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vendredi 3 octobre 2014

LA TURQUIE FILE UN MAUVAIS COTON DJIHADISTE



LA TURQUIE FILE UN MAUVAIS COTON DJIHADISTE
Par Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps
        

         L’attitude de la Turquie face aux djihadistes est au cœur de tous les soupçons. Tayiip Erdogan joue un double jeu vis-à-vis des États arabes et de l’Occident. Il s’était préparé un destin panarabe en résiliant avec fracas son alliance avec Israël et en refroidissant ses liens avec l’Occident, accusé de lui refuser l’entrée dans le Marché Commun. Il se voyait déjà en leader des États musulmans à la chute d’Hosni Moubarak mais il en été empêché par l’Arabie saoudite et par le retour au pouvoir des militaires égyptiens. Il a surtout été touché par l’ingratitude des Syriens qui lui ont savonné la planche.


Politique brouillonne
Réfugiés kurdes

          Il avait offert son pays à la Syrie, en vain. Depuis, sa rancœur a dominé sa stratégie au point de lui trouver une politique brouillonne. Il a accueilli des milliers de réfugiés kurdes en provenance de Syrie pour contrebalancer ses relations ambiguës avec des djihadistes qui justement expulsent les civils qui refusent de composer avec eux. Les réfugiés, qui fuient les combats ravageant la ville d’Aïn El-Arab, passent avec difficulté le poste frontière turco-syrien de Mursitpinar. 
          Ces malheureux sont pris entre deux feux, les blindés turcs qui filtrent les passages et les fous de Daesh. La Turquie s’est faite l’alliée tacite des djihadistes en empêchant les Kurdes de s'y réfugier, d’une part pour y mettre leurs familles à l’abri et ensuite pour défendre leur territoire contre l’E.I. Des échauffourées ont opposé violemment les gendarmes turcs et les centaines de militants kurdes dans la ville de Suruç. En fait la Turquie a annoncé la couleur en soutenant les fous djihadistes contre les populations syriennes.
Ain al-Arab



La libération de 46 citoyens turcs retenus en otage par l’EI reste suspecte car elle accrédite le principe d’une entente avec les ravisseurs : «cette libération avait été obtenue par des négociations diplomatiques et politiques» prétendent les Turcs. Deux poids et deux mesures selon la nationalité des otages. En fait, dans sa rage contre Bachar Al-Assad, Erdogan est prêt à tout pour faire tomber le régime syrien, même s’il doit pour cela collaborer avec l’E.I. La Turquie a trop peur de l’émergence d’un Kurdistan autonome qui amputerait une partie de son territoire.
Libération des otages

Renouveau sunnite
Le président Erdogan  mise sur le renouveau sunnite dans sa conquête du monde musulman en s’appuyant sur les djihadistes qui lui déminent le terrain. Il les considère comme les porte-drapeaux de la revanche sunnite contre les chiites. Mais le paradoxe veut que cette personnalité soit considérée comme alliée de l’Occident et la question se pose à présent de la légitimité de sa place au sein de l’Otan. Il laisse se développer une idéologie islamiste qui conduit à légitimer les actions les plus radicales par un endoctrinement des fidèles convaincus de recourir à la violence pour atteindre les objectifs politiques.
Mercenaires de l'EI

Des réfugiés irakiens assurent que de nombreux Turcs ont rejoint les rangs de l’E.I.  Le New York Times a même rapporté que le recrutement de centaines de Turcs se faisait ouvertement à Ankara et que parmi eux figuraient de hauts diplômés. Les zones rurales sont exploitées par les  recruteurs de l’E.I usant d’une dialectique qui fait croire aux candidats qu’ils pourront enfin avoir la vie idéale à laquelle ils ont toujours rêvé.
Soldats turcs à la frontière ville de Suruç

Ainsi, il ne fait plus aucun doute qu’Erdogan soutient l’État islamique. Le vice-président américain, Joe Biden, a d’ailleurs accusé les alliés de son pays, dont la Turquie, d'avoir financé et armé des organisations terroristes en Syrie. La complicité turque est par ailleurs évidente puisqu’à la suite des frappes aériennes américaines, les combattants de l’E.I ont trouvé refuge à la frontière avec la Turquie où les Américains ne peuvent agir sans porter atteinte à l’intégrité de leur allié turc. Les frappes se concentrent donc en majorité à la frontière irako-syrienne. Les responsables turcs, qui ne veulent pas s’aliéner l’E.I, se défendent en déclarant que l'espace aérien turc et la base aérienne américaine d'Incirlik n’ont pas été utilisés dans le cadre des frappes aériennes américaines dirigées contre les militants de l’État islamique.
Erdogan a enfin trouvé justificatif à sa non-participation à la coalition militaire en précisant qu’il ne se joindrait qu’à des forces qui n’auraient pour objectif que d’abattre le régime syrien. La Turquie file un mauvais coton djihadiste. Avec cette nouvelle alliance, Israël n’est pas prêt de renouer ses relations diplomatiques. 

Mise à jour du 2 octobre à 19h

Le Parlement turc a approuvé le 2 octobre à une très large majorité un projet de résolution du gouvernement autorisant l'armée à mener des opérations contre les djihadistes du groupe de l'E.I en Irak et en Syrie. Après l'avoir explicitement refusé, la Turquie a fait savoir qu'elle était prête à rejoindre la coalition militaire anti-EI formée par les Etats-Unis; mais les modalités restent à préciser.

1 commentaire:

Jean Smia a dit…

La géopolitique a horreur du vide: Si l'E.I. a pu naitre, c'est parce qu'il y avait un vide.
C'est encore le flou et l’absence de projet construit dans l'objectif de cette coalition qui causera bien des turpitudes. Car, remplacer un vide qui s'est mal rempli par un autre vide, ne pourra amener la paix.
Turcs, Iraniens, Irakiens et Syriens étaient complices et associés dans leur hostilité à la création d'un État Kurde. Aujourd'hui, de mieux en mieux armés, formés et aguerris, ces Kurdes sont les seuls soldats au sol.
Il est impossible, qu’après leur victoire sur l'E.I., ils ne revendiqueront pas leur État. Et bien peu pourront trouver des arguments à opposer à cette exigence, d'autant plus qu'ils disposeront de solides arguments militaires pour affirmer leurs prétentions.
Ce qui confirme que la Turquie est le seul État qui sortira perdant par la défaite de l'E.I.
Car les conséquences sont les suivantes :
affaiblissement du « camp » sunnite dont la Turquie brigue le leadership.
retour sur la scène politique de Bachar en tant qu'interlocuteur jusqu'à une transition de pouvoir en Syrie, à laquelle Bachar éxige d'avoir son mot à dire.
L’Égypte et l'Iran comme seuls interlocuteurs « crédibles et respectables » dans le monde arabe pour le teste du monde.
Donc, pour empêcher cela, la Turquie n'a d'autre option que de soutenir l'E.I. Et pouvoir ainsi se présenter aux nations comme le seul interlocuteur capable de « civiliser » ces gens.
Prendre en otage les bases de l'OTAN en Turquie n'est pas un embarras pour Erdogan : Bourguiba avait bien tenté de prendre en otage la base Française de Bizerte.
Il ne semble pas que des précautions soient prises dans cette éventualité.