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samedi 28 août 2021

L'âme des peuples par Daniel HOROWITZ

 


L’ÂME DES PEUPLES


Par Daniel HOROWITZ

Grande synagogue d'Anvers

        Bien que né en Suisse eu égard aux aléas de la Seconde Guerre Mondiale, ma jeunesse et l’essentiel de ma vie adulte se sont déroulés en Belgique, à Anvers. Mes parents étaient polonais, mais s’exprimaient en yiddish. J’ai été scolarisé en flamand, mais la communauté juive était francophone. Je ne me suis jamais identifié comme Suisse, Polonais ou Flamand, mais comme Juif. Il n’empêche que je me considérais comme citoyen belge à part entière, et que je ne voyais aucune incompatibilité entre cette citoyenneté et mon appartenance au peuple juif.



Synagogue d'Anvers


Il y avait parmi la population un antijudaïsme endémique, mais l’État lui-même n’était pas antisémite, et était même plutôt bienveillant envers la communauté juive. Celle-ci en tous cas était reconnaissante de vivre dans un État de droit, bien que constituant un peuple dans le peuple. En effet, il n’est pas anodin de relever que les cérémonies officielles des institutions juives d’Anvers se clôturaient non seulement par l’hymne national belge, mais aussi par l’hymne national israélien.

L’école juive que je fréquentais appliquait le programme d’État avec rigueur, mais nous avions en plus de cela deux heures quotidiennes d’hébreu, de judaïsme et de sionisme. Mais, bizarrement, personne parmi les parents d’élèves ou les élèves eux-mêmes ne trouva jamais anormal que l’on nous enseignât que nos ancêtres étaient des Gaulois. Nous étions même plutôt fiers d’apprendre que Jules César considérait que «de tous les peuples de la Gaule, les Belges sont les plus braves» [1].

Je n’ai jamais été politisé, mais au fur et à mesure de la construction de l’Europe, je trouvais qu’en plus d’être juif il était légitime que je m’identifie aussi comme Européen.  Lors de la Seconde Guerre Mondiale, Hannah Arendt elle-même avait promu l’idée d’une nation juive à intégrer au sein d’une future Europe Fédérale qu’elle appelait de ses vœux. Elle pensait qu’après la Guerre «les Juifs devraient y être reconnus en tant que nation, et représentés en tant que tels au Parlement européen» [2].



Je savais pour ma part que l’Europe n’était pas une nation, mais j’étais en faveur d’une intégration des peuples qui la constituaient, qui finiraient par former une entité qui s’appellerait les «Etats-Unis d’Europe», à l’image des Etats-Unis d’Amérique. En plus des atouts économiques qu’un tel projet ne manquerait pas de susciter, je pensais que l’interdépendance de peuples qui s’étaient combattus pendant si longtemps rendrait désormais la guerre impensable.

Je considérais les eurosceptiques comme réactionnaires et archaïques, et j’ai été choqué le jour où les Britanniques sont sortis de l’Union Européenne. J’y voyais un craquement dans cette Europe occidentale pacifiée et prospère. Je pensais par ailleurs qu’une Europe politique était compatible avec des particularismes régionaux, et qu’il n’y avait pas de mal à ce que ces nations du vieux continent cèdent une part de leur souveraineté à un pouvoir central. Je savais que le chemin serait long, mais je pensais que cela correspondait au bien commun.

Mais à l’âge de la retraite, après avoir fait mon Alyah, ma perspective concernant l’avenir de l’Europe a changé.  Quand j’ai pris conscience qu’en Israël ma citoyenneté et mon identité se confondaient, j’ai compris du même coup ceux qui voient dans l’Union Européenne un piège pour l’âme des peuples qui la constituent. Par association d’idées, j’espérais que le jour arriverait où Israël aurait des relations apaisées avec ses voisins, mais pas au point de se fondre en une entité supranationale qui s’appellerait les «Etats-Unis du Moyen-Orient».

        J’ai le sentiment que les peuples peuvent vivre en bonne entente les uns à côté des autres, mais n’ont pas vocation à vivre les uns avec les autres.

[1] « Guerre des Gaules », Jules César

[2] « Hannah Arendt.  Écrits juifs » Fayard, 2011.

 

3 commentaires:

Marianne ARNAUD a dit…



L’Europe a perdu son âme en 2004, le jour où le président Chirac exigea, et obtint, que la mention aux racines chrétiennes de l’Europe fussent retirées du projet de préambule de la Constitution européenne.

Dès lors, l’UE - ce non-état - put accoucher de l’homme postmoderne qui n’a ni feu ni lieu, ni souvenir ni histoire.

Anonyme a dit…

Voila un témoignage plein de bon sens qui mérite la plus large diffusion.

Je crois que certains esprits chagrins n’apprécieront pas, mais on ne peut pas plaire à tout le monde.

Véronique Allouche a dit…

« J’ai le sentiment que les peuples peuvent vivre en bonne entente les uns à côté des autres, mais n’ont pas vocation à vivre les uns avec les autres. ».
La grande réussite de l’Europe a été le rapprochement des peuples et par la même la fin des guerres qui fit éclore son économie. Cette réussite est due au fait que les peuples aujourd’hui vivent les uns avec les autres.
Que fait Israel à se trouver des partenaires dans le monde arabe si ce n’est former un bloc unissant des forces communes afin de mettre un terme aux guerres successives.Le point de départ étant l’économie, source d’échanges entre les peuples. Dans le même ordre d’idée après une guerre fratricide entre nordistes et sudistes l’Amérique comprit au fil du temps que seul l’unification de ces états pouvait permettre la fin des hostilités et l’essor de son économie.
L’enfermement n’a jamais été source d’épanouissement.