LA MANNE DU GAZ EN ISRAËL
Par
Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps
Le 31 mars 2013,
le gaz naturel commencera à couler depuis la plateforme Tamar, marquant une étape importante dans le secteur de l'énergie israélienne et pour l'économie dans son ensemble. Ce gaz est exclusivement destiné,
dans un premier temps, à la consommation intérieure israélienne. À cette
occasion nous publions à nouveau l'article sur les enjeux de ces gisements.
En 2009 un gisement de 240 milliards de m3 de gaz a été découvert en pleine mer au large de Haïfa, à Tamar, soit le gisement le plus important découvert cette année-là. A lui seul, Tamar pourrait alimenter toutes les centrales israéliennes pendant plus de 20 ans. A la fin 2010, un champ gazier encore plus volumineux renfermant pour sa part 450 milliards de m3 baptisé Léviathan, monstre marin selon la Bible, a été mis à jour.
Doctrine économique
A eux seuls,
ces puits pourraient satisfaire la demande des États-Unis en gaz pendant toute
une année. Avec une population israélienne qui s'élève à huit millions, les
profits potentiels de ces gisements sont énormes. Ces puits commenceront à produire dès l’année
2013. Les candidats aux élections ont éludé la question de l’usage qui sera
fait par le pays de ces nouveaux revenus qui évolueront de manière
exponentielle durant la mandature. Israël passera ainsi de la dépendance à la
souveraineté énergétique avec le risque de frictions politiques si une doctrine
n’est pas définie avec l’ensemble de la classe dirigeante.
En effet, la
majorité des pays détenant les hydrocarbures souffrent d’une malédiction de la
richesse. Paradoxalement ceux qui n’en détiennent pas devraient remercier le
Ciel parce que leur éloignement des sous-sols gorgés d’or noir a souvent
favorisé la naissance d’un modèle de démocratie tendant à privilégier le
développement social plutôt que les combats d’intérêts personnels. Ce fut
d’ailleurs le cas d’Israël jusqu’à ces récentes découvertes.
La manne des hydrocarbures fait évoluer les bénéficiaires de manière différente selon qu’il s’agisse de démocraties ancrées dans l’Histoire ou alors de pays nouveaux accédant à l’indépendance dans une instabilité liée à leur jeunesse politique. Israël devra choisir l’option qui lui paraitra la plus adaptée à son histoire en s’inspirant des deux exemples les plus significatifs.
La manne des hydrocarbures fait évoluer les bénéficiaires de manière différente selon qu’il s’agisse de démocraties ancrées dans l’Histoire ou alors de pays nouveaux accédant à l’indépendance dans une instabilité liée à leur jeunesse politique. Israël devra choisir l’option qui lui paraitra la plus adaptée à son histoire en s’inspirant des deux exemples les plus significatifs.
Dans les
années 1960, la Norvège et le Nigeria sont entrés simultanément dans le monde
des détenteurs de pétrole et pourtant leurs évolutions ont été totalement
contrastées. La Norvège est devenu le deuxième exportateur mondial de gaz et le sixième exportateur de pétrole, et ce secteur représente un tiers des recettes de l’Etat. L’européen, qui disposait d’un gouvernement fort et centralisé,
eut ainsi l’occasion de distribuer cette manne au profit de sa population grâce
à des mesures sociales bénéfiques ayant contribué à consolider la démocratie.
Cette nouvelle source de revenus s’est répartie de manière équilibrée avec
l’opposition afin de rendre la compétition plus ouverte et plus juste. Alors
que le pétrole représentait 25% du P.I.B, le gouvernement n’abusa jamais de
cette rente à des fins personnelles ou sectorielles et il l’utilisa en
concertation avec l’opposition qui prit part à toutes les décisions économiques
fondamentales.
Président du Nigeria : Goodluck Jonathan |
En revanche la situation fut
différente pour le Nigeria, probablement parce que les structures étatiques
étaient faibles. Le gouvernement modifia la constitution pour s’octroyer plus
de pouvoirs, créa des lois pour s’approprier les richesses pétrolifères, et
utilisa les ressources des hydrocarbures pour les distribuer, à sa discrétion,
en oubliant au passage l’opposition et les gouvernements provinciaux. Au lieu
de privilégier la démocratie, les gouvernants nigérians développèrent à bon
escient des mécanismes antidémocratiques qui ne purent qu’attiser les rivalités
ethniques, religieuses et régionales.
A mesure que le pouvoir faisait main basse sur les revenus pétroliers, l’opposition devenait radicale et la spirale infernale ne trouva que la répression pour seule issue. Cette déstabilisation politique ne se calma qu’en 2003 mais plusieurs années ont été gâchées et des centaines de morts ont payé de leur vie la volonté de faire changer la donne. Cette malédiction de la profusion des ressources naturelles a touché même les régimes que l’on croyait stables et démocratiques à l’exemple du Venezuela.
A mesure que le pouvoir faisait main basse sur les revenus pétroliers, l’opposition devenait radicale et la spirale infernale ne trouva que la répression pour seule issue. Cette déstabilisation politique ne se calma qu’en 2003 mais plusieurs années ont été gâchées et des centaines de morts ont payé de leur vie la volonté de faire changer la donne. Cette malédiction de la profusion des ressources naturelles a touché même les régimes que l’on croyait stables et démocratiques à l’exemple du Venezuela.
Construction gazoduc |
Israël songe
déjà à construire un gazoduc à destination de l’Europe via la Grèce pour
exporter son gaz. Selon un haut
fonctionnaire du ministère des Infrastructures. «Nos allons assurer nos
besoins énergétiques et être ainsi auto-suffisants pour la première fois de
notre histoire. Israël disposera en outre d'importants surplus. Le gaz pourrait
dans ces conditions devenir un outil économique et diplomatique pour établir de
nouveaux partenariats, dans notre région, mais aussi avec de nouvelles
puissances telles que l'Inde et la Chine».
Puissance financière
La puissance
financière issue du pétrole, doublée d’une puissance démographique, aurait pu
concrétiser des projets ambitieux dans la technologie, dans le développement
social, dans le bien-être général, dans l’acquisition de monopoles européens et
dans la mainmise sur les potentats occidentaux. L’inverse a été atteint. Les
revenus du Nigeria ont été reversés à une minorité qui les a accaparés et qui les
a stockés dans les coffres des banques occidentales à des fins purement
personnelles, sinon crapuleuses. Par ailleurs, pour faire bonne mesure et pour
asseoir leur pouvoir non partageable, les despotes ont dilapidé les revenus des
hydrocarbures dans l’achat d’armes aux fins de protéger leurs privilèges par la
force.
Le démarrage
de l’extraction du gaz offshore pourrait constituer une bouée de sauvetage pour
l’économie israélienne. La banque centrale estime que les ressources procurées
par le gaz augmenteront le PIB israélien d’un point supplémentaire, ce qui permettra
une prévision de croissance de 3,8% pour 2013 avec une retombée positive sur la
balance commerciale israélienne. La production de gaz réduira les importations
de pétrole avec, à la clef, une économie de sorties de devises. Les prévisions évaluent à 2
milliards d’euros par an les nouvelles entrées financières pour Israël pour un
budget annuel de 70 milliards d’euros.
Les artisans de l'économie israélienne : Stanley Fischer directeur de la Banque d'Israël, Benjamin Netanyahou et Youval Steinitz ministre des finances |
Passée la période agitée des
élections, le nouveau gouvernement qui sortira des urnes devra légiférer pour définir
l’utilisation de la manne du gaz, en collaboration avec l’opposition, afin
d’assurer une répartition équitable des milliards de dollars qui vont se
déverser dans les caisses de l’État. Ce
sera surtout l’occasion de réduire la pauvreté qui gangrène certaines villes du
sud du pays.
Lutte contre la pauvreté
Selon le dernier rapport 2012 de l’organisation humanitaire «Latet»
qui vient en aide aux couches sociales défavorisées en Israël, l’année 2012
aura été mauvaise en termes de lutte contre la pauvreté. Les plus jeunes ont
souffert dans les familles pauvres car un enfant sur deux a été obligé de
travailler pour subvenir aux besoins de ses proches tandis que 20 % d’entre eux
ont quitté définitivement l’école. Le rapport note que 27 % des enfants israéliens
ont connu des jours sans nourriture.
Les
conclusions du rapport, sur la base de chiffres officiels, incriminent «les
politiques néolibérales qui nuisent au fonctionnement des services publics et à
la privation des droits économiques et sociaux des enfants» et révèlent que près de 900.000 enfants vivent
sous le seuil de pauvreté avec une forte malnutrition. Le directeur général de «Latet»,
Eran Weintraub, met en garde le gouvernement : «Si nous voulons survivre en
tant que société dans les 60 prochaines années, nous ne devrions pas considérer
la pauvreté comme un épiphénomène, mais comme la conséquence directe de
politiques dangereuses, qui rapprochent Israël des pays du Tiers-Monde et
l’éloignent d’autant du monde occidental.»
Sdf en Israël |
Mais, à l’exemple de la Norvège, Israël envisage de créer
un fonds souverain pour faire face aux «éléments imprévus». La moitié des milliards de dollars de revenus
entrerait dans les caisses de l’État et le reste serait partagé entre les
sociétés privées israéliennes et américaines qui vont exploiter ces richesses.
Il ne semble pas dans les intentions du futur premier ministre Netanyahou de
répartir en urgence ce pactole, ou du moins une partie, au profit d'une population qui avait manifesté en 2011 contre ses conditions économiques difficiles. Il compte investir cette manne à l’étranger pour disposer d'un «filet de sécurité» pour
faire face à des événements imprévus tels que guerres, désastres naturels ou
crises financières. En fait, il préfère s’asseoir sur un tas d’or, pour faire profiter les prochaines générations, et laisser
les classes défavorisées s’enfoncer encore plus dans la misère pour des questions de stratégie économique.
La queue des pauvres pour de la nourriture |
Il justifie ces réserves à l'étranger en pointant du doigt le programme nucléaire iranien qui ouvre
une période d’incertitude et la montée d’un islamisme radical qui déstabilise
les pays arabes avec le risque d’une explosion économique mondiale. Une petite exception cependant avec
l’utilisation de 4% des revenus du gaz pour augmenter les crédits de l’Éducation
et de la Défense étant bien entendu que le Trésor israélien pourra disposer
d’une ligne de crédit bancaire auprès du fonds souverain en cas de «circonstances
exceptionnelles».
Un point positif cependant pour éviter toute dérive politique, la Banque d’Israël, fidèle à sa neutralité politique, sera chargée de gérer les revenus du gaz. Israël s’inspire ainsi de la Norvège qui n’a pas donné au ministère des Finances, dirigé par un représentant politique, la responsabilité du fonds souverain. Mais par ses choix, Benjamin Netanyahou prouve qu'il veut rester fidèle à sa politique ultra-libérale.
Un point positif cependant pour éviter toute dérive politique, la Banque d’Israël, fidèle à sa neutralité politique, sera chargée de gérer les revenus du gaz. Israël s’inspire ainsi de la Norvège qui n’a pas donné au ministère des Finances, dirigé par un représentant politique, la responsabilité du fonds souverain. Mais par ses choix, Benjamin Netanyahou prouve qu'il veut rester fidèle à sa politique ultra-libérale.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire