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dimanche 28 avril 2013

PÈLERINAGE À LA GHRIBA DE DJERBA SOUS BONNE GARDE



PÈLERINAGE À LA GHRIBA DE DJERBA SOUS BONNE GARDE

Par Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps




Le pèlerinage annuel à la synagogue de la Ghriba à Djerba, la plus ancienne de l’histoire juive, est le thermomètre de la saison touristique en Tunisie. Il marque le début des vacances et des migrations des touristes vers la Tunisie. L’ile de Djerba, qui compte encore près de 1.200 juifs, reste la destination préférée des européens de toutes nationalités qui recherchent l’exotisme. 
À la suite de la révolution, la fête avait été annulée en 2011 pour des raisons de sécurité car l’avènement d’un régime islamique avait inquiété les juifs. Cette année-là fut désastreuse pour l’ile qui n’a accueilli que la moitié des touristes sur le 1,2 million habituel.

Voir la vidéo tournée à la Ghriba


 Mise en garde israéliennes
Femme juive de djerba en tenue traditionnelle



L’année 2012 n’a pas été meilleure. Israël avait certes mis en garde ses ressortissants et les juifs en général sur les dangers qu’ils couraient à se rendre dans l’île. Le 3 mai 2012, le CNS (Conseil israélien de sécurité nationale)  avait «déconseillé fortement» aux israéliens de voyager en Tunisie car il estimait que certains attentats étaient planifiés dans l’île. Ils n’ont donc été que 300 français et italiens à faire le pèlerinage. Les juifs djerbiens avaient constaté alors que le dispositif de sécurité autour de la synagogue avait été allégé et que les mesures sécuritaires n’étaient pas à la hauteur de celles imposées par le régime précédent de Ben Ali. 
Des suppliques sur des oeufs

La vidéo qui montrait un militant en plein centre de Tunis, l’avenue Habib Bourguiba, appelant au meurtre des juifs avaient alors découragé ceux qui comptaient participer aux festivités annuelles. Une trentaine de juifs avait fait le déplacement en 2012 alors que le pèlerinage attirait d’ordinaire 8.000 personnes dont plusieurs israéliens d’origine tunisienne, venus spécialement par charters. À l’image de Lourdes pour les chrétiens ou l’Arabie saoudite pour les musulmans, les femmes en majorité viennent brûler des cierges ou écrivent leurs vœux sur des œufs pour obtenir la clémence du Ciel ou pour favoriser une naissance là où la science n’avait pas réussi. 

Les retombées ont été catastrophiques pour le souk où les commerçants n’ont pas fait recette avec leurs épices orientales et leurs huiles essentielles pour le corps et le visage. Les gestionnaires de la synagogue s’étaient alors plaints de ne pouvoir couvrir les frais d’entretien du bâtiment. Les hôtels étaient pleins à moitié. Mais les édiles de la ville avaient marqué leur dépit en arguant que, de toute façon, le tourisme de masse avait tendance à défigurer l’île.


Pèlerinage sous haute sécurité


Le pèlerinage à la Ghriba a lieu cette année du 26 au 28 avril 2013, au 33ème jour du mois Omer. Les festivités commencent le 14 Iyar pour la commémoration de Rabbi Meïr Baal HaNess et continuent jusqu'au 18 Iyar, fête du Lag Ba'omer, jour du souvenir de Rabbi Shimon bar Yohaï. Le pèlerinage inclut une visite à la synagogue, l'aumône, des prières et la participation à l'un des deux cortèges qui ont lieu pendant les deux derniers jours du pèlerinage.

Pour l’année 2013, la sécurité a été renforcée par les autorités tunisiennes qui ont compris l’importance de ce symbole pour le tourisme tunisien. Malgré les mises en garde, les pèlerins sont arrivés vendredi 26 avril à la synagogue pour exprimer leur espoir d’un retour à la normale du rituel malgré une hausse des troubles islamistes. L’année a été effectivement dure pour les quelques irréductibles juifs vivants en Tunisie qui ont souffert d’attaques antisémites, de violences verbales et d’actes de profanation des cimetières. 

Le gouvernement a fait fort cette année contrairement aux années précédentes. Plus d’une douzaine de camions militaires ont été placés autour de la Ghriba pour éviter une attaque similaire à celle d’Al-Qaeda qui avait tué 21 personnes en 2002. La police a installé des barrages sur la route menant à l’aéroport. Mais les djerbiens n’ont pas mis la barre trop haute puisqu’ils souhaitent accueillir au moins un millier de pèlerins juifs et quelques dizaines d’israéliens. Ceux qui étaient déjà arrivés se sont installés dans un coin de la synagogue pour la lecture de la Torah tandis que les femmes vêtues de blanc s’étaient agenouillées, après avoir placé des œufs avec une inscription d’une supplique pour pallier leur fertilité.


Un gouvernement à l’écoute

Kamel Essid


Le gouvernement islamique n’a pas boudé les festivités comme les années précédentes. Kamel Essid, conseiller au ministère des Affaires religieuses, a déclaré qu'il était venu «pour montrer à nos frères juifs que nous respectons toutes les religions. Il était du devoir du gouvernement de n'épargner aucun effort pour assurer le succès de la collecte». Les responsables communautaires juifs veulent être toujours optimistes : «Il n’y aucun problème à Djerba où nous vivons en bonne entente avec les musulmans. D’ailleurs  au cours de ces deux dernières années, il y a eu des problèmes ailleurs mais pas à Djerba».  Certains chrétiens du voyage estimaient que Djerba était le symbole de l’entente intercommunautaire et le lieu où les hommes marquent leurs distances face au conflit politique, social et religieux qui frappe la Tunisie. D’autres s’étonnent cependant qu’on permette impunément à un imam, Ahmed Shili, d’appeler ouvertement dans un de ses sermons à un «génocide divin des juifs».
Procession à Djerba
 

Après la vente aux enchères d’ornements et d’objets de culte, à peine deux cents juifs ont participé à une procession aux environs de la synagogue, escortés par des dizaines de policiers, de militaires, et de membres des forces spéciales armées de fusils automatiques tandis que tout le quartier était bouclé. Les organisateurs attendent un sursaut des visiteurs pour dimanche 28 avril car leur nombre décidera ou non du succès de la reprise du pèlerinage. Mais les participants regrettent l’ancien esprit bon-enfant qui régnait alors, avant que les groupuscules extrémistes n’orchestrent des troubles. Des festivités sous haute sécurité dans une sorte de blockhaus à ciel découvert suscitent des appréhensions, preuves que le risque demeure.  

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