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dimanche 29 novembre 2015

Erdogan fausse les alliances au Moyen-Orient


ERDOGAN FAUSSE LES ALLIANCES AU MOYEN-ORIENT
Par Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps
   
          L’émergence de l’État islamique a reconfiguré les alliances au Moyen-Orient et la destruction de l’avion russe par les Turcs met en évidence les contradictions qui gèrent les relations entre pays. Quand ce n’est pas l’ancien premier ministre François Fillon qui suggère de s’allier avec le Hezbollah pour vaincre Daesh, le président Hollande renverse les alliances établies jusqu’alors. Il propose que la Russie devienne un partenaire des Occidentaux et sous-entend que Bachar Al-Assad  n’est pas aussi infréquentable qu’on ne le prétend. La situation en Syrie et en Irak impose à présent de rebattre les cartes et de tendre vers plus de pragmatisme pour trouver de  l’efficacité.




            La destruction du Sukhoï russe donne conscience que la géopolitique n’est pas une constante au Moyen-Orient et encore moins une science exacte. Elle exige des renoncements si l’on veut éviter de s’enliser dans des conflits interminables sur des bases désastreuses. La guerre décidée en 2003 par George W. Bush a montré que la guerre d’Irak avait été mal organisée et que les conditions de l’occupation du pays ont été désastreuses. 
          En décidant du jour au lendemain de renvoyer les officiers dans leurs foyers, de licencier toute les membres de la police et de démanteler les services puissants de sécurité, les Américains ont ouvert les portes au désastre. Daesh est justement constitué de ces militaires et policiers désœuvrés qui ont voulu se venger de l’ingratitude dont on a fait preuve à leur égard alors qu’ils étaient les véritables piliers du régime de Saddam Hussein. Les Américains n’ont pensé qu’à planifier la guerre sans songer à envisager l’après-guerre. Ils ont créé un vide qui a été immédiatement rempli par des sunnites revanchards et par des chiites convaincus que leur moment était arrivé.
Américains en Irak

            Consciente de ces faits, la Turquie a décidé d’ajouter son grain de sel. Il était temps pour elle de profiter de la fragilité du régime de Damas pour entrer dans le jeu et pour fédérer le grand mouvement pan-musulman souhaité par Erdogan. Cela explique sa stratégie de s’allier avec les djihadistes sunnites tout en faisant partie de la coalition qui les combattait. D’ailleurs il n’y a plus d’illusion à se faire avec Erdogan car le voile est levé. Il a en effet trouvé l’excuse de son incident avec la Russie pour renoncer à participer aux frappes militaires contre l’État islamique. Les djihadistes lui étaient effectivement d’un bon appoint pour matraquer les Kurdes de Syrie et d’Irak et par la même occasion pour neutraliser ceux de son pays. Erdogan, le prétendu islamiste modéré, a montré son vrai visage. Il craint d’être mis à l’écart du Moyen-Orient et d’avoir à renoncer à son projet de reprendre la place de leader du monde musulman après l’élimination de Moubarak du pouvoir. Il veut donc dorénavant peser sur toute solution concernant l’avenir de la Syrie. Sa victoire aux élections lui a donné des ailes et une certaine légitimité pour s’installer parmi les Grands. 

          Il veut donc dorénavant se présenter comme un acteur direct dans la solution du conflit syrien. Sa tentative de mobiliser les pays arabes contre Israël pour sa propre solution au conflit israélo- palestinien entrait dans cette stratégie, mais ce fut un fiasco. Il est presque certain à présent que l’action contre l’avion russe a été volontaire car elle aurait pu être évitée. Erdogan attendait une occasion pour modifier la donne en marquant son entrée dans le jeu mondial pour faire grimper les enchères. Il s’est dévoilé et il était prêt à impliquer l’OTAN pour mettre la Russie hors-jeu de la solution syrienne. 
          Même si le Sukhoï avait volé l’espace aérien turc pendant quelques secondes, la sanction a été terrible et disproportionnée. Derrière cette frappe il y avait la volonté des Turcs de menacer les Russes afin qu'ils renoncent à s’aventurer à la frontière syrienne en bombardant les Turkmènes du nord-ouest de la Syrie qui luttent contre Bachar Al-Assad. Cette minorité turcophone est devenue la protégée turque.
Alpaslan Celik, le commandant d'une brigade Turkmène de Syrie 

            Mais ce n’est pas tout. Le double jeu turc est flagrant en soutenant à la fois Daesh et les rebelles syriens et en donnant l'impression de se joindre aux Occidentaux pour frapper les djihadistes. Le quotidien turc Cumhuriyet a publié, le 29 mai, des preuves accréditant l’hypothèse de livraisons d’armes en 2014 aux rebelles  syriens qui combattent Bachar Al-Assad. Des d’obus de mortier étaient dissimulés sous des médicaments dans des camions affrétés par une organisation humanitaire. Un millier d’obus de mortier, 80.000 munitions et des centaines de lance-grenades ont été fournis par des pays de l’ancien bloc soviétique. L’information la plus grave faisait état que les camions appartenaient aux services de renseignements turcs (MIT). 
          La preuve était faite que le gouvernement turc soutenait en sous-main l’organisation djihadiste État islamique. Évidemment, Une enquête pour «terrorisme»  a été ouverte contre le quotidien. Le président  Recep Tayyip Erdogan, a attribué la responsabilité de ce scandale à l’organisation de l’imam Fethullah Gülen, un de ses anciens alliés, qu’il accuse depuis l’hiver 2013 de vouloir renverser son gouvernement.
Fethullah Gülen

            Les experts estiment que la Turquie a rendu un fier service à Bachar el-Assad en abattant un avion de combat russe. La Turquie n’a plus à jouer la comédie dès lors que les Russes s'opposent désormais ouvertement à Ankara pour consolider leur position en faveur de la Syrie. Moscou accuse à présent la Turquie d’aider le terrorisme et de, selon le premier ministre Dimitri Medvedev, «protéger les militants de l'État islamique». Les représailles ont été immédiates mais pour l'instant non militaires. La Russie a cessé l’importation de fruits et légumes de Turquie et interdit aux trois millions de visiteurs russes  par an d’aider le tourisme turc. Israël a remplacé la Turquie dans ces deux domaines avec le plus grand intérêt. On ne comprend plus la stratégie économique de la Turquie qui rompt avec ses principaux alliés, Israël d'abord et la Russie à présent.

            Le raidissement russe pourra permettre à Bachar el-Assad de compter sur un soutien encore plus marqué de la part de Poutine, et le tempérament susceptible du "Sultan" l'aura encore une fois conduit à commettre des erreurs et mener des politiques contre-productives. cependant, l’engagement plus grand de la Russie auprès de la Syrie risque à mener Bachar Al-Assad à plus d’intransigeance.
Missile Tow

            Ces péripéties montrent que les différentes puissances auront du mal à rapprocher leurs positions et encore moins à réunir une large coalition contre Daesh car les alliances sont devenues toutes brouillées. On ne sait plus qui est avec qui. La sortie de la Turquie et l’entrée en masse de la Russie ont changé la donne. Les armements qui avaient du mal à passer les frontières affluent pour alimenter tous les clans et pour générer une situation explosive Après le Sukhoï Su-24, un hélicoptère russe aurait été abattu dans la même région par un missile antichar Tow fourni par l'Arabie qui avait offert plus de 500 à l’Armée syrienne libre. Ainsi, des dizaines de blindés syriens auraient été détruits par les rebelles grâce à ces armes. Ces destructions ont contraint les Russes à nettoyer les poches de résistance proches de Lattaquié, quitte à porter atteinte à la Turquie et à contraindre Erdogan à fausser les alliances au Moyen-Orient.


4 commentaires:

Pascale CHATELUS a dit…

On ne remerciera jamais assez Bush de ce désastre... Ce criminel devrait être à La Haye..

Michel LEVY a dit…

Bush a fait une énorme connerie en intervenant en Irak sans avoir de solution crédible pour l'après Saddam. Dégommer Sadam n'était peut-être pas une mauvaise idée, à condition que cela soit dans l'intérêt des irakiens et de leurs voisins.
Mai l'évolution de la Turquie est due aux turques, et c'est une des conséquences de la poussée de l'islamisme partout dans le monde musulman.
Cette poussée est interne à l'islam, avec ou sans intervention occidentale elle existe, y compris en Israël, où Nethanyahu a du interdire le mouvement islamique israélien.
Les conneries de Bush n'expliquent pas la poussée islamiste, il ne faut pas déresponsabiliser les musulmans de leur propre responsabilités.

Marc GOLDSTEIN a dit…

Comment l'occident peut il se laisser leurrer par Erdogan le truqueur? Entraîner l'UE à lui verser de l'argent pour l'hébergement de Syriens, parmi lesquels probablement des djihadistes prêts à se faire exploser. Laisser Fil lion s engleur dans un conflit qu'il ne peur comprendre, et il n'est certainement pas le seul. Quel gâchis cette géopolitique où les états mentent et où les individus trinquent.

Marianne ARNAUD a dit…

Cher monsieur Benillouche,

A noter aussi la tolérance de l'UE face aux atteintes à la liberté d'expression en Turquie, pour obtenir une aide dans le règlement de la crise des migrants.
Cette attitude de l'UE ne va pas sans alarmer de nombreux intellectuels turcs, dont les deux dirigeants du quotidien que vous citez, et qui ont été inculpés et écroués à Istambul pour "espionnage" suite à l'article sur la livraison d'armes aux rebelles syriens.

Très cordialement.