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lundi 11 mars 2013

LE DRAME DES ORTHODOXES DANS L’OPPOSITION



LE DRAME DES ORTHODOXES DANS L’OPPOSITION

Par Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps
                 
Attias, Déry et Ichaï
           Le parti Shass a pêché par trop d’assurance et, dans sa déconvenue, il est prêt à prôner la politique du pire car il sait qu'il perdra ses postes de ministres. Certes il s’agit seulement d’une menace car les orthodoxes ne peuvent pas insulter l’avenir. C’est en effet le 3 mars que les trois dirigeants du Shass, Arié Déry, Élie Ichaï et Ariel Attias ont appris de la bouche du premier ministre, dans son bureau de Jérusalem, qu’ils étaient exclus de la prochaine coalition gouvernementale en raison de l’opposition ferme de Yaïr Lapid et de Naftali Bennett. Ils étaient pourtant persuadés que Benjamin Netanyahou ne les laisserait pas tomber en raison d’un long passé d’étroite collaboration mais, la mathématique des élections était telle qu’il avait besoin des voix centristes pour constituer son gouvernement.




Refus travailliste


            Le premier ministre les avait encouragés à chercher auprès de Shelly Yacimovich un accord pour que les travaillistes et le Shass se substituent au tandem Lapid-Bennett : «Voyez avec Shelly ; si vous arrivez à la convaincre, nous aurons un gouvernement avec vous. J'ai essayé. Je lui ai offert beaucoup, le ministère des finances en particulier, mais elle n'est pas encore prête». Mais le parti travailliste, dont les élus sont de jeunes militants inexpérimentés, tient à une cure d’opposition de quelques années pour devenir à terme une force d’alternance après avoir contré le premier ministre comme chef de l’opposition durant une mandature. Il vise haut et ne veut pas gaspiller ses munitions dans une coalition où il sera très minoritaire et qui lui fera perdre sa crédibilité auprès de ses militants.
Les députés travaillistes

            Il est vrai que le parti Shass est plus proche des travaillistes que du Likoud ou des centristes. Les orthodoxes partagent la même vision de la société israélienne, en particulier en ce qui concerne l’aide aux populations défavorisées, mais diffèrent sur la répartition plus équitable du budget de l’État. Mais il semble que Shelly Yacimovich ait des ambitions plus importantes qu’il n’y parait et qu’elle veut viser à terme le poste de premier ministre plutôt que de servir de supplétive à un gouvernement de droite. Elle ne veut pas rééditer la même erreur qu’Ehud Barak qui avait recherché l’intérêt personnel d’un portefeuille ministériel plutôt que l’élévation de son parti à la première place, comme à l’époque historique. Elle est convaincue d’être le prochain premier ministre si elle ne brade pas ses convictions et si elle n’abandonne pas ses électeurs de gauche en cours de mandat. 


Veto du guide suprême


Ovadia Yossef


            Le triumvirat du Shass, original comme mode de fonctionnement d’un parti, a vu sa stratégie brutalement s’écrouler. Il était sûr de sa victoire et a mésestimé la capacité de nuisance et la force politique de Naftali Bennett avec qui il aurait pu constituer un groupe de pression qui l'aurait redu incontournable. L’intermédiaire secret, qui avait cherché à proposer à Bennett et au Shass de signer, avant la campagne électorale, un accord fermel liant les orthodoxes et les sionistes religieux, a été débouté. Les ordres du guide suprême Ovadia Yossef avaient été formels pour ne pas négocier avec le trublion Bennett qui osait s’opposer à sa personne et à son autorité. Les uns et les autres n’étaient certes pas très chauds mais la politique est faite de contradictions toujours surmontables. Cet axe aurait pu empêcher celui de Bennett-Lapid et aurait transformé complètement le paysage politique actuel. On ne corrige pas les erreurs politiques parce qu’on ne peut pas refaire l’Histoire.

                Cette mise à l’écart du Shass est sinon une catastrophe, au moins une défaite cuisante qui va impacter de manière notable les finances du parti. Alors ses dirigeants pestent, menacent et promettent une vie infernale au nouveau gouvernement pour jouer à fond sa chute. Ils sont d’autant plus choqués que l’Histoire a bégayé puisque le père Tommy Lapid, chef du parti Shinouï, les avait déjà exclus du gouvernement en 2003. Ils avaient alors perdu comme aujourd’hui le ministère de l’intérieur. 
Tommy Lapid

           Alors s’ouvre à eux une période de disette et de restrictions à laquelle ils n'étaient pas préparés tant ils étaient persuadés d'être indispensables à la majorité. Ils sont d’autant plus amers qu’ils estiment que Benjamin Netanyahou n’a pas été reconnaissant alors qu'il doit son poste de 2009 parce qu'ils ont volontairement tourné le dos à Tsipi Livni qui était pourtant arrivée en tête des élections et qui d'ailleurs ne les avait pas sollicités.

            Le Shass était persuadé que les liens qu’il avait tissés avec le Likoud étaient solides mais c’était trop préjuger sur la constance des esprits et sur le comportement des hommes politiques. Alors ils préparent la contre-attaque dans les implantations pour réactiver les extrémistes qui donneront du fil à retordre au gouvernement afin de lui faire «dépenser en frais de maintien de l’ordre une partie des fonds qui ne leur seront plus alloués». Ils n’ont pas d’autres moyens pour soulager leurs regrets de perdre la manne qui leur échappera après avoir perdu les budgets des ministères de l'Intérieur, de l'Habitat et de la Construction, et de la Religion. Des sommes colossales leur permettaient de financer leurs écoles talmudiques, d’ouvrir des postes à des militants, de favoriser des candidats à certains postes de fonctionnaires et de répartir des travaux de sous-traitances aux membres de leur électorat.


Difficultés financières
Yeshiva ou école talmudique


            Les institutions orthodoxes devront se passer des énormes fonds de financements publics à savoir les allocations budgétaires de l’éducation et des affaires sociales et religieuses ainsi que les allocations de soutien aux enfants. Des milliards de shekels par an sont en jeu tandis que durant ces dernières quatre années, les internats orthodoxes percevaient 60 millions d’aides de l’État. Le ministère de l’éducation avait débloqué un budget de 60 millions de shekels par an pour la culture juive, versés conjointement à Shass et au Judaïsme unifié. Les systèmes scolaires recevaient 150 millions tandis que des bourses d’État étaient versées aux étudiants de yeshivas sur la base de 500 shekels par étudiant célibataire et 800 par étudiant marié.

            Pour les centristes et les sionistes religieux, ces baisses d’allocations pourraient convaincre les étudiants des écoles talmudiques à entrer dans le monde du travail dès lors où ils n’auraient plus de subsides pour vivre ou, à s’engager à l’armée pour effectuer le service militaire. Les couples seraient aussi amenés à accepter de travailler dans les institutions d’État comme les garderies et les hôpitaux pour percevoir des salaires au lieu de dons. Les centristes, qui n'ont pas l'intention de confier à nouveau la présidence de la commission des finances aux orthodoxes, estiment que le gouvernement n’aurait plus à troquer le vote de nombreux projets de lois par les orthodoxes en échange de financement d’associations religieuses. Le climat politique deviendra ainsi plus sain.

            Certains politiques sont moins inquiets car ils estiment que le Shass a toujours été prévoyant et qu’il dispose d’un trésor de guerre pour les mauvais jours.  La situation du Shass risque d’être difficile mais, à n’en point douter, il réussira comme en 2003 à trouver des compensations financières pour attendre le moment où le premier ministre fera à nouveau appel à lui. Il faudrait pour cela que le bloc Lapid-Bennett explose sur un conflit politique qui finira par démontrer l'inanité d'une alliance contre nature. Le Shass fera tout pour que de nouvelles élections aient lieu dans les deux ans, un cycle devenu habituel en Israël tant que subsistera le système électoral de la proportionnelle intégrale.

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