LE DRAME DES ORTHODOXES DANS L’OPPOSITION
Par
Jacques BENILLOUCHE
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Le parti Shass
a pêché par trop d’assurance et, dans sa déconvenue, il est prêt à prôner la
politique du pire car il sait qu'il perdra ses postes de ministres. Certes il s’agit seulement d’une menace car les orthodoxes
ne peuvent pas insulter l’avenir. C’est en effet le 3 mars que les trois
dirigeants du Shass, Arié Déry, Élie Ichaï et Ariel Attias ont appris de la
bouche du premier ministre, dans son bureau de Jérusalem, qu’ils étaient exclus
de la prochaine coalition gouvernementale en raison de l’opposition ferme de
Yaïr Lapid et de Naftali Bennett. Ils étaient pourtant persuadés que Benjamin
Netanyahou ne les laisserait pas tomber en raison d’un long passé d’étroite
collaboration mais, la mathématique des élections était telle qu’il avait
besoin des voix centristes pour constituer son gouvernement.
Refus travailliste
Le premier ministre
les avait encouragés à chercher auprès de Shelly Yacimovich un accord pour que
les travaillistes et le Shass se substituent au tandem Lapid-Bennett : «Voyez
avec Shelly ; si vous arrivez à la convaincre, nous aurons un gouvernement
avec vous. J'ai essayé. Je lui ai offert beaucoup, le ministère des finances en
particulier, mais elle n'est pas encore prête». Mais
le parti travailliste, dont les élus sont de jeunes militants inexpérimentés,
tient à une cure d’opposition de quelques années pour devenir à terme une force
d’alternance après avoir contré le premier ministre comme chef de l’opposition
durant une mandature. Il vise haut et ne veut pas gaspiller ses munitions dans
une coalition où il sera très minoritaire et qui lui fera perdre sa crédibilité
auprès de ses militants.
Les députés travaillistes |
Il est vrai que
le parti Shass est plus proche des travaillistes que du Likoud ou des
centristes. Les orthodoxes partagent la même vision de la société israélienne,
en particulier en ce qui concerne l’aide aux populations défavorisées, mais diffèrent sur la
répartition plus équitable du budget de l’État. Mais il semble que Shelly
Yacimovich ait des ambitions plus importantes qu’il n’y parait et qu’elle veut
viser à terme le poste de premier ministre plutôt que de servir de supplétive à
un gouvernement de droite. Elle ne veut pas rééditer la même erreur qu’Ehud
Barak qui avait recherché l’intérêt personnel d’un portefeuille ministériel
plutôt que l’élévation de son parti à la première place, comme à l’époque
historique. Elle est convaincue d’être le prochain premier ministre si elle ne
brade pas ses convictions et si elle n’abandonne pas ses électeurs de gauche en cours de mandat.
Veto du guide suprême
Le triumvirat du
Shass, original comme mode de fonctionnement d’un parti, a vu sa stratégie
brutalement s’écrouler. Il était sûr de sa victoire et a mésestimé la capacité
de nuisance et la force politique de Naftali Bennett avec qui il aurait pu
constituer un groupe de pression qui l'aurait redu incontournable. L’intermédiaire
secret, qui avait cherché à proposer à Bennett et au Shass de signer, avant la
campagne électorale, un accord fermel liant les orthodoxes et les sionistes
religieux, a été débouté. Les ordres du guide suprême Ovadia Yossef avaient été
formels pour ne pas négocier avec le trublion Bennett qui osait s’opposer à sa personne
et à son autorité. Les uns et les autres n’étaient certes pas très chauds mais
la politique est faite de contradictions toujours surmontables. Cet axe aurait
pu empêcher celui de Bennett-Lapid et aurait transformé complètement le paysage
politique actuel. On ne corrige pas les erreurs politiques parce qu’on ne peut
pas refaire l’Histoire.
Cette
mise à l’écart du Shass est sinon une catastrophe, au moins une défaite
cuisante qui va impacter de manière notable les finances du parti. Alors ses
dirigeants pestent, menacent et promettent une vie infernale au nouveau
gouvernement pour jouer à fond sa chute. Ils sont d’autant plus choqués que
l’Histoire a bégayé puisque le père Tommy Lapid, chef du parti Shinouï, les
avait déjà exclus du gouvernement en 2003. Ils avaient alors perdu comme
aujourd’hui le ministère de l’intérieur.
Alors s’ouvre à eux une période de disette et de restrictions à laquelle ils n'étaient pas préparés tant ils étaient persuadés d'être indispensables à la majorité. Ils sont d’autant plus amers qu’ils estiment que Benjamin Netanyahou n’a pas été reconnaissant alors qu'il doit son poste de 2009 parce qu'ils ont volontairement tourné le dos à Tsipi Livni qui était pourtant arrivée en tête des élections et qui d'ailleurs ne les avait pas sollicités.
Tommy Lapid |
Alors s’ouvre à eux une période de disette et de restrictions à laquelle ils n'étaient pas préparés tant ils étaient persuadés d'être indispensables à la majorité. Ils sont d’autant plus amers qu’ils estiment que Benjamin Netanyahou n’a pas été reconnaissant alors qu'il doit son poste de 2009 parce qu'ils ont volontairement tourné le dos à Tsipi Livni qui était pourtant arrivée en tête des élections et qui d'ailleurs ne les avait pas sollicités.
Le Shass était persuadé que les
liens qu’il avait tissés avec le Likoud étaient solides mais c’était trop
préjuger sur la constance des esprits et sur le comportement des hommes politiques. Alors
ils préparent la contre-attaque dans les implantations pour réactiver les
extrémistes qui donneront du fil à retordre au gouvernement afin de lui faire «dépenser
en frais de maintien de l’ordre une partie des fonds qui ne leur seront plus
alloués». Ils n’ont pas d’autres moyens pour soulager leurs regrets de
perdre la manne qui leur échappera après avoir perdu les budgets des ministères
de l'Intérieur, de l'Habitat et de la Construction, et de la Religion. Des
sommes colossales leur permettaient de financer leurs écoles talmudiques,
d’ouvrir des postes à des militants, de favoriser des candidats à certains
postes de fonctionnaires et de répartir des travaux de sous-traitances aux
membres de leur électorat.
Difficultés financières
Les institutions
orthodoxes devront se passer des énormes fonds de financements publics à savoir
les allocations budgétaires de l’éducation et des affaires sociales et
religieuses ainsi que les allocations de soutien aux enfants. Des milliards de shekels
par an sont en jeu tandis que durant ces dernières quatre années, les internats
orthodoxes percevaient 60 millions d’aides de l’État. Le ministère de l’éducation
avait débloqué un budget de 60 millions de shekels par an pour la culture juive,
versés conjointement à Shass et au Judaïsme unifié. Les systèmes scolaires recevaient
150 millions tandis que des bourses d’État étaient versées aux étudiants de yeshivas
sur la base de 500 shekels par étudiant célibataire et 800 par étudiant marié.
Pour les
centristes et les sionistes religieux, ces baisses d’allocations pourraient
convaincre les étudiants des écoles talmudiques à entrer dans le monde du travail dès
lors où ils n’auraient plus de subsides pour vivre ou, à s’engager à l’armée
pour effectuer le service militaire. Les couples seraient aussi amenés à
accepter de travailler dans les institutions d’État comme les garderies et les
hôpitaux pour percevoir des salaires au lieu de dons. Les centristes, qui n'ont pas l'intention de confier à nouveau la présidence de la commission des finances aux orthodoxes,
estiment que le gouvernement n’aurait plus à troquer le vote de nombreux
projets de lois par les orthodoxes en échange de financement d’associations religieuses. Le
climat politique deviendra ainsi plus sain.
Certains politiques sont moins
inquiets car ils estiment que le Shass a toujours été prévoyant et qu’il dispose
d’un trésor de guerre pour les mauvais jours. La situation du Shass risque d’être difficile
mais, à n’en point douter, il réussira comme en 2003 à trouver des
compensations financières pour attendre le moment où le premier ministre fera à
nouveau appel à lui. Il faudrait pour cela que le bloc Lapid-Bennett explose
sur un conflit politique qui finira par démontrer l'inanité d'une alliance contre nature. Le Shass fera tout pour que
de nouvelles élections aient lieu dans les deux ans, un cycle devenu habituel
en Israël tant que subsistera le système électoral de la proportionnelle
intégrale.
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