LA FEMME EST L’AVENIR DE LA TUNISIE
Par Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps
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Dans un article du 23 janvier 2011, une prophétie avait été publiée sur Slate que « la
femme est l’avenir de la Tunisie ». Bourguiba avait fait le pari de la
libération de la femme pour moderniser la société tunisienne mais l’héritage
était aujourd’hui menacé. Les informations, qui nous parvenaient en occident sur
la mainmise islamiste en Tunisie, faisaient craindre le pire car la femme
tunisienne perdait son statut de rempart contre l’islamisme.
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Femmes précurseurs
Elles avaient obtenu du président Bourguiba la
modernisation de l’État tunisien aussitôt après son arrivée au pouvoir. Il
avait ainsi promulgué le code du statut personnel (CSP) le 13 août 1956, quelques
mois après l’indépendance du pays, proclamée le 20 mars. Le Combattant Suprême s’était
appuyé sur l'émancipation féminine pour revitaliser toute la société tunisienne.
Sa démarche fut unique dans le monde arabe, frileux quand il s’agit de
s’attaquer aux dogmes de la religion.
Il avait imposé ainsi sa propre révolution grâce à une
réforme audacieuse qu’aucun autre dirigeant musulman n’aurait osé mettre en
œuvre. La nouvelle loi entra en vigueur dès le 1er janvier 1957 dans le cadre
d’un vaste programme de modernisation de la société : l'interdiction du port du
voile dans les écoles, la reconnaissance du droit de vote aux femmes, le
démantèlement de l'université de la Zitouna, citadelle du conservatisme, la
dispense de jeûne durant le mois de ramadan, la mise en place du planning
familial, le droit à l'avortement libre et la gratuité de la pilule,
l’interdiction de la polygamie et de la répudiation et enfin, l’obligation
d’obtenir le divorce devant le tribunal.
Les
femmes, accusées de singer les occidentales, n’ont pas hésité à porter des jeans, des mini-jupes et des tenues
affriolantes. Le pouvoir avait investi dans les universités et elles
choisirent, en masse, le chemin des études pour s’insérer dans tous les pans de
la société en occupant des postes économiques et politiques de haut niveau.
Devenues concurrentes des hommes, elles avaient fini par prouver qu’elles
étaient devenues leurs égales ; un véritable défi pour un pays musulman.
Recul avec la
révolution
L’arrivée des islamistes au pouvoir avait mis fin à cette
évolution des femmes mais elles n’avaient pas désarmé pour autant. Des femmes européennes,
deux françaises et une allemande, sont venues, le 29 mai 2013, au secours des
femmes tunisiennes. Trois militantes «Femen» ont exhibé leurs seins nus
dans une première action du mouvement dans le monde arabe. Elles réclamaient la
libération d'une militante tunisienne Amina Tyler, arrêtée le 19 mai à Kairouan,
et voulaient dénoncer la condition de la femme dans le pays. Elles ont été placées en état d'arrestation et
traduites en justice mais elles avaient suffisamment fait de bruit pour alerter
l’opinion internationale sur ce qui se passait en Tunisie.
Depuis la révolution, si vous attaquez une ambassade et que vous la saccagez,
vous pouvez vous en tirer avec deux mois de prison avec sursis. Si vous organisez une conférence de presse dans une mosquée et faites appel à
la haine et à la désobéissance des autorités, vous êtes relâché après trois
jours. Mais si vous montrez vos seins en public, vous risquez alors six mois de
prison. C’est toujours plus clément que si vous portez atteinte à l’Islam ou au
Prophète, car vous avez là sept ans de prison garantis !
Manifestation de femmes en Tunisie |
Les
femmes tunisiennes n’avaient pas accepté que le parti Ennahda au pouvoir envisage
de rabioter leurs droits acquis sous Bourguiba. À sa prise de pouvoir en 1987,
le président Zine El Abidine Ben Ali avait dû se prononcer sur ces droits :
il avait alors exclu un «retour en
arrière car il ne peut y avoir de développement si la moitié de la société, les
femmes, en sont exclues». Il avait d’ailleurs mis ses actes en conformité
avec ses paroles en associant sept femmes au gouvernement, en nommant une
présidente au sein de la Cour des Comptes et une femme gouverneur (préfet). Ainsi
Faïza Kéfi, qui avait occupé les fonctions d’Ambassadeur en France fut nommée,
en 2004, première présidente de la Cour des comptes tunisienne (CDC). En mai
2004, Salwa Mohsni Labiadh avait été nommée, pour la première fois de
l’histoire de la Tunisie, au poste de Gouverneur de la région de Zaghouan.
À l’assaut de la
société tunisienne
La Tunisie
avait volontairement axé son action pour promouvoir les droits de la femme et
de la jeune fille en appliquant une législation visant à renforcer le statut et
le rôle des femmes. Elles ont donc eu accès au monde des affaires d’une manière
organisée à compter des années 70. Elles ont profité pour cela des diverses
mesures d'incitation décidées par le pouvoir dans le cadre d’une nouvelle ère,
celle de la femme responsable, dirigeante et chef d'entreprise. Ainsi, le nombre
total des femmes chefs d'entreprise en Tunisie est estimé à 18 000 et
elles sont présentes dans les secteurs de l'artisanat (11 %), des services (41 %), de
l'industrie (25 %) et du commerce (22 %).
Les femmes
se sont aussi retrouvées à la tête de banques. Golssom Jaziri ancienne
directeur général du transfert et du commerce extérieur à la BCT, avait pris la
direction générale de la banque tuniso-libyenne. Par ailleurs, Hela Cheikhrouhou se verra nommée
au poste de directrice du nouveau département, Energie, Environnement et
Changements climatiques au sein de la Banque Africaine de Développement (BAD).
Les femmes
n’ont pas négligé la politique puisqu’elles occupent 27% des postes de décision
dans les cabinets ministériels, 21,6% des conseils municipaux et 20% du corps
diplomatique. Enfin le Parlement tunisien comptait 59 femmes soit 27,5% ce qui
le classe 36ème sur 138 pays dans le monde. Au Sénat, on trouve 19%
de femmes.
Elles
représentent 33% dans la magistrature, 31% au barreau, 40% dans l’enseignement
universitaire et 34% dans les médias. D’autre part les étudiantes, avec une
majorité de 55%, ont supplanté les étudiants dans les établissements d’enseignement
supérieur.
Les femmes tunisiennes
en politique
Que ce
soit au moment du combat pour l’indépendance ou dans la lutte récente contre le
clan Ben Ali, les femmes tunisiennes n’ont pas hésité à monter au créneau politique,
au premier rang des manifestants, à l’instar de Maya Jribi, secrétaire générale
du Parti démocrate progressiste et féministe convaincue.
La révolution du jasmin a porté au pouvoir toute une
génération d’opposants qui, durant les heures noires du régime de Ben Ali, n’avaient
jamais pensé s’unir et qui à présent risquent de se déchirer pour les lambeaux
du pouvoir. Les islamistes, qui ont été en retrait durant la révolution, ont cueilli
le pouvoir comme un fruit mûr tombé de l’arbre afin d’imposer leurs lois
anachroniques. Devant l’opposition des femmes, ils ont dû renoncer
momentanément à appliquer la charia dans le pays.
Salafistes tunisiens |
Contrairement
aux palestiniennes, les tunisiennes sont considérées comme un rempart contre
les courants extrémistes et fanatiques et les mouvements anachroniques. Elles
sont les seules capables de s’opposer aux islamistes car elles ont payé
chèrement leur liberté et elles considèrent toute atteinte à leurs droits de
femme comme un casus belli. Elles refusent l’obscurantisme de ceux qui voudraient
les cantonner à l’écart de la vie politique. Elles tiennent l’avenir de la
Tunisie entre leurs mains et si certains hommes, dans leur lâcheté habituelle,
se satisfont d’un nouveau pouvoir islamique qui grignote progressivement des
parcelles de liberté, alors, elles défendront bec et ongles les acquis
bourguibiens. Le salut de la Tunisie viendra uniquement d’elles et d’elles
seules car elles ne se résigneront pas à revenir un demi-siècle en arrière.
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