LES FRÈRES MUSULMANS DE
MOUBARAK À AL-SISSI
Par Jean CORCOS
Chérif Amir |
Ayman el Zawahiri |
Le livre évoque le long règne de 30 ans de
Hosni Moubarak. Son attitude vis à vis des islamistes militants a été ambiguë.
D'un côté, il a mis fin au laxisme de Sadate en faisant briser par sa police
les groupes armés. D'un autre côté, il raconte comment il a fait libérer des
responsables de l'assassinat de son prédécesseur, comme le docteur Ayman el Zawahiri
qui devait succéder à Ben Laden. Le livre révèle surtout qu'il a favorisé le
départ en Afghanistan de nombreux djihadistes égyptiens, en plein accord à
l'époque aussi bien avec l'Arabie Saoudite qu'avec les Etats-Unis, et cela pour
contrer à l’époque les Soviétiques. Là-dessus, l'URSS perd cette guerre, et les
djihadistes reviennent en Égypte au début des années 90 ; que s'est-il
alors passé ? La stratégie de Moubarak a mal tourné, la réconciliation avec eux
n'a pas marché et de grands attentats se sont produits du fait des «revenus».
C’est alors que la situation économique
empire et que de larges couches de la population sont mécontentes, en particulier
les Coptes. Arrive la révolution qui a renversé Hosni Moubarak en février 2011.
Dans le récit, on a l'impression que tout le monde a été surpris par ce qui
arrivé, à partir du moment où la foule occupe la place Tahrir le 25 janvier ; en
tout cas - et je l'ai apprécié - Chérif Amir ne donne pas dans les «théories
du complot» en disant que tout était écrit au départ. Moubarak, les jeunes
et les démocrates qui se sont révoltés, l'armée qui a disparu du paysage
pendant un moment pour réapparaître avec le Conseil présidé par le maréchal
Tantaoui, tous ont été pris de cours.
Comment les Frères Musulmans, qui
n'étaient pas à l'origine de la révolution, ont-ils pris le train en marche ? Mon
invité a rappelé que ce sont des «jeunes bourgeois», voulant vivre à
l'occidentale, qui ont déclenché le mouvement. Les Frères Musulmans ne sont pas
sortis tout de suite, mais le 28 janvier, ils sont passés à l'action, de façon
violente : attaques à l'arme lourde des commissariats, des prisons ce qui
permet de libérer des détenus du Hamas comme du Hezbollah, et cela avec la
participation de terroristes venus de Gaza. Et c'est ainsi, en particulier, que
le futur Président Morsi fut libéré. Et l'ambassadrice américaine au Caire a
donné son feu vert à l'irruption de la Confrérie dans le déroulement des
évènements, et cela dès les premières semaines.
Salafistes égyptiens |
Dans le chapitre VIII, Chérif Amir
évoque, très rapidement, une autre force islamiste qui est alors apparue dans
le paysage, celle des Salafistes. Ils sont le deuxième parti au Parlement lors
des premières élections libres. Ils semblent alliés des Frères Musulmans, mais
au moment de la deuxième révolution de l'été 2013 ils vont les laisser tomber.
Il ne dit rien, d'ailleurs, sur leur statut dans l'Égypte d'aujourd'hui. D'un
côté, ils sont soutenus par l'Arabie Saoudite, qui financièrement a puissamment
aidé l'Égypte après le renversement des Frères Musulmans, en raison de sa
rivalité directe avec le Qatar, qui lui est devenu la base arrière des Ikhwan
; mais d'un autre côté, les Salafisme est considéré par les services de police
occidentaux comme menant plus rapidement
au djihad que l'appartenance aux Frères Musulmans.
Pour Chérif Amir, dans le contexte
égyptien, les Salafistes sont moins éduqués, moins organisés que la branche
rivale : ainsi, ils ont fait la preuve de leur incompétence politique après
avoir été élus au Parlement. Ils sont moins habiles que les Ikhwan, mais
ils ont surtout fait le choix du terrorisme, sur les terrains extérieurs du
"Djihad" en particulier en Syrie.
L’ouvrage raconte en une vingtaine de
pages, comment, après à peine un an de
pouvoir les Frères Musulmans vont tout perdre, puisqu'il y aura une seconde
révolution avec le mouvement Tamarod, la pétition signée par des
dizaines de millions de citoyens et, au final, après une attitude prudente de
l'armée, la décision du maréchal El Sissi de réunir des personnalités de la
société civile pour déposer le gouvernement et le président islamiste. Comment
expliquer ce retournement de l'opinion, quelle raison a dominé : est-ce que
c'était la déroute économique du pays, est-ce que c'était l'insécurité en
particulier dans le Sinaï, ou alors la peur de voir s'installer une dictature
des Frères Musulmans ? Chérif Amir a dit à notre émission que la popularité des
Frères Musulmans était un mythe, entretenu par tous, y compris par Moubarak,
pour faire peur. Ils sont arrivés au pouvoir sans aucune formation, et sans
aucun projet économique : et la répression ne pouvait suffire à les maintenir
en poste.
Chafik et Morsi |
À propos de la légalité de l'élection de
Mohamed Morsi, Chérif Amir remet en cause sa victoire : pour lui, le challenger
Ahmed Chafik - officiellement battu par un écart de voix de quelques pour cent
- aurait gagné ces premières présidentielles libres : nous n'avons pas eu le
temps de discuter en détails de cette analyse, il faut donc se rapporter à son
ouvrage pour être convaincu ou non par son argumentation. A noter que mon
invité a beaucoup insisté sur le rôle néfaste de l'ambassadrice américaine Anne
Patterson, qui a exercé le maximum de pression pour que les Frères Musulmans
gagnent ces élections en juin 2012, après avoir remporté les législatives.
Supporter du maréchal El Sissi, il a
insisté sur le fait que sa prise du pouvoir n'était pas le résultat d'un coup
d'État militaire, mais une réponse à un appel du peuple. Pas de réponse, non
plus, à la question de la condamnation à mort de Mohamed Morsi, qui est sévèrement
contestée par les diplomaties occidentales. Reste aussi que l'on n'arrive pas à
comprendre ce soutien américain aux Islamistes, alors même que ce qui avait
motivé leur complicité dans les années précédentes - la peur du communisme -
n'existait plus.
Attaque au Sinaï |
Le livre de
Chérif Amir a été achevé en juillet 2014, et depuis, il s'est passé beaucoup d'événements
importants concernant l'Égypte. D'abord sur le plan géopolitique, on a
l'impression que le nouveau président a encouragé de nouvelles alliances ;
il y a eu la vente d'avions Rafale par la France, il y a eu la visite
triomphale de Vladimir Poutine en février dernier et de gros contrats avec les
Russes. Seulement il y a eu aussi l'avancée inquiétante du Daesh en Syrie et en
Irak, avec en réaction la coalition formée par la plupart des États arabes pour
les combattre ; et puis, à la frontière occidentale de l'Égypte, dans une Libye
qui est en pleine décomposition, on a eu l'horrible exécution de 21 citoyens
égyptiens coptes par les Djihadistes locaux. Comment le président El-Sissi
va-t-il gérer cela ; est-ce qu'il va redonner à l'Égypte un rôle régional,
ou au contraire favoriser un repli nationaliste du pays?
Pour Chérif
Amir, le nouveau président doit redonner à l'Égypte un rôle régional et même
mondial, car tout se joue en ce moment au Moyen-Orient. Le pays intervient
militairement même en dehors de ses frontières, comme en Libye. Pour lui aussi,
tous les pays de la région - y compris Israël - sont maintenant menacés par le
repli américain. Il faut dire, aussi, que cette émission a été enregistrée
plusieurs semaines avant les combats très durs du 1er juillet dans le Sinaï, et
le pouvoir égyptien est maintenant obligé de réagir de manière très forte
contre l'Etat islamique qui le menace à ses portes.
Le président Abdel
Fatah El Sissi a prononcé le 28 décembre 2014 un important discours à
l’université théologique Al Azhar, au Caire. On peut en écouter un extrait sur YouTube,
et c'est impressionnant parce qu'il a exhorté les responsables musulmans à une
véritable révolution religieuse pour éradiquer de l’Islam l’idéologie mortifère
véhiculée par Daesh. Chérif Amir espère que ceux qui sont à la tête d'Al Azhar,
aujourd'hui sauront s'engager pour contrer l'idéologie des Frères Musulmans qui
s'étaient infiltrés en profondeur. Le Maréchal El Sissi, lui-même croyant et
pratiquant, a été le premier président égyptien à se rendre dans une cathédrale
copte pour Noël. Il s'engage courageusement et son engagement est important :
il est en effet urgent de contextualiser la lecture du Coran, parce que - et
l'ouvrage le montre bien, Sayed Qutb, idéologue principal des Frères Musulmans,
avait fait une lecture redoutable de ses versets dans le sens d'un appel
progressif au Djihad, de la Sourate IV qui est pacifiste à la Sourate IX qui
ordonne de faire la Guerre Sainte.
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