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vendredi 15 mars 2013

LES DÉCONVENUES DES ISLAMISTES AU POUVOIR



LE REGARD DE JACQUES BENILLOUCHE POUR TRIBUNEJUIVE.INFO

LES DÉCONVENUES DES ISLAMISTES AU POUVOIR

Par Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps
                 
Manifestations de Port-Saïd
             Il ne s’agit pas de crier victoire trop tôt mais il semble bien que les islamistes subissent un coup d’arrêt psychologique après une expansion croissante qui les a vus déferler à travers presque tous les pays du Moyen-Orient et de l’Afrique. Sans pour autant être décisive et durable, cette tendance s’affirme clairement, qu’ils soient au pouvoir ou dans une opposition armée, en Égypte, en Tunisie, en Syrie, à Gaza ou au Mali. 
          Il y a ceux qui ont été portés au sommet en proposant des montagnes de rêves et d’espoirs mais l’exercice du pouvoir leur a été souvent fatal. Il y a les autres, qui ont préféré les armes et la contrainte dans une opposition systématique aux régimes en place mais qui n’arrivent plus à convaincre. 





Échec en Égypte

Manifestant égyptien contre Frères musulmans


Les problèmes rencontrés dans la conduite des pays qu’ils régentent ont été à l’origine du reflux des islamistes, ce qui laisse à penser qu’il vaut mieux les laisser s’empêtrer dans les affaires d’un État plutôt que de les en empêcher. C’est le seul moyen pour qu’ils soient déconsidérés ou disqualifiés, loin des rêves censés améliorer le sort de populations en réelle détresse.     

Arrivés en trombe au pouvoir en Égypte, avec toutes les craintes et les fantasmes qui les accompagnaient, ils flirtent à présent avec l’échec jusqu’à envisager de perdre un pouvoir longtemps espéré, après des années d’oppression qu’ils ont vécues cachés en diffusant leur part de rêves. En Égypte, ils ont montré leur inefficacité au gouvernement après seulement huit mois de pouvoir qui leur ont attiré les mécontentements de toutes les franges de la population. 
Manifestants contre Morsi

    Dans le pays symbole du leadership arabe, la déception est grande, entrainant beaucoup de réserves, partout dans le monde, là où les islamistes développaient leurs réseaux. Les pays qui ont échappé à la révolution arabe redressent à présent la tête sans craindre les foudres des fous de Dieu qui tentaient d’imposer leur loi quelques semaines auparavant. Ainsi, sans crainte de représailles et peu inquiets d’une éventuelle montée de l’islamisme, les Émirats arabes unis n’ont pas hésité à passer en jugement 94  Frères musulmans accusés de complot contre l’État.



Échec en Tunisie


Il y a quelque temps encore, on pensait que leur montée était inexorable et que rien ne pouvait les arrêter car  la mouvance islamique avait le vent en poupe. Puis la pratique du pouvoir a mis en évidence leurs lacunes et leur incompétence à passer du rêve à la réalité. En Tunisie, le parti islamiste Ennahda, à l’idéologie proche des Frères musulmans, a vécu 18 mois de crise pour, au bout, être contraint de renoncer à certaines parties de son programme et à certains ministères régaliens. Le parti n’était pas prêt pour le pouvoir qu’on lui avait offert et aucune autre organisation politique n’avait de structure établie. La révolution est arrivée trop vite, sans même qu’elle ait été préparée dans les esprits. Ennahda a été contraint au pragmatisme en faisant appel à des laïcs et à des personnalités indépendantes pour constituer un gouvernement. Les islamistes n’ont pas réussi à imposer leurs vues au reste de la classe politique même s’ils avaient gagné les élections de 2011.

Des analystes jugent qu'Ennahda a commis l'erreur de croire qu'il pouvait imposer ses positions au reste de la classe politique et à la société civile, avec comme argument principal celui de sa «légitimité électorale» issue du scrutin de 2011. Mais les déconvenues l’ont poussé à plus de réalisme. Ennahda a ainsi renoncé à introduire la charia ou loi islamique  dans la constitution ; il a accepté de défendre l’égalité des sexes et de mettre en œuvre des décrets sur la liberté de la presse. L’erreur de ses dirigeants fut de croire qu’ils pouvaient gérer un pays en pleine mutation comme ils ont dirigé leur parti clandestin.

            Après des débats internes et des luttes intestines, l’Égypte et la Tunisie n’ont toujours pas de constitution, décalent leur calendrier électoral soumis aux aléas des évènements. D’ailleurs un tribunal égyptien vient d’imposer le report de l’élection générale prévue en avril. 
Banderole électorale en Egypte

       Ils gèrent une économie à la dérive et affichent un bilan catastrophique dans la conduite du pays. Les sondages démontrent que leur popularité est en baisse  et qu’ils ont perdu au moins 32% de leur électorat. Mais ils bénéficient du vide institué par les dictatures qu’ils ont remplacé alors qu’aucune autre force réaliste ne peut s’affirmer comme force d’alternance. Alors au lendemain des révolutions et après des élections organisées dans l’euphorie du changement, Ennahda en Tunisie, version plutôt libérale de la Confrérie et le parti Justice et Liberté plus proche de la vieille école en Égypte, font face à des déconvenues sévères.

En fait il s’avère à présent qu’ils n’ont pas été choisis par conviction idéologique mais parce qu’ils étaient les mieux organisés durant les années de clandestinité ou parce qu’ils étaient financés par des potentats arabes. C’est ainsi que les révolutions violentes de Syrie et de Libye n’ont pris une tournure islamique que grâce aux réseaux soutenus par les pays riches du Golfe qui avaient intérêt à s’infiltrer dans le vide laissé par la chute des dictatures. Quant aux Frères musulmans de Libye, ils ont fait pâle figure aux dernières élections. 



Déconvenues générales



Ces déconvenues ont donné des ailes à ceux qui ont échappé à la révolution et leur ont permis d’éviter le pire. Les islamistes ont entrainé une action positive auprès des potentats dont le conservatisme était légendaire. Ainsi le roi Mohammed VI du Maroc a devancé l’agitation en neutralisant ses islamistes du parti Justice et développement en les intégrant au gouvernement et en les poussant à s’organiser de manière démocratique. La révolution n’a pas eu prise dans ce pays. 
  Quant au roi Abdallah de Jordanie, il n’a rien fait par opportunisme politique pour empêcher les islamistes de dominer son parlement, car c’était pour lui un bon moyen de les phagocyter. Il savait qu’ils formaient le groupe le mieux organisé du pays et que le meilleur moyen de les contrer était de les impliquer dans les affaires pour les rendre plus pragmatiques. De ce point de vue d’ailleurs, la chaine qatarie Al Jazzera, qui avait axé ses programmes sur la diffusion de la cause islamiste et qui avait encouragé les soulèvements, a dû elle-aussi modérer ses effusions devant l’échec patent d’un islamisme qui n’avait plus la côte auprès des populations.



Gestion pragmatique



La gestion des affaires publiques a rendu certains islamistes plus pragmatiques à l’image des turcs et plus fréquentables aux yeux des occidentaux car, devant les difficultés, ils sont devenus plus cohérents et plus disciplinés. Ils voulaient s’afficher en modèles à distinguer des islamistes sanguinaires d’Al-Qaeda, des djihadistes, des salafistes qui polluent la rébellion syrienne, des révolutionnaires tunisiens, des militants du Hezbollah libanais ou enfin des partisans irakiens du chiite Moqtada Al-Sadr. Les adeptes des Frères semblent avoir temporairement rangé dans leurs armoires à souvenirs les appels à l’établissement de la charia dans les pays qu’ils gouvernent, et  les appels à la destruction d’Israël.

Ils ont d’ailleurs influencé le comportement des groupes qu’ils parrainent. Cela est flagrant à Gaza où le Hamas, branche palestinienne des Frères musulmans, suit les traces de sa maison mère égyptienne et n’est plus dans le même état d’esprit de l’année 2006 lorsqu’il a remporté la victoire aux élections. Nous sommes loin des franchises des Frères musulmans qui s'étaient développées dans les années 1990 en Jordanie, au Koweït, en Irak, en Algérie et au Bahreïn qui étaient à la pointe du combat terroriste. Ils donnent l’impression de ne plus vouloir s’engager dans des guerres civiles sanglantes sans pour autant se priver de guerres intestines. Ainsi en 2011, les conservateurs égyptiens avaient éliminé les éléments les plus modernes de la direction des Frères tandis que les conflits internes en Tunisie ont affaibli Ennahda surtout après l’assassinat du leader de gauche Chokri Belaïd.
En souvenir de Chokri Belaïd

La défaite militaire de certains clans islamistes a servi de repoussoir. Les factions rebelles djihadistes en Syrie, mieux armés et plus motivés que les autres rebelles, dominent  l'opposition au détriment des islamistes traditionnels. L’aile politique des Frères musulmans, s’est trouvé contrainte d’accepter un rôle secondaire. La défaite, temporaire pour l’instant, des islamistes au Mali a mis en évidence deux enseignements. D’une part, la force est le seul argument convaincant contre ces militants de la violence. Par ailleurs, s’ils se comportent en héros face à des populations désarmées et faibles, ils ne sont pas téméraires puisqu’ils ont fui le combat à l’arrivée des troupes françaises. Alors leur fuite a ouvert la voie à la conquête des bastions djihadistes au Mali qui se poursuivent avec succès, permettant une éradication des éléments perturbateurs dans des villes désarmées. 
Islamistes au Mali


 Symptômes toujours présents
 

Les éléments tangibles qui ont conduit aux révolutions restent toujours présents comme le symbole de l’échec des nouveaux tenants du régime. Le chômage s’est aggravé, les protestations souvent sanglantes se développent à travers chaque pays, l’autoritarisme des régimes n’a rien à envier aux dictatures qu’ils ont remplacées. Les Frères musulmans ont subi une déroute aux élections des syndicats d’étudiants égyptiens tandis qu’aux derniers sondages le Hamas requiert un taux d’approbation de 18% seulement après sa grande victoire en 2006. 
Manifestation en Tunisie contre le premier ministre

Plusieurs centaines de personnes ont encore manifesté à Tunis pour protester contre le pouvoir en place, dominé par les islamistes, lors d'un rassemblement prévu à l'origine pour défendre les droits des femmes. Les Frères étaient censés apporter la justice et la prospérité mais ils se voient contraints de brader leur idéologie en se tournant vers les pays occidentaux pour mendier une aide économique indispensable pour garantir le minimum vital à des populations dans le besoin.

Les islamistes au pouvoir ont raté leur marche vers le succès. Tout comme les régimes communistes d’hier, ils se désintégreront progressivement parce qu’ils ne savent pas mettre en oeuvre la part du rêve qu’ils ont promis à des populations qui avaient moins besoin de slogans que de pain. 




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