cet aspect noir à la ville. Des amis insistèrent pour nous héberger car «il faut vivre avec nous pour mieux nous connaître» pensaient-ils. Et ils n’avaient pas tort car nous avons beaucoup appris. Nous nous trouvions dans une famille d’ouvriers et nous n’osions à peine y croire. Cette grande maison, garnie de meubles très confortables, d’appareils électriques de tous genres, ne nous donnait pas l’impression de nous trouver chez des prolétaires. Mais il fallut se rendre à l’évidence quand le chef de famille entra, le visage barbouillé, les mains noires.
            Ce spectacle nous impressionna et nous laissa rêveurs. Il nous montrait que vingt années de paix pouvaient modifier une nation, pouvaient offrir à un peuple une vie aisée et c’est ce qui caractérise l’Allemagne d’aujourd’hui.
La synagogue de Baden-Baden dans les années 1920-1930

            Nous quittons l’Allemagne industrielle pour nous plonger dans les sites touristiques du pays, dans la Forêt Noire, où le paysage extrêmement pittoresque permet aux visiteurs de passer d’agréables vacances, le plus bourgeoisement possible. C’est Baden-Baden, ville thermale par excellence qui devait attirer notre attention et nous amener à réfléchir sur la Diaspora, sur le sionisme et sur les Juifs en général. Nous flânions  à travers la ville quand, en pleine avenue centrale, nous nous trouvâmes face à l’inscription «restaurant cacher». Certes, nous savions déjà que des Juifs vivaient en Allemagne mais la surprise n’en resta pas moins. Ce fut un vieux monsieur, portant une calotte sur la tête, qui nous reçut, se faisant aider par son petit-fils comme interprète, du français en allemand. «Mais évidemment qu’il y a des Juifs ici  et même une synagogue que vous pouvez visiter» me dit-il en essayant de me réveiller de mon étonnement. Le restaurant était comble, on y parlait yiddish et allemand ; la plupart mangeaient tête couverte et l’on était en Allemagne.

L’État d’Israël

            Oui on ne peut s’empêcher de se demander quel Juif qui aurait été mêlé  de près ou de loin aux événements de la dernière guerre, qui aurait subi ou non les sévices nazis, aurait pensé que le judaïsme mettrait si peu de temps à reprendre les relations avec ce pays dont est issue l’idéologie nazie destructrice. Et pourtant, tout fut possible dès l’instant où l’État d’Israël est né, car cette création a donné aux Juifs l’impression que l’Occident se sentait responsable de la destruction de six millions d’êtres humains, et que les nations leur offraient cette partie d’Eretz Israël en dédommagement d’une faute qu’ils auraient commise.
            Mais le temps a passé et ce qui nous a choqués chez ces Juifs d’Allemagne, ce n’est pas cette volonté de pardonner qui, éventuellement, pourrait s’expliquer mais c’est cette volonté d’oublier. L’État d’Israël est là pour panser les blessures et les Juifs pour en profiter. Effectivement à Baden, à Frankfort ou à Munich, la réinstallation des Juifs dans des situations matérielles aussi florissantes qu’avant-guerre a favorisé l’oubli des persécutions, et a même éloigné l’idée que d’autres persécutions, sous d’autres formes, pourraient avoir lieu. «Mais l’Allemagne d’Adenauer ou d’Erhard n’est celle d’Hitler» nous affirma un bourgeois juif. Mais dans ce cas, pourquoi ne pas être beau joueur et accepter la réciproque en appuyant la réflexion d’un jeune Allemand lequel affirmait : « Pourquoi permettez-vous aux Juifs d’oublier et de revenir s’installer chez nous alors qu’on nous refuse le pardon ? Pourquoi certains nous refusent-ils la paix de l’esprit et non pas l’argent qu’on leur offre ».
            L’État d’Israël semble avoir compris, à l’heure actuelle, cet état de choses. La propagande est plus réaliste, les promesses plus réalisables. Les israéliens ont changé de méthodes et leurs propositions sont devenues plus concrètes.

Réparations allemandes

Jérusalem, 19 août 1965, Rolf Pauls présente au président Zalman Shazar  les lettres l'accréditant en qualité de premier ambassadeur de la RFA en Israël

            Si Israël a accepté les réparations, ce n’est pas en raison des difficultés économiques de l’époque d’après-guerre, mais surtout parce que ces réparations, versées à titre de dédommagement anonyme, constituent le symbole qu’Israël est seul à représenter les Juifs aux yeux des Juifs et des non-Juifs.

            Mais à présent tout ceci est entré dans le domaine de l’histoire ; les versements allemands ont été entièrement honorés dans la même année où l’Allemagne de  l’Ouest décidait d’ouvrir une ambassade à Tel-Aviv. Heureuse coïncidence évidemment, l’établissement de relations diplomatiques n’a pas enchanté tout le monde ; certains ont été jusqu’à y voir une trahison de la part des autorités israéliennes. Malheureusement, il est regrettable que des groupes organisés utilisent la sensibilité de beaucoup de Juifs à des fins politiques en cette période de veille d’élections. 
          Ceux-là même qui ont dirigé ces grandes manifestations dont j'ai été témoin à Jérusalem,  n’ignorent pas que la rancune ne peut être éternelle, qu’il est impossible d’ignorer plus longtemps une nation qui fournit une aide financière importante, un matériel de plus en plus indispensable, et une caution politique pouvant jouer un rôle prépondérant dans l’entrée d’Israël au Marché Commun. Ils n’ignorent pas non plus que cette reconnaissance de l’Allemagne ne représente pas un geste moral, à savoir un pardon, mais uniquement un acte politique qui ne s’explique que par la nécessité pour Israël d’avoir des relations avec tous les pays libres.

1 commentaire:

Véronique ALLOUCHE a dit…

> "Cet article n'a pris aucune ride".
> Vos positions auraient pourtant mérité d'être approfondies.Il est opportun parfois de se remettre en question.
> Vous parlez d'une Allemagne refaite à neuf, vous êtes en admiration face à une économie florissante, en oubliant de dire que le plan Marshall est passé par là car sans lui l'Allemagne ne se serait jamais relevée de ses cendres.
> Ensuite vous avez été étonné que des intellectuels dont vous appréhendiez d'eux le regard porté sur vous en tant que juif, vous reçoivent sans animosité et plutôt avec curiosité et respect.
> Cela me fait penser aux délégations officielles de juifs se rendant en Pologne et qui reviennent tout étonnés que l'on puisse encore prétendre que l'antisémitisme est encore bien vivant dans ce pays. Dans les cercles officiels le peuple est absent...
> Pour revenir sur l'Allemagne, encore aujourd'hui nombre de juifs, surtout ashkénazes, se sentent mal à l'aise quand ils se rendent dans ce pays. La question intérieure qui souvent se pose à eux lorsque dans la rue il leur vient à croiser un homme âgé est la suivante: cet homme devant moi, où était-il, que faisait-il et surtout que pensait-il pendant la guerre?
> Il semble que vous ne vous soyez jamais posé cette question, ni en 1965 ni aujourd'hui.
>
> Cordialement
> Véronique Allouche