FLOTTILLE DE GAZA : FOLKLORE ET LÂCHETÉ
Par
Jacques BENILLOUCHE
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Il est vrai que
nous sommes loin de la manifestation monstre à Paris du 18 juin 2010, la
plus importante de mémoire de journaliste. Le cortège s’étirait de la République à la Nation , sur plusieurs
kilomètres en rangs serrés. Au moins un million de manifestants ont constitué des cortèges dans toute la France pour faire
entendre leur réprobation devant les prétendus massacres contre les Palestiniens. Ces mêmes manifestations ont eu
lieu simultanément à Londres, à Bruxelles, en Turquie, en Jordanie et au Liban.
Le Parti des musulmans de France (PMF), proche des
mouvements islamistes radicaux, conduisait la marche avec son imam en tête en
tenue de gala, tout de blanc vêtu.
La fine fleur des Gauchistes français |
La gauche française, à l’initiative du Nouveau Parti Anticapitaliste,
avait alors lancé un appel à se rendre en masse au centre de Paris. Toute
la fine fleur de ce que compte la France comme véritables gauchistes, selon la
définition de Georges Marchais, était présente pour se dire «révoltée par cet acte de guerre». Bref tous les
ténors de la bonne conscience étaient là ; les artistes de la contestation
défilaient comme ils le font dans les grandes occasions quand ils estiment que
le droit humain est bafoué. Mais il s’agissait alors de soutenir Gaza et
pas les populations arabes qui subissaient la mort par révolution interposée.
Depuis
le début des révolutions, des cadavres jonchent les sols tunisiens,
égyptiens, libyens, irakiens et syriens, la plupart parce qu’ils ont osé
réclamer la liberté. On s’attendait à ce que les manifestants français aillent
défiler en masse pour s’élever contre les meurtres de centaines de milliers de civils
au Moyen-Orient afin de marquer leur solidarité active. Mais ils n’ont pas
réagi puisque les faits ne prêtent pas à attention, surtout lorsque des Arabes tuent
d’autres Arabes.
morts syriens |
La
nouvelle flottille de Gaza qui a été interceptée par la marine israélienne
entrait dans le domaine du folklore plutôt que du domaine politique. Juste
un petit yacht, avec à bord 13 femmes et une journaliste d' Al-Jazeera qui a
fait de son mieux pour ajouter une dimension dramatique à l'événement : «Les
femmes sont préparées pour tout scénario». Quelques femmes désœuvrées ont voulu montrer qu’elles s’intéressaient à la «prison
à ciel ouvert» de Gaza. Elles n’ont amené avec elles
ni médicaments, ni sac de riz et ni jouets pour les enfants ; juste une
caméra et un microphone dans leur guerre médiatique.
Soldates de la marine d'interception |
Mais par leur action, elles ne se sont pas rendu
compte qu’elles faisaient preuve d’une totale lâcheté. D’une part parce que le
seul danger auquel elles ont été confrontées fut les quelques vaguelettes de la
Méditerranée pendant un mois de «croisière». Elles savaient que le
risque était nul à l’arrivée face à la marine militaire israélienne qui les a plus
considérées comme des illuminées que comme des adversaires sérieuses. Comble de la déception, ce sont des femmes militaires de Tsahal qui ont mis fin à leur
petite sauterie.
Camions vers Gaza |
La lâcheté de
ces femmes est actée car elles se sont dérangées pour soutenir les habitants de
Gaza soumis à un blocus partiel. Elles savaient que 800 camions traversaient chaque jour la frontière israélienne pour convoyer les besoins en marchandises de la bande alors que rien ne passait à travers le point de contrôle égyptien. Depuis la fin de la guerre de 2014 provoquée
par le Hamas, on ne peut pas dire que les morts jonchent les rues de Gaza.
Malgré
cela, ces femmes "courageuses" ont voulu marquer leur solidarité avec les
militants du Hamas mais n’avaient aucune raison sérieuse pour s’intéresser à ce
qui se passe dans les autres contrées musulmanes, la Syrie, l’Irak, le Yémen et
même la Turquie. Il s’agit là-bas d’une guerre interne qui ne les concerne pas
car quelques centaines de milliers de morts arabes ne représentent pas grand-chose
dans leur combat politique. Il est vrai que ces sujets ne font pas vendre et ne
mobilisent pas les masses quand Israël n’est pas impliqué et quand les Arabes
n’apparaissent pas en victimes.
Les
donneurs de leçons n’ont rien à dire sur ces massacres. Ils se taisent, ils ne
s’expriment plus, ne réagissent pas dans les médias, ne condamnent plus les «actes barbares» et ils ont perdu leurs
mots pour qualifier ce drame. Ils ne se voient pas autorisés à militer pour le sauvetage de milliers d’Arabes
qui n’avaient qu’à se laisser exterminer pour laisser en paix les organisations
politiques françaises. Pour eux, le blocus de Gaza est inconcevable même quand il s’agit de s’opposer
au passage d’armes de destruction ou de matériel de construction des tunnels de
la mort.
La
vérité est une notion relative puisque les bonnes consciences françaises, qui
s’opposent à Israël, sont toujours promptes à réagir quand elles estiment que l’Etat
juif n’a «aucune considération pour les Palestiniens, spoliés, chassés hors
de chez eux et maltraités depuis 1948». Les autres victimes ne méritent pas
qu’on s’attarde sur leur sort et ne font l’objet d’aucune polémique. Telle est «leur»
vérité. Le problème de ces élites est qu’elles ont l’indignation sélective pour
ne pas dire exclusive. Il serait bon que, de temps en temps, elles enlèvent
leurs œillères pour constater qu’il y a d’autres peuples qui méritent une
attention et auxquels elles ne daignent même pas offrir un regard de
compassion.
Cette flottille, conduite par des femmes, a fait preuve de lâcheté car elle se serait grandie si elle s’était
dirigée vers un port syrien pour demander la cessation des massacres et pour
venir en aide aux populations affamées d’Alep. Mais là-bas, le danger est plus
grand, incommensurable, et les militaires syriens ne sont pas des enfants de cœur ;
ils manient le fusil aussi bien que le sabre. Mais là-bas elles
auraient fait véritablement preuve de courage; là-bas elles auraient marqué les
esprits; là-bas elles auraient pris des risques alors qu’avec leur voilier, voguant
au gré du vent, elles ont passé une véritable croisière folklorique qui les a
mises à la lumière. Là-bas, leur voilier aurait certainement connu les fonds de la
Méditerranée, avec ou sans elles, car on ne badine pas avec Bachar.
En agissant ainsi, elles ont prouvé la valeur relative de la vie d’un Arabe.
En agissant ainsi, elles ont prouvé la valeur relative de la vie d’un Arabe.
5 commentaires:
Émet !
Effectivement le printemps a été très vite suivi de l hiver mais les Européens sont frileux et se cachent devant des montagnes de morts.
Les Américains comme les Européens observent et sont prêts a critiquer seulement.
Bien vu Jacques ! Les Precieuses ridicules ...
Réussirez-vous M. Benillouche, à faire passer ce très juste papier dans l'édition française de Slate ? Si non, pourquoi ?
Cet article très intéressant et instructif va je l'espère être publié sur Slate également. Si non, pourquoi ?
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