LE
REGARD DE JACQUES BENILLOUCHE POUR TRIBUNEJUIVE.INFO
LE ROI ABDALLAH DE
JORDANIE RENONCE A SA NEUTRALITÉ
Le
petit royaume jordanien n’a jamais fait parler de lui et est toujours resté à
l’écart des conflits de la région parce qu’il n’oublie pas que sa population
est majoritairement d’origine palestinienne et qu’il lui est difficile de
prendre position sans créer une scission au sein de son peuple. Mais les
troubles en Syrie qui, selon les propres termes de Bachar Al-Assad, sont voués à s’étendre au-delà des frontières, ont
forcé la Jordanie à sortir de sa réserve.
Des réfugiés par milliers
Plusieurs
milliers de réfugiés syriens campent à
ses frontières. Par ailleurs des
palestiniens, intégrés depuis de longues années en Syrie, ne se sentent plus en
sécurité dans les camps syriens et souhaitent se réfugier en Jordanie pour
rejoindre une partie de leur famille. Or ces mouvements de populations
pourraient déstabiliser l’équilibre précaire en Jordanie et permettre à des
éléments perturbateurs, missionnés par des intérêts étrangers, de s’infiltrer
parmi les réfugiés avec l’intention affirmée de renverser le royaume.
Mais
le roi Abdallah II a non seulement pris position dans la révolution syrienne
mais il s’est aussi impliqué dans le conflit israélo-palestinien. Mahmoud Abbas
vient de se rendre secrètement par avion en Jordanie pour signer un accord avec
le roi. Il est vrai que la validité de cet accord reste sujette à caution car,
juridiquement, le président de l’Autorité n’a pas été officiellement reconduit
dans ses fonctions. Il assure seulement la gestion des affaires courantes
depuis trois ans et les grandes décisions engageant l’avenir des palestiniens
lui sont en principe interdites.
L’accord
signé dans le secret des cabinets reconnait au roi de Jordanie la
responsabilité de la garde des Lieux Saints, en particulier la mosquée
d’Al-Aqsa, avec le droit de les protéger par tous les moyens qu’il jugera
utiles. La séance des signatures s’est effectuée sans tapage ni publicité, en
présence de quelques collaborateurs des deux dirigeants et sans consultation
des deux parlements.
Accord secret
Benjamin
Netanyahou s’était rendu lui-aussi secrètement, en décembre 2012, à Amman pour
officiellement discuter des derniers développements en Syrie. Mais en fait il aurait abordé avec Abdallah II
les termes de l’accord qu’il devait signer avec Mahmoud Abbas en autorisant que
des commissions politiques et juridiques travaillent dans le plus grand secret.
Les opposants au chef de l’Autorité palestinienne ne contestent pas le choix du
gardien des Lieux Saints mais ils craignent que la signature de cet accord,
sans consultation du parlement palestinien, crée un précédent. Ils redoutent
que Mahmoud Abbas ne soit entrainé dans la signature d’autres protocoles avec
Israël mettant en jeu cette fois des concessions palestiniennes.
Il
ne fait aucun doute que Mahmoud Abbas a pris acte de la faiblesse de sa
position et de la perte de sa crédibilité, à la fois auprès des palestiniens
mais aussi auprès des occidentaux. En signant cet accord avec le roi, il a
voulu partager avec lui les décisions cruciales concernant l’avenir de la
Palestine et lui faire endosser une partie de cette responsabilité. Mais cet
accord sous-entend la résolution du problème palestinien à travers la création
d’une confédération entre la Jordanie et une entité évaluée à maximum 50% de la
Cisjordanie. Cela règlerait ainsi la création d’un État croupion qui n’aurait
de viabilité qu’adossé au royaume de Jordanie.
Par
ailleurs, en attribuant la garde des Lieux Saints musulmans au roi de Jordanie,
le problème de Jérusalem, pierre d’achoppement de toute négociation, est en
partie résolu. La Jordanie entérine ainsi la souveraineté d’Israël sur toute sa
capitale, exceptés les Lieux Saints musulmans et peut-être quelques quartiers
totalement arabes qui seraient cédés aux palestiniens via la Jordanie.
Fin de neutralité
Le
roi Abdallah, qui avait gardé sa neutralité à l’égard de la révolution
syrienne, semble avoir à présent pour objectif de se débarrasser de Bassar
Al-Assad dont il craint les capacités de nuisance sur son royaume. Le chaos
syrien est en passe de se propager tout autour de la région tandis que la
pression des monarchies arabes se fait de moins en moins discrète. Le roi a
même accepté, sur les conseils de Barack Obama en visite chez lui, d’étendre sa
coopération avec l’armée israélienne. Ainsi Amman a accepté d'ouvrir son espace
aérien aux avions et aux drones israéliens pour surveiller la situation en
Syrie, et éventuellement pour effectuer des frappes militaires.
Le
royaume hachémite a été à l’abri des révolutions arabes mais il n’est pas
certain qu’il puisse rester à l’écart des problèmes sécuritaires et économiques
de son voisin. L’ancien premier ministre jordanien, Abdallah Al-Nusour, a d’ailleurs exposé les implications de la crise
syrienne sur la Jordanie en estimant qu’elle avait atteint des «niveaux
dangereux, représentant une menace pour la sécurité nationale
jordanienne».
Le
roi s’était toujours opposé aux pressions des occidentaux et des États du Golfe
pour s’ingérer dans les affaires syriennes et favoriser la chute du régime
syrien. Mais à présent c’est chose faite puisque la Jordanie a rejoint
l’opposition au dictateur syrien. Le quotidien syrien Al-Watan a d’ailleurs critiqué
ce choix le 16 avril : «le rôle de la Jordanie en Syrie devenu clair et
sans vergogne.»
Chuck Hagel |
La
neutralité de la Jordanie a été brisée par l’arrivée de 200 soldats américains
sur le sol jordanien, officiellement dans le cadre d'un cadre d’une coopération
bilatérale pour faire face aux défis sécuritaires.
Le Secrétaire américain à la Défense, Chuck Hagel, a révélé devant le Congrès que le Pentagone «enverrait
200 soldats pour aider l'armée jordanienne à faire face aux réfugiés syriens, à
se préparer à l'utilisation possible de gaz toxiques, et à assurer le
commandement et le contrôle des opérations pour préparer l’après-Assad».
Ces
troupes spécialisées, dans le renseignement et les communications, auront pour
rôle de suivre de près la situation et les développements en Syrie.
Infiltrations de salafistes
L’État-major
militaire jordanien a tenu à relativiser l'arrivée des troupes américaines qui
n’avait «rien à voir avec la situation en Syrie, mais qui entre dans le
cadre des exercices militaires effectués en présence des médias avec la
participation de 19 pays».
Le
revirement du roi est lié aux informations sécuritaires fournies par les
occidentaux et par le Mossad israélien. Elles font état d’infiltrations en
Jordanie, en décembre 2012, d’un nombre croissant de salafistes djihadistes,
évalué alors à 500 combattants, qui n’ont pas hésité pas à affronter la police
jordanienne. Mais la situation a évolué en mars 2013 avec l’arrivée massive de
plus de 5.000 combattants syriens lourdement armés, installés dans des camps
jordaniens.
Mais
certains observateurs veulent voir dans ce revirement des motivations de pure politique
intérieure jordanienne. Deux clans s’affrontent en effet ; d’une part les
tribus, les gauchistes et les nationalistes arabes qui appuient Bassar
Al-Assad ; d’autre part les Frères musulmans et les jordaniens d’origine
palestinienne, soutenus par les États-Unis, le Qatar et l’Arabie saoudite, qui
ont obtenu des gains électoraux aux dernières élections faisant d’eux une
puissance incontournable. Abdallah II doit
tenir compte de cette force pour la survie de son royaume.
Camp de réfugiés de Zaatari en Jordanie |
Le
roi de Jordanie ne peut plus faire face à un afflux de réfugiés atteignant près
d’un demi-million de personnes sur une population de 6 millions. Il craint à la
fois pour la situation économique du pays mais aussi pour la sécurité de son
royaume. Il ne peut plus contrôler cette arrivée massive de combattants
djihadistes qui mettent en danger l’équilibre, non seulement en Jordanie, mais
aussi au Liban, en Irak et même en Turquie. C’est pourquoi la Jordanie est
passée du stade de la neutralité au stade opérationnel. Ce choix lui a été
imposé malgré elle.
http://www.tribunejuive.info/politique/le-roi-abdallah-de-jordanie-renonce-a-sa-neutralite
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