LA
TURQUIE, ISRAËL ET LES JUIFS, UN ÉTAT DES LIEUX
Par Jean CORCOS
copyright © Temps et Contretemps
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Michel Alfandari |
Nous avons évoqué lors de ma dernière émission un pays incontournable de la région, la Turquie. Pour en parler, j'ai eu le plaisir de recevoir sur nos ondes Michel Alfandari. Il connait très bien ce pays, car il est né dans une famille séfarade d'Istanbul ; il a ensuite vécu à New-York où il a fait des études d'ingénieur, puis en France où il est cadre dans une grande entreprise internationale.
Son intérêt pour l'actualité et son attachement à son pays
natal l'ont poussé, en parallèle, à faire du journalisme bénévole, c'est d'ailleurs
un «collègue» blogueur, d'abord sur
son adresse : www.alfandar.fr où il parle de la Turquie, et aussi sur
l'excellent journal en ligne The Times of
Israël. Michel Alfandari a écrit une excellente synthèse intitulée «La Turquie, Israël et les Juifs, un état
des lieux», et c'est le titre que j'ai retenu pour cette interview. Elle a
été publiée en avril dernier, bien sûr le paysage de la région a évolué depuis
et nous en avons tenu compte lors de notre entretien.
Premières années
de l’AKP
J'ai d'abord interrogé mon invité sur la
période des premières années de l'A.K.P au pouvoir dans les années 2002 à 2010,
avant l'épisode de l'abordage du Mavi
Marmara; il parlait en effet dans son article d'une ambivalence, au
début, du premier ministre Erdogan.
Michel Alfandari a rappelé plusieurs signaux positifs, comme les déclarations
d'Erdogan au tout début, en faveur du développement des relations avec Israël
avec qui une quasi alliance militaire existait depuis 1995. Visite du pays en
2005, mais dès 2004 condamnation par le premier ministre turc du «terrorisme d'État» d'Israël après l'élimination du Cheikh Yassine. En fait, le ton était surtout monté depuis
la fin 2008 avec la première guerre contre le Hamas (opération plomb durci), et on se souvient de
l'interpellation publique de Shimon Peres par Erdogan au forum de Davos.
Cheikh Yassine |
Revenons
à l'épisode de la flottille pour Gaza de mai 2010 : après l'abordage de la
marine israélienne qui allait faire neuf tués parmi les activistes islamistes
du Mavi Marmara, Ankara expulse
l'ambassadeur israélien et retire le sien d'Israël. Les relations diplomatiques
sont rétrogradées, les accords militaires qui s'élevaient à plusieurs milliards
de dollars sont suspendus et le gouvernement turc va même poursuivre en justice
les israéliens responsables de l'opération. A l'occasion de la visite du président
Barack Obama, Netanyahou appelle son homologue turc et présente les excuses
réclamées : restent deux demandes non réglées, le paiement d'indemnités et la
levée du blocus de Gaza.
Règlement en
cours
Où en est-on sur les réparations ? Pour
Michel Alfandari, les choses étaient presque réglées puisqu'il semblait que les
deux parties étaient d'accord sur le chiffre de 20 millions de dollars. En ce
qui concerne l'exigence de la levée du blocus de Gaza, mon invité a cité une
déclaration d'Ahmet Davotoglou, à l'époque ministre des Affaires Étrangères,
qui reconnaissait la quasi levée du blocus côté israélien, le seul isolement du
territoire palestinien provenant de la fermeture du terminal de Rafah par
l'Egypte.
Ceci aussi est complètement remis en cause par la guerre de l'été dernier,
Erdogan ayant lancé de nouvelles invectives contre Israël traité de «nouvel Hitler» ; une rhétorique
enflammée liée, d'après Michel Alfandari, au contexte électoral de l'époque -
l'ancien premier ministre a depuis été élu haut la main Président de la
République turque.
Extraction du gaz à Léviathan |
Par
contraste, mon invité avait souligné dans son article le développement continu
des relations économiques entre les deux pays ; la Turquie était à fin 2013 le
sixième partenaire commercial d'Israël, et même le tourisme israélien vers ce
pays, jadis florissant, commençait à reprendre. Mais il y a surtout des
perspectives importantes de coopération économique pour l'exportation de gaz
israélien, à partir des gigantesques gisements off-shore découverts ces
dernières années.
En effet, Michel Alfandari a parlé de l'immense champ gazier
de Léviathan dont Israël souhaite exporter environ la moitié des réserves.
Dépourvu de l'infrastructure pour traiter et liquéfier ce gaz, Israël pourrait
coopérer avec la Turquie via un gazoduc, pour à la fois exporter vers ce pays
et également ensuite vers l'Europe, ce qui aiderait à diminuer pour eux la
dépendance du gaz russe ; mais, entre le pragmatisme économique et l'idéologie,
on ne sait pas encore où va pencher la balance.
Les Juifs de
Turquie
Nous avons ensuite évoqué les Juifs de
Turquie. Comme devait l'écrire Michel Alfandari : «si on devait ne retenir qu'une seule chose, c'est qu'il reste à ce
jour environ 17.000 Juifs en Turquie alors qu'ils étaient plus de 100.000 à la
fin de la Première Guerre Mondiale, et que les projections démographiques
montrent que la communauté juive va malheureusement disparaître d'ici 30 à 40
ans». Comment l'expliquer ? D'après mon invité, les Juifs sont devenus des
citoyens égaux en théorie en 1923, mais en fait, il y a eu ensuite des
tragédies, même de faible ampleur, en 1934 en Thrace, en 1942 pendant la Guerre
avec un impôt sur la fortune discriminatoire, en 1955 à Istanbul avec des
émeutes contre les Grecs, les Arméniens et les Juifs.
Si
on ajoute des attaques terroristes meurtrières en 1986 puis en 2003, tout ce
contexte historique explique la décroissance démographique régulière. Depuis
quelques années, l'exode s'est accéléré, la plus grande Alyah vers Israël ayant
eu lieu après 1948. Les avis défavorables envers les Juifs sont en
augmentation, et la presse proche du pouvoir n'hésite pas à publier des
attaques contre le lobby juif. Une
association, sans grands moyens dénonce cet antisémitisme. Quelques éléments
permettent, cependant, d'avoir «une
petite dose d'optimisme», comme par exemple la diffusion du film Shoah.
La fuite en
avant
J'ai ensuite interrogé Michel Alfandari
sur la fuite en avant d'Erdogan en
direction de l'axe de l'islamisme radical : relations devenues détestables avec
l'Egypte après le renversement des Frères Musulmans à l'été 2013 ; alignement
total sur le Hamas, devenu pestiféré dans le monde arabe ; refus pendant
longtemps de soutenir la guerre déclarée par les Occidentaux contre le Daesh et
sa guerre de conquête en Irak. Comment l'expliquer ? Mon invité a commencé par
rappeler les bouleversements complets que vit le Moyen-Orient depuis ces
dernières années : affrontement sunnites contre chiites, remise en question d'États
comme la Syrie et l'Irak qui sont en décomposition, rivalités au sein même des
puissances sunnites, multiplication des acteurs non étatiques que sont les
mouvements djihadistes.
La Turquie vient, par la voix du président
Erdogan depuis l'ONU de rejoindre la coalition contre l'État islamique : une des
explications à sa longue hésitation serait la libération de dizaines de ses
ressortissants, retenus comme otages pendant des mois en Irak. Pour Michel
Alfandari, la Turquie n'a le choix dans le fond qu'entre de mauvaises solutions
avec le risque de terrorisme sur son propre territoire.
Combattants kurdes |
Derniers
acteurs importants pour la guerre qui se joue aux frontières du pays, les
Kurdes. Or la Turquie, dont cette minorité représente 16 % de sa population, a
été elle-même en guerre pour mater la rébellion du PKK, les séparatistes kurdes
locaux. En Irak, on sait qu'ils ont obtenu une quasi autonomie et ce sont eux
qui, armés par les Occidentaux, résistent aux colonnes motorisées du Daesh. En
Syrie, en revanche, les Kurdes qui résistaient semblent dans une situation
désespérée et des dizaines de milliers ont déjà rejoint les réfugiés dans le
seul pays voisin possible, la Turquie.
Mon invité a rebondi sur ma question en
soulignant la différence des relations entre le pouvoir turc et les populations
kurdes de Syrie d'une part, et d'Irak d'autre part. Avec les seconds les
relations seraient bonnes. En revanche, les Kurdes de Syrie seraient très proches
du PKK, avec qui la guerre a fait quelques 30.000 morts, et cela effraie la
Turquie qui a longtemps essayé de maintenir une frontière étanche avec eux.
Pour réécouter l'émission cliquer sur le lien :
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