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vendredi 29 mars 2013

LA MANNE DU GAZ EN ISRAËL



LA MANNE DU GAZ EN ISRAËL

Par Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps




          Le 31 mars 2013, le gaz naturel commencera à couler depuis la plateforme Tamar, marquant une étape importante dans le secteur de l'énergie israélienne et pour l'économie dans son ensemble. Ce gaz est exclusivement destiné, dans un premier temps, à la consommation intérieure israélienne. À cette occasion nous publions à nouveau l'article sur les enjeux de ces gisements.
           


          En 2009 un gisement de 240 milliards de m3 de gaz a été découvert en pleine mer au large de Haïfa, à Tamar, soit le gisement le plus important découvert cette année-là. A lui seul, Tamar pourrait alimenter toutes les centrales israéliennes pendant plus de 20 ans. A la fin 2010, un champ gazier encore plus volumineux renfermant pour sa part 450 milliards de m3 baptisé Léviathan, monstre marin selon la Bible, a été mis à jour.





Doctrine économique



A eux seuls, ces puits pourraient satisfaire la demande des États-Unis en gaz pendant toute une année. Avec une population israélienne qui s'élève à huit millions, les profits potentiels de ces gisements sont énormes. Ces puits commenceront à produire dès l’année 2013. Les candidats aux élections ont éludé la question de l’usage qui sera fait par le pays de ces nouveaux revenus qui évolueront de manière exponentielle durant la mandature. Israël passera ainsi de la dépendance à la souveraineté énergétique avec le risque de frictions politiques si une doctrine n’est pas définie avec l’ensemble de la classe dirigeante. 

En effet, la majorité des pays détenant les hydrocarbures souffrent d’une malédiction de la richesse. Paradoxalement ceux qui n’en détiennent pas devraient remercier le Ciel parce que leur éloignement des sous-sols gorgés d’or noir a souvent favorisé la naissance d’un modèle de démocratie tendant à privilégier le développement social plutôt que les combats d’intérêts personnels. Ce fut d’ailleurs le cas d’Israël jusqu’à ces récentes découvertes. 
La manne des hydrocarbures fait évoluer les bénéficiaires de manière différente selon qu’il s’agisse de démocraties ancrées dans l’Histoire ou alors de pays nouveaux accédant à l’indépendance dans une instabilité liée à leur jeunesse politique. Israël devra choisir l’option qui lui paraitra la plus adaptée à son histoire en s’inspirant des deux exemples les plus significatifs.



Deux exemples opposés
Usine de liquéfaction du gaz en Norvège




Dans les années 1960, la Norvège et le Nigeria sont entrés simultanément dans le monde des détenteurs de pétrole et pourtant leurs évolutions ont été totalement contrastées. La Norvège est devenu le deuxième exportateur mondial de gaz et le sixième exportateur de pétrole, et ce secteur représente un tiers des recettes de l’Etat. L’européen, qui disposait d’un gouvernement fort et centralisé, eut ainsi l’occasion de distribuer cette manne au profit de sa population grâce à des mesures sociales bénéfiques ayant contribué à consolider la démocratie. Cette nouvelle source de revenus s’est répartie de manière équilibrée avec l’opposition afin de rendre la compétition plus ouverte et plus juste. Alors que le pétrole représentait 25% du P.I.B, le gouvernement n’abusa jamais de cette rente à des fins personnelles ou sectorielles et il l’utilisa en concertation avec l’opposition qui prit part à toutes les décisions économiques fondamentales.
Président du Nigeria : Goodluck Jonathan

       En revanche la situation fut différente pour le Nigeria, probablement parce que les structures étatiques étaient faibles. Le gouvernement modifia la constitution pour s’octroyer plus de pouvoirs, créa des lois pour s’approprier les richesses pétrolifères, et utilisa les ressources des hydrocarbures pour les distribuer, à sa discrétion, en oubliant au passage l’opposition et les gouvernements provinciaux. Au lieu de privilégier la démocratie, les gouvernants nigérians développèrent à bon escient des mécanismes antidémocratiques qui ne purent qu’attiser les rivalités ethniques, religieuses et régionales. 
          A mesure que le pouvoir faisait main basse sur les revenus pétroliers, l’opposition devenait radicale et la spirale infernale ne trouva que la répression pour seule issue. Cette déstabilisation politique ne se calma qu’en 2003 mais plusieurs années ont été gâchées et des centaines de  morts ont payé de leur vie la volonté de faire changer la donne.  Cette malédiction de la profusion des ressources naturelles a touché même les régimes que l’on croyait stables et démocratiques à l’exemple du Venezuela. 
Construction gazoduc

Israël songe déjà à construire un gazoduc à destination de l’Europe via la Grèce pour exporter son gaz. Selon un  haut fonctionnaire du ministère des Infrastructures. «Nos allons assurer nos besoins énergétiques et être ainsi auto-suffisants pour la première fois de notre histoire. Israël disposera en outre d'importants surplus. Le gaz pourrait dans ces conditions devenir un outil économique et diplomatique pour établir de nouveaux partenariats, dans notre région, mais aussi avec de nouvelles puissances telles que l'Inde et la Chine».





Puissance financière




La puissance financière issue du pétrole, doublée d’une puissance démographique, aurait pu concrétiser des projets ambitieux dans la technologie, dans le développement social, dans le bien-être général, dans l’acquisition de monopoles européens et dans la mainmise sur les potentats occidentaux. L’inverse a été atteint. Les revenus du Nigeria ont été reversés à une minorité qui les a accaparés et qui les a stockés dans les coffres des banques occidentales à des fins purement personnelles, sinon crapuleuses. Par ailleurs, pour faire bonne mesure et pour asseoir leur pouvoir non partageable, les despotes ont dilapidé les revenus des hydrocarbures dans l’achat d’armes aux fins de protéger leurs privilèges par la force.

Le démarrage de l’extraction du gaz offshore pourrait constituer une bouée de sauvetage pour l’économie israélienne. La banque centrale estime que les ressources procurées par le gaz augmenteront le PIB israélien d’un point supplémentaire, ce qui permettra une prévision de croissance de 3,8% pour 2013 avec une retombée positive sur la balance commerciale israélienne. La production de gaz réduira les importations de pétrole avec, à la clef, une économie de sorties de devises. Les prévisions évaluent à 2 milliards d’euros par an les nouvelles entrées financières pour Israël pour un budget annuel de 70 milliards d’euros. 
Les artisans de l'économie israélienne : Stanley Fischer directeur de la Banque d'Israël, Benjamin Netanyahou et Youval Steinitz ministre des finances

            Passée la période agitée des élections, le nouveau gouvernement qui sortira des urnes devra légiférer pour définir l’utilisation de la manne du gaz, en collaboration avec l’opposition, afin d’assurer une répartition équitable des milliards de dollars qui vont se déverser dans les caisses de l’État.  Ce sera surtout l’occasion de réduire la pauvreté qui gangrène certaines villes du sud du pays.



Lutte contre la pauvreté




Selon le dernier rapport 2012 de l’organisation humanitaire «Latet» qui vient en aide aux couches sociales défavorisées en Israël, l’année 2012 aura été mauvaise en termes de lutte contre la pauvreté. Les plus jeunes ont souffert dans les familles pauvres car un enfant sur deux a été obligé de travailler pour subvenir aux besoins de ses proches tandis que 20 % d’entre eux ont quitté définitivement l’école. Le rapport note que 27 % des enfants israéliens ont connu des jours sans nourriture.   
Les conclusions du rapport, sur la base de chiffres officiels, incriminent «les politiques néolibérales qui nuisent au fonctionnement des services publics et à la privation des droits économiques et sociaux des enfants»  et révèlent que près de 900.000 enfants vivent sous le seuil de pauvreté avec une forte malnutrition. Le directeur général de «Latet», Eran Weintraub, met en garde le gouvernement : «Si nous voulons survivre en tant que société dans les 60 prochaines années, nous ne devrions pas considérer la pauvreté comme un épiphénomène, mais comme la conséquence directe de politiques dangereuses, qui rapprochent Israël des pays du Tiers-Monde et l’éloignent d’autant du monde occidental.»
Sdf en Israël
 

Mais, à l’exemple de la Norvège, Israël envisage de créer un fonds souverain pour faire face aux «éléments imprévus». La moitié des milliards de dollars de revenus entrerait dans les caisses de l’État et le reste serait partagé entre les sociétés privées israéliennes et américaines qui vont exploiter ces richesses. Il ne semble pas dans les intentions du futur premier ministre Netanyahou de répartir en urgence ce pactole, ou du moins une partie, au profit d'une population qui avait manifesté en 2011 contre ses conditions économiques difficiles. Il compte investir cette manne à l’étranger pour  disposer d'un «filet de sécurité» pour faire face à des événements imprévus tels que guerres, désastres naturels ou crises financières. En fait, il préfère s’asseoir sur un tas d’or, pour faire profiter les prochaines générations, et laisser les classes défavorisées s’enfoncer encore plus dans la misère pour des questions de stratégie économique.
La queue des pauvres pour de la nourriture

Il justifie ces réserves à l'étranger en pointant du doigt le programme nucléaire iranien qui ouvre une période d’incertitude et la montée d’un islamisme radical qui déstabilise les pays arabes avec le risque d’une explosion économique mondiale.  Une petite exception cependant avec l’utilisation de 4% des revenus du gaz pour augmenter les crédits de l’Éducation et de la Défense étant bien entendu que le Trésor israélien pourra disposer d’une ligne de crédit bancaire auprès du fonds souverain en cas de «circonstances exceptionnelles». 
Un point positif cependant pour éviter toute dérive politique, la Banque d’Israël, fidèle à sa neutralité politique, sera chargée de gérer les revenus du gaz. Israël s’inspire ainsi de la Norvège qui n’a pas donné au ministère des Finances, dirigé par un représentant politique, la responsabilité du fonds souverain. Mais par ses choix, Benjamin Netanyahou prouve qu'il veut rester fidèle à sa politique ultra-libérale.

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