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mercredi 6 mars 2013

SYRIE : LA FIN PROGRAMMÉE DU PAYS




LE REGARD DE JACQUES BENILLOUCHE POUR TRIBUNE JUIVE

SYRIE : LA FIN PROGRAMMÉE DU PAYS

copyright © Temps et Contretemps


La Syrie est en cours de désintégration dans un Moyen-Orient en ébullition après avoir été créée de toutes pièces en royaume arabe en 1918 après la fin de l’occupation ottomane puis, en État indépendant en 1946. En effet, après l’accord Sykes-Picot, les français et les britanniques s’étaient répartis administrativement les territoires de l'Empire ottoman déchu, créant artificiellement des pays distincts. Cet accord avait mis fin à la Syrie historique, Bilad al-Cham, qui comprenait la Syrie actuelle, le Liban, la Jordanie et la Palestine. Après le départ des français et avec l’appui des britanniques, la Syrie a obtenu son indépendance alors que son existence semble remise en cause aujourd’hui.





Décomposition du pays




Mais aujourd’hui, dans l’indifférence totale du monde occidental, la Syrie se décompose avec le risque de disparaitre à court terme dans son statut actuel. À deux semaines du second anniversaire du début du conflit qui a fait, selon l’ONU, plus de 70.000 morts, le secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon a prévenu qu’une solution militaire conduirait à une «dissolution» du pays. Mais Bassar El-Assad s’accroche à son pouvoir, quitte à laisser se développer un chaos généralisé. 
Certains lui prêtent la décision ultime de regrouper ses dernières forces dans une enclave fortifiée de l'Etat des alaouites, entouré de sa garde militaire la plus fidèle aux ordres de sa proche famille. La guerre a fait le lit des islamistes. Le soulèvement pour la liberté s’est transformé en confrontations ethniques tandis que le conflit devient de plus en plus religieux. Il a attiré les djihadistes du monde entier, ravis de trouver un terrain propice pour propager leur islam radical, grâce à la militarisation du soulèvement. Dans l’ombre, les monarchies du Golfe, motivées par des impératifs religieux, financent l'aile islamiste d'une rébellion déjà marquée par l'influence des Frères musulmans.


Mais les islamistes prospèrent à mesure que la guerre civile s'enlise dans des combats sans fin. La Syrie est déjà éclatée en clans dirigés par des seigneurs de guerre qui s’approprient chacun une partie de la Syrie pour y faire régner leur ordre. À l’image de l’Afghanistan, ces milices nourrissent le djihad mondial et cherchent à pourrir les régimes arabes qui résistent encore. Une concurrence sanglante existe entre combattants. D'ailleurs deux palestiniens ont été pendus le 2 mars en Syrie par les rebelles qui les accusaient d'espionner au profit de l'armée d'Assad.


Dans l’Est syrien, des dirigeants de l’Armée syrienne libre (ASL) s’inquiètent de la montée en puissance des unités djihadistes. Un commandant de l’ASL déplore : «Ils reçoivent de l’argent de l’étranger et ont les meilleures armes pour lutter contre le régime. Ceci fait d’eux les meilleurs combattants. Les étrangers qui viennent rejoindre le Front al-Nosra sont des extrémistes qui interprètent l’islam de façon erronée». Ce groupe djihadiste, inconnu avant le début des violences en Syrie il y a près de deux ans, a connu une ascension fulgurante, s’imposant partout comme le fer de lance de la rébellion au détriment de l’ASL. 
Unité Hamza

Pour célébrer sa promotion de bataillon à brigade, l’unité islamiste Hamza ibn Abdel Mottalleb, qui opère indépendamment d’al-Nosra, a envoyé ses combattants défiler dans la rue. Selon un chef de bataillon de l’ASL : «leur unique objectif est la création d’un État islamique en Syrie. L’ASL veut en Syrie un islam modéré comme en Turquie, loin des extrémismes de l’Arabie saoudite, du Pakistan ou de l’Afghanistan. Nous commençons à avoir des soucis avec al-Nosra et avec les brigades islamiques car ils poursuivent des objectifs différents des nôtres ».
Un risque nouveau s’est inséré dans une situation inextricable. Pour l’instant circonscrit, le problème des armes chimiques pourrait changer la donne de la région. Selon les services de renseignements, elles sont toujours sous contrôle de l’armée d’Assad qui semble vouloir les garder comme armes de dissuasion, et les utiliser en dernière extrémité si sa situation personnelle était compromise.  
Armes chimiques
 

Pourtant Assad n’a jamais trompé l’occident sur ses intentions. Il a adopté dès le départ une stratégie de violence, pour prouver sa détermination à ne rien céder, à l’instar des Moubarak et Ben Ali d’hier. Il a utilisé les chars et les hélicoptères pour mater la rébellion, sans hésiter à détruire son peuple et les villes qui s’opposaient à lui. Mais la guerre de libération s’est transformée en guerre de religion, alaouites contre sunnites, poussant certains clans religieux à s’allier à lui de crainte de subir la vengeance terrible des armes. Le cercle infernal s’est déclenché : guerre de positions abandonnées puis reprises au prix de centaines de morts, bases militaires tombées aux mains des rebelles puis reconquises pour transformer le pays en gruyère où chaque clan rival s’approprie un bout d’espace syrien pour y imposer sa loi.



Stratégie de la terre brûlée


Manifestation d'alaouites pour Assad

Tant que les alaouites le soutiendront parce qu’ils craignent la vengeance terrible des autres sectes, alors le combat se poursuivra avec la même intensité. Ainsi, la troupe des 50.000 fidèles surarmés et aguerries permettront à Assad de résister plusieurs mois encore. Tant que la Russie, l’Iran et l’Irak lui apporteront un soutien politique, matériel et financier, Assad restera à la tête de son pays ou de ce qu’il en restera. Tant que le Hezbollah libanais, intéressé à occuper ses troupes inactives sur le pied de guerre, cherchera à en découdre avec l’occident à défaut de combattre Israël, alors Assad résistera à une guerre qu’il lui est difficile de gagner mais qu’il ne pourra pas perdre.

Le pays est dans la détresse avec 70.000 morts et de nombreux disparus. Les prisons sont pleines de résistants politiques. Les destructions ont mis plus de deux millions de syriens dans la rue, souvent sans nourriture tandis que les plus veinards ont trouvé refuge aux frontières turque et jordanienne.



Politique américaine d’abandon

    

  Les américains hésitent à intervenir bien qu’ils aient peur des islamistes qui ont pollué la rébellion et qui veulent faire basculer la Syrie vers un État islamique. Le président Obama s’inspire des leçons de l’Irak et de l’Afghanistan pour en déduire que l’action militaire ne peut être justifiée uniquement pour sauver des vies d’autant plus qu’il lui sera difficile d’imposer ensuite une paix quelconque. Il a par ailleurs d’autres chats à fouetter à l’intérieur de ses frontières avec la guerre économique qui ronge la stabilité de la première nation du monde.

Mais de nombreux stratèges américains estiment que cette stratégie de l’autruche ne sera pas payante à moyen terme car les États-Unis finiront par être aspirés, malgré eux, dans la spirale des conséquences du conflit syrien étendu à toute la région. En laissant la Syrie se décomposer en fiefs de guerre, chacun défendant ses propres intérêts sans stratégie nationale, les américains pourraient avoir du mal à assurer l’approvisionnement en ressources pétrolières et à s’opposer à la prolifération des armes chimiques.

Ces stratèges se justifient en expliquant que 20% des rebelles sont des djihadistes bien armés et bien organisés, capables de prendre le dessus sur les opposants sunnites modérés et de transformer le pays en une nouvelle base du terrorisme international. Pour favoriser une déflagration régionale, ces islamistes provoqueront certainement Israël qui sera amené à riposter en entrainant la levée habituelle de boucliers dans les pays arabes, avec le risque de déstabilisation qui en résulterait. Certains islamistes, attisés par des officiers iraniens en mission, ont déjà tenté de réveiller la frontière du Golan, pour l’instant sans succès. Il est à  craindre, par ailleurs, que le Hezbollah, bien implanté et bénéficiant de soutiens gouvernementaux, tente de déstabiliser le Liban quitte à susciter une nouvelle guerre civile pour en récolter les dividendes. L’Irak, avec ses immenses réserves de pétrole, s’impliquerait dans la mêlée tandis que l’Iran se sentirait libéré pour construire sa bombe nucléaire pendant que le chaos sévit en Syrie. Toute la région serait alors en feu.



Actions secrètes américaines



C’est pourquoi des responsables politiques pressent Barack Obama d’agir avant que la situation ne se dégrade davantage.  Ils préconisent que les américains maintiennent l’intégrité de la Syrie avant qu’elle ne se décompose plus encore, en optant à la fois pour une solution politique et militaire. 

Ils doivent d’abord convaincre l’entourage de Bassar Al-Assad qu’il a le choix entre une défaite ruineuse et l’abandon du soutien au dictateur en engageant des négociations avec les rebelles. Les américains pourraient alors imposer une zone d’exclusion aérienne pour maintenir au sol les avions de l’armée syrienne afin de favoriser le dialogue. Ils devront reconnaitre un gouvernement de transition excluant les djihadistes et armer certains groupes de rebelles. Cette solution ne garantit pas la réussite du processus mais elle aurait l’avantage d’établir des liens avec les rebelles non-djihadistes, dont les États-Unis auront besoin si Assad décidait de se maintenir malgré le chaos. Elle donnerait au moins l’impression au syriens modérés qu’ils ne sont pas complètement abandonnés.

Il semble que les États-Unis aient commencé à agir en sous-main. Des instructeurs américains entraînent des rebelles de l’Armée syrienne libre (ASL) passés en Jordanie. «Ils structurent, encadrent et donnent des conseils aux insurgés syriens depuis la fin de l’année dernière» selon une source française. Cette formation se déroule au «King Abdallah special operation training center» (Kasotec) situé au nord d’Amman. Des forces spéciales américaines, des forces spéciales britanniques et une poignée de français participent à cette instruction pour renforcer la capacité d’action des opposants à Bachar el-Assad. 
Forces Delta

Ces forces spéciales, aidées selon certaines sources fiables par des commandos israéliens parlant parfaitement l’arabe, organisent «des pénétrations en territoire syrien» pour surveiller les armes chimiques du régime car leur dissémination aux mains des djihadistes ou du Hezbollah libanais pro-iranien constitue un casus belli pour Israël. D’autres forces spéciales Delta sont déjà à pied d’œuvre à Harissa, au nord de Beyrouth, d’une part pour la formation des libanais mais surtout pour organiser la pénétration en territoire syrien. 
      John Kerry, le nouveau secrétaire d'État américain, a voulu officialiser ce soutien à la rébellion syrienne  en annonçant des aides non létales, armes conçues pour que la cible ne soit pas tuée ou blessée, à savoir gilets pare-balles, véhicules blindés et matériel anti-émeutes. Mais le ministre syrien des Affaires étrangères Walid al-Mouallem a condamné l’initiative américaine de fournir une aide non létale aux rebelles qui se battent pour renverser le président Bachar al-Assad, accusant Washington de deux poids deux mesures. Dans une conférence de presse à Téhéran avec Ali Akbar Salehi, ministre des Affaires étrangères de l'Iran, il a déclaré : «Je ne comprends pas comment les Etats-Unis peuvent apporter un soutien à des groupes qui tuent le peuple syrien. Assad est le président légal de la Syrie jusqu'aux prochaines élections»

            John Kerry a implicitement acté le désengagement des États-Unis de la Syrie tout en confirmant les missions des rebelles aidés et formés par les américains : contrôler l’arsenal chimique syrien, créer une structure pro-occidentale pour l’après-Assad, et empêcher les groupes d’Al-Qaeda de prendre le contrôle de la Syrie. Les américains sont à présent convaincus qu’ils ne pourront contenir les islamistes que dans le cadre d’un accord avec les russes pour définir les lignes d’un armistice. Ils se seraient même mis d’accord sur les types d'armes à fournir aux groupes rebelles. Le président français s’est rendu à Moscou pour apporter la caution de la France dans le cadre d'une solution négociée. 
         Le temps presse car toutes les parties agissant en Syrie semblent avoir programmé la mort délibérée du pays. Israël observe ce qui se passe à ses frontières mais agira en fonction de l'intérêt de sa sécurité. L'absence de gouvernement n'entame en rien sa détermination.

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