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dimanche 24 mars 2013

LA NOUVELLE STRATÉGIE TURQUE



LA NOUVELLE STRATÉGIE TURQUE

Par Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps

Erdogan et Pérès à Davos

L’article sur Slate du 14 septembre 2011 avait laissé sceptiques beaucoup de lecteurs incrédules qui qualifiaient ces phrases de naïves ou d’incantatoires : «La brouille entre Israël et la Turquie semble avoir atteint un point de non-retour. Pour autant, le conflit entre les deux pays ne devrait pas s’éterniser. Les intérêts communs stratégiques et économiques sont trop grands. Au-delà des invectives, des menaces populistes et des mouvements d’humeur, les protagonistes reviendront à de meilleurs sentiments, poussés en cela par leurs armées respectives. Israël et la Turquie ont besoin l’un de l’autre et ils n’ont pas de politique de rechange à court terme.»

 Fin de la rupture


Flottille de Gaza


Il semble que les deux pays aient estimé devoir reconsidérer leur rupture à la suite des bouleversements intervenus dans la région. Durant ces trois années, les diplomates n’ont pas trouvé de texte pouvant satisfaire la susceptibilité de chacune des parties. Israël n’avait pas apprécié que son allié organise une flottille armée pour violer le blocus de Gaza en mai 2010 tandis que la Turquie a exigé des excuses pour les neuf morts qui se sont opposés à Tsahal.

Aujourd’hui la situation politique et économique a évolué et explique un revirement politique. Barack Obama a compris le problème et a imposé un appel téléphoné direct. Le secrétaire d'État américain John Kerry avait sondé les intentions turques à l'occasion de son déplacement à Ankara et avait préparé son coup après avoir obtenu la certitude que Tayyip Erdogan abonderait dans son sens en ne fermant pas la porte au dialogue avec Netanyahou. Alors qu'il était à l'aéroport Ben Gourion, en partance pour la Jordanie, le président américain avait réussi à convaincre Benjamin Netanyahou d'avoir, en sa présence, l'entretien de trente minutes qui a débloqué la situation.
Drapeaux turc et israélien

En effet, le premier ministre turc estimait en 2010 qu’il avait un boulevard devant lui pour obtenir le leadership du monde musulman et arabe. C’était sans compter sur l’opposition farouche de l’Arabie saoudite qui ne tenait pas à ce que ce pays, qui s’était compromis avec l’Otan, vienne occuper ses terres. Il avait compris que cette conquête passait par une rupture de son alliance avec Israël pour un rapprochement opportuniste avec la Syrie. Mais les relations avec Bassar Al-Assad se sont complètement dégradées au point qu’une guerre frontalière n’est pas exclue. Il avait même tenté, en vain, une réactivation politique avec l’Iran qui ne lui pardonne pas aujourd’hui d’apporter son aide aux rebelles syriens.


L’Égypte en première ligne


Morsi et Erdogan


Il ne s’attendait pas à ce qu’un nouveau venu sur la scène politique lui fasse de l’ombre. Mohamed Morsi, le président de l’Égypte, que l’on avait qualifié de second couteau des Frères musulmans et de candidat de substitution, s’est avéré être un diplomate de talent et un négociateur hors-pair puisqu’il est arrivé à ménager ses relations avec les États-Unis tout en ouvrant d’autres avec la Chine et l’Iran. Il a été la vedette du sommet des non-alignés à Téhéran. Son pragmatisme lui a donné des ailes pour reprendre le flambeau du leadership arabe historiquement détenu par l’Égypte. Erdogan en a donc tiré les conséquences et mis un terme à son rêve de contrôler le monde arabe.
Haniyeh et Erdogan

Le Hamas était isolé à Gaza du temps de l’ère Moubarak mais l’arrivée au pouvoir en Égypte des Frères musulmans, avec qui il partage la même idéologie, lui a ouvert des horizons politiques et économiques qui mettent au second plan l’aide que voulait lui apporter la Turquie. Il a changé d’allié pour se tourner vers l’Égypte. Mais Mohamed Morsi avait bien précisé à son allié Ismaël Haniyeh qu’il tenait au calme aux frontières avec Israël et qu’il devait plutôt s’orienter vers une stratégie économique plutôt que guerrière.  Cela explique qu’une nouvelle flottille pour Gaza ait été annulée et que l’influence turque soit en baisse auprès du Hamas.


Pressions économiques


La rupture des relations avec Israël avait donné des ailes aux militants kurdes du PKK qui avaient été longtemps bridés par les israéliens et qui s’étaient libérés de toute astreinte. Le réchauffement du front kurde a coûté beaucoup de morts dans l’armée turque, à fortiori depuis la révolution syrienne qui a vu Bassar Al-Assad s’allier avec le PKK pour contrer les velléités turques de lancer une attaque conjointe avec l’occident. 
Drone turc à base de technologie israélienne

Les militaires turcs expliquaient leurs échecs par une absence de matériel sophistiqué livré par les industries militaires israéliennes. L’embargo imposé par Benjamin Netanyahou a coûté à Israël la place de cinquième pays exportateur d’armes alors que la Turquie a du mal à trouver une alternative efficace pour équiper son armée, habituée depuis plusieurs années aux armes américano-israéliennes. D’ailleurs Barack Obama n’a jamais accepté de se substituer aux israéliens car il espérait faire ainsi pression pour une reprise des relations entre les deux seuls pays qui entrent dans la stratégie américaine au Proche-Orient.

L’aspect économique n’est pas étranger à la justification d’une solution à la brouille de 2010. Les israéliens ont limité l’importation de produits manufacturés turcs qui inondaient le marché israélien comme les machines à laver et réfrigérateurs ainsi que les produits comme les pâtes alimentaires et l’eau. Bien sûr les industries israéliennes ont aussi souffert et des commandes de drones ont été sinon annulées, au moins gelées. 
Antalya plage


Par nationalisme ou par fierté, des milliers de vacanciers ont déserté la Turquie qui était leur destination privilégiée. Les israéliens qui se sentent à l’étroit dans leur petit pays ont besoin d’espace et de dépaysement. Alors, ils ont remplacé la Turquie par la Crète, Rhodes, Chypre, les iles grecques et les pays de l’Est. Une délégation d’hôteliers et de centres de vacances turcs s’était déplacée en Israël pour convaincre les israéliens de revenir chez eux. Il leur a été précisé que, pour des raisons de sécurité, ils ne reviendront en Turquie que le jour où un ambassadeur israélien sera à nouveau en poste à Istanbul.



Pressions militaires



F16 israélien


Enfin Israël tenait à la reprise des relations avec la Turquie pour des raisons militaires. Les exercices de l’aviation au-dessus du territoire turc sont un impératif de sécurité à la fois pour avoir de l’espace mais surtout pour contrôler la frontière iranienne, longtemps survolée par les pilotes israéliens. Le territoire turc reste aussi une option pour le survol d’une armada en cas de frappe militaire contre les usines nucléaires iraniennes. La susceptibilité israélienne de refuser de présenter les excuses s’avérait négligeable face aux enjeux militaires. Israël avait besoin de la neutralité, sinon de l’aide turque, pour s’attaquer à l’Iran.

Ehud Barak, l’ancien ministre israélien de la défense, qui entretenait des relations exceptionnelles avec l’État-Major turc, n’avait jamais fait mystère de son souhait de reprendre les relations diplomatiques même s’il fallait qu’Israël «s’excuse» pour les neuf morts. En tant qu’ancien militaire, il n’a pas les mêmes sentiments de susceptibilité que les diplomates. Pendant trois ans, la diplomatie israélienne s’était activée en vain. Elle était appuyée par les États-Unis et l’OTAN qui considèrent que la Turquie est un élément fondamental de l’influence occidentale dans la région. Ils ont tenté d’intervenir en tant que médiateurs pour qu’Israël trouve des mots d’excuses appropriés sans faire acte de contrition pour les morts de la flottille. Mais le blocage se trouvait au sein même d’une partie du gouvernement, les nationalistes.
Avigdor Lieberman

Le ministre des affaires étrangères, Avigdor Lieberman, était prêt à trouver une solution pour mettre fin à l’impasse avec les turcs mais il ne voulait en aucun cas présenter des excuses. Habitué aux diatribes et aux slogans nationalistes anti arabes, il pouvait difficilement se plier aux exigences turques. Sa mise à l’écart temporaire du ministère des affaires étrangères, pour cause de procès en cours, semble avoir débloqué la situation pour permettre la reprise des relations diplomatiques. Il a cependant fulminé contre une «grave erreur qui sape le moral de l'armée».

Consensus israélien


La centriste Tsipi Livni s'est félicitée «d’une décision très importante et correcte au regard des intérêts communs à Israël, à la Turquie et aux États-Unis, surtout à la lumière des évènements en Syrie». Le nouveau ministre de la Défense Moshé Yaalon et le chef d'Etat-major Benny Gantz ont approuvé la décision de M. Netanyahou de reprendre les relations diplomatiques. Cette décision avait été précédée par quelques timides approches car le porte-parole de l'administration militaire israélienne dans les territoires palestiniens, le commandant Guy Inbar, avait annoncé qu'Israël avait autorisé Ankara à faire entrer des équipements médicaux pour un hôpital construit dans la bande de Gaza par la Turquie.



Les relations des deux pays ont souffert, pendant trois ans, des politiques intérieures et des égos déguisés en fierté nationale. Alors, les troubles en Syrie, le programme nucléaire iranien et les pressions américaines ont eu raison de l'intransigeance des premiers ministres israélien et turc. Une nouvelle ère de collaboration s’annonce pour le bien de ces deux pays mais surtout pour l’intérêt stratégique des États-Unis et de l’Otan.


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