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mardi 8 mai 2018

Israël et la concentration des pouvoirs



ISRAËL ET LA CONCENTRATION DES POUVOIRS

Par Jacques BENILLOUCHE
Copyright © Temps et Contretemps

       

            
Cour Suprême
          Non ce n’est pas exagéré de dire qu’Israël prend un mauvais chemin. Dans tous les pays démocratiques, il existe une structure d’État chargée de contrôler les éventuelles dérives du gouvernement. En France, le Conseil Constitutionnel veille à la régularité des élections nationales et des referendums et se prononce sur la conformité à la Constitution des lois votées par l’Assemblée nationale et le Sénat. 


Mme Hayut, Mr Rivlin et Mme Shaked

          La Cour suprême du Royaume-Uni est la juridiction la plus élevée de l'ordre judiciaire au Royaume-Uni dispose du droit de juger les lois. Enfin, pour les Etats-Unis, la Cour suprême contrôle la constitutionnalité des lois mais a posteriori, après que la loi a été promulguée.
          Il est important qu’une juridiction indépendante existe pour contrôler l’exécutif qui ne doit pas avoir les mains tout à fait libres. Or en Israël on veut tout faire pour limiter les pouvoirs de la Cour Suprême qui pourtant ne connaît que le droit et ne juge qu’en fonction des textes votés par la Knesset. Il est vrai que la majorité actuelle se plaint que plusieurs textes aient été retoqués par la Cour parce qu’ils n’étaient pas conformes aux Lois fondamentales, faisant office de Constitution. 
          Alors, au lieu de se plier aux règles de droit, la Knesset cherche, depuis le début de sa session, à neutraliser la Haute Cour considérée à tort comme un organisme politique, et pire, comme une émanation de «gauchistes» selon le principe que ce qualificatif s'applique à ceux qui s'opposent à Netanyahou. 
Commission des Lois

            Or onze des douze membres de la commission des lois viennent de proposer un nouveau texte qui permettrait à la Knesset d'adopter des lois déjà annulées par la Haute Cour de Justice sous réserve d'une majorité simple de 61 députés sur 120. Dans des textes aussi forts, la majorité des 2/3 est partout exigée dans les assemblées occidentales quand il s’agit de modifier la Constitution. De manière étonnante, le ministre Yoav Galant du parti Koulanou, s’est associé à cette démarche qui modifie la Loi fondamentale : Dignité Humaine et Liberté. En fait la question des migrants africains illégaux pousse les nationalistes juifs à réagir pour pouvoir garder la liberté de les expulser sans tenir compte de la loi.

Raz Nazri

            Les deux procureurs de l’État sont opposés à cette réforme. Le procureur général adjoint, Raz Nazri, n’est pas favorable au projet : «La position du procureur général est que toutes les propositions devraient être opposées. Nous ne disons pas que ce n'est pas constitutionnel, parce que c'est un amendement aux lois fondamentales, mais nous y sommes opposés. La loi fondamentale sur la législation aborde toutes les complexités des relations entre les autorités». Le procureur Mandelblit n’est pas non plus favorable à tout changement de la loi parce qu’il pense qu’il n’y aura plus de garde-fou face à un risque imprévisible.
            Cela est grave car une simple majorité peut imposer des lois sans contrôle. Réunir une majorité de 61 députés est une formalité pour toute coalition. L’exécutif serait alors omnipuissant. Bien sûr les leaders nationalistes Naftali Bennett et Ayelet Shaked, approuvent cette décision du comité qui marque le «début de la construction d'un mur de séparation entre les trois branches du gouvernement. La clause de contournement rendra la confiance du public à la Haute Cour de justice et rétablira les fonctions originelles des branches : la Knesset légifère, les gouvernements mettent en œuvre et la cour interprète. La Knesset, en tant que représentante de la nation, est la souveraine comme dans toute démocratie civilisée».

            Seul le leader de Koulanou, Moshé Kahlon, peut sauver la situation car il dispose d’un droit de veto dans la coalition. La présidente de la Cour suprême, Esther Hayut, qui reste très attachée à maintenir la démocratie dans le pays, a rencontré le premier ministre dans une dernière tentative de bloquer une initiative qui peut conduire à la dictature d’une majorité de la Knesset contre les institutions. Nul n’est à l’abri de manœuvres d’un clan qui pourrait imposer sa loi au pays. Or, il faut faire confiance dans les institutions qui ont bien fonctionné jusqu’à présent et qui garantissent à l’État d’Israël sa qualité de pays démocratique, le seul de la région. Il serait dangereux de suivre les traces de la Turquie qui a progressivement grignoté des pans entiers de démocratie pour devenir une dictature théocratique. 
            Le rôle de la Cour suprême est fondamental dans un système où la Constitution est lacunaire et en constante construction. Elle a réussi à protéger les droits fondamentaux sans disposer d'un texte constitutionnel en bonne et due forme. Elle a développé un contrôle de constitutionnalité alors même que la nature des textes dont elle disposait était loin d'être claire. Ainsi, depuis 1995, la Cour suprême d'Israël exerce un contrôle efficace de la constitutionnalité des lois dont elle a précisé les contours. Elle a utilisé scrupuleusement les textes pour protéger à la fois les droits fondamentaux et les valeurs de l'État d'Israël. Ce serait triste de compromettre un acquis pour plonger le pays sur la voie de la dictature. 




2 commentaires:

2 nids a dit…

Bon article Mr Jacques,

Question : par qui, sont élus les membres de la Cour Suprême ?

Si c'est un acquis pour la démocratie, comment est il possible de la réduire au silence juridiquement ?...

Le Président d'Israel n'a t-il aucun pouvoir à ce sujet si important..?

Jacques BENILLOUCHE a dit…

La Cour suprême d'Israël est composée de 15 membres nommés par un comité indépendant de sélection des juges, établi par une loi fondamentale : celle de la magistrature. Lors des dernières désignations la ministre de la justice Ayelet Shaked est intervenue pour «proposer» ses candidats qui n’ont pas tous été cooptés.