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samedi 29 mai 2021

Hamas-Israël, l'Histoire globale, le jour d'après 1/3 par Jean CORCOS

 


HAMAS-ISRAËL, L’HISTOIRE GLOBALE, LE JOUR D’APRÈS


1/3

Par Jean CORCOS



          Je me suis refusé de participer au bruit et à la fureur ayant accompagné sur Internet le vacarme effrayant subi en Israël comme à Gaza pendant 11 journées, du 10 au 21 mai. Je respecte la déontologie de chacun, et le désir pour certains de manifester en temps réel notre solidarité avec le peuple israélien, victime sans préavis et de manière aveugle des milliers de roquettes du Hamas. Il y avait aussi le désir de commenter l’actualité en ligne, comme l’ont fait plusieurs collaborateurs de ce site. Prendre du recul restant ma méthode, j’ai décidé de compiler assez d’informations pour vous proposer, après coup et en prenant le temps nécessaire, trois articles, «the big picture on the day after» comme on le dit dans la presse anglo-saxonne.


Accords d'Abraham


On va commencer par un panorama international, sans noircir ou enjoliver le tableau : comment ont réagi les nations avec lesquelles Israël a noué ou renoué des relations ? Qu’en est-il des positions des pays européens ? Quid du grand allié américain ? Voyons les faits réels, sans les biais rencontrés régulièrement dans trop de médias, nationaux ou communautaires.

Monde arabe, d’abord. Le principal et grand succès diplomatique de Benjamin Netanyahou a été l’année dernière les «accords d’Abraham» obtenus avec l’implication directe de Donald Trump : Émirats Arabes Unis, Bahreïn, Maroc et Soudan ont noué des relations officielles, leurs légations étant ouvertes à Tel Aviv. Une guerre entre Israël et le Hamas, avec son triste lot de victimes civiles et de destructions dans la bande de Gaza, malgré des frappes beaucoup plus ciblées que lors des épisodes précédents, était une occasion rêvée de fragiliser ces relations.

Ismail Haniyeh, nouveau chef politique du Hamas et ancien premier ministre dans la bande de Gaza, a dit au Qatar, maison mère des Frères Musulmans : «Cette bataille a détruit le projet de « coexistence » avec l’occupation israélienne et le projet de « normalisation » avec Israël» [1]. Il a eu à la fois partiellement raison et tout à fait tort. Raison, parce que la question palestinienne sortait en quelque chose du paysage lorsque ces accords furent signés en 2020 ; l’organisation terroriste l’a remise en tête de gondole avec sa brutalité propre, mais assez habilement. Mais si on reprend son expression «coexistence avec l’occupation israélienne», on peut aussi proposer deux niveaux de lecture : celle de la Charte du Hamas, qui considère qu’Israël est une entité illégitime et qu’il faut libérer la Palestine «de la mer au Jourdain» ; ou celle de la communauté internationale, considérant que les Territoires au-delà des lignes de 1967 sont «occupés», y compris Jérusalem Est.

Sinwar et Haniyeh


Cela était et reste la position des quatre États arabes ayant normalisé leurs relations ; comme de l’Egypte ou de la Jordanie ayant signé des accords de Paix depuis plusieurs décennies. Ce ne sont donc pas les milliers de roquettes lancées vers Israël qui ont fait bouger leurs positions. Quant à la normalisation, l’échec du Hamas est total : aucun n’a rapatrié son personnel diplomatique. Pour rappel, très peu de temps après le déclanchement surprise de la deuxième Intifada à l’automne 2000, la Tunisie et le Maroc rompaient leurs relations «low profile» de l’époque avec Israël, et les ambassadeurs égyptien et jordanien étaient rapatriés pour plusieurs années.

Pour être tout à fait complet, voici plusieurs éléments qui n’ont rien eu de dramatique, mais dont il faut tenir compte : s’il n’y a eu quasiment pas de manifestations dans le Golfe, elles ont été massivement suivies en Jordanie ; au Maroc aussi, le pouvoir a hésité entre interdictions et autorisations de manifester, la mouvance islamiste trouvant là une occasion de montrer sa solidarité avec les Palestiniens - voir ce compte-rendu d’un média marocain [2] ; et enfin - et cela a été fort bien joué de la part du Hamas -, les affrontements de la police avec les manifestants sur le Mont du Temple, Esplanade des Mosquées, ont eu un écho médiatique dans tout le monde musulman, et pas seulement dans les pays les plus hostiles.

Traversons la Méditerranée pour aller en Europe. Sa réaction a été à la fois diverse, finalement plutôt solidaire d’Israël, par endroit mal assurée, et dans tous les cas loin de la caricature simpliste que l’on lit dans la blogosphère juive francophone passée dans son écrasante majorité «à Droite toute», et donc en hostilité résolue à tout ce qui ne lui ressemble pas.

L'Autriche hisse le drapeau israélien


Du côté des soutiens clairs, surtout les premiers jours lorsqu’il était évident que ce round guerrier était le fait du Hamas et que presque tout Israël était menacé par ses roquettes – avec l’épisode dramatique des quelques 150 tirs groupés vers la métropole de Tel Aviv dans la soirée du mardi 11 mai. Il restera des photos jamais vues sur le continent, et des déclarations quasiment oubliées depuis la Guerre des Six-Jours.  À Vienne, le jeune chancelier Sebastian Kurz fit hisser sur le bâtiment de son gouvernement le drapeau israélien, ainsi que sur le toit du ministère des affaires étrangères [3] ; mêmes drapeaux en solidarité sur les bâtiments gouvernementaux de la petite Slovénie [4] ; peut-être encore plus beau car trans partis politiques, la petite communauté juive de Rome parvint à rassembler au cœur de la capitale italienne quasiment toutes les sensibilités politiques du pays, avec aussi bien Matteo Salvini de la Lega très à Droite que le Parti Démocrate de Centre Gauche, entre autres ; on peut retrouver les photos de cet évènement en allant sur le compte twitter @romaebraica à la date du 12 mai ; enfin la jeune et nouvelle Maire de Madrid, Isabel Diaz Ayuso, triomphalement élue au début du mois, devait s’afficher en compagnie de l’ambassadeur d’Israël le 20 mai [5]. Comme à chaque occasion où Israël est sous le feu de ses ennemis, l’Allemagne a témoigné de sa solidarité, envoyant même son ministre des Affaires étrangères en compagnie du ceux de deux autres pays de l’U.E visiter des sites touchés par les roquettes.

Du côté du moins chaleureux – à ne pas confondre avec de l’hostilité – la position française. Le communiqué de l’Elysée condamnant fermement les tirs du Hamas n’a été publié que trois jours après le début des hostilités. Le gouvernement a cependant pris des risques – que n’avaient jamais pris ses prédécesseurs – en interdisant à Paris les rassemblements «pour Gaza», en fait de soutien à la milice islamiste, le ministre de l’Intérieur Gerald Darmanin disant que des débordements antisémites étaient craints, comme en 2009 et 2014. Une position désapprouvée par la Gauche, à l’exception notable d’Anne Hidalgo disant avoir les mêmes craintes. Remarquons aussi que ces manifestations n’ont réuni le 15 mai que 22.000 personnes dans toute la France, ce qui en considérant le pourcentage de populations d’origine arabo-musulmane dans les grandes métropoles n’était vraiment pas un succès.



Il serait trop long de lister et analyser tout ce qu’ont pu dire les différents responsables de partis en France, mai un article publié sur le site RTL.fr [6] donne une analyse assez fine de leurs motivations : «Dans les réactions politiques françaises beaucoup veulent calquer en quelque sorte leur grille de lecture, leurs obsessions, sur des évènements lointains. Chacun veut faire passer un message politique avec une finalité d’abord franco-française. Il y a de mauvaises motivations, des postures, des manipulations». 

Voici donc pour l’Europe : et on est donc très loin d’une «Union Européenne dhimmi  islamisée», vendue, pour reprendre le langage vulgaire et inepte devenu la norme pour trop de commentaires dans ma communauté.

Finissons par les Etats-Unis. Les mêmes évoqués juste avant n’ont pas fini de porter le deuil de l’administration Trump, tout le monde attendait donc celle de Joe Biden au tournant. Un président américain dont les priorités restent plus nationales qu’internationales – la relance après l’épidémie du COVID, avec ensuite hors des USA les difficiles négociations avec l’Iran, et le bras de fer avec la Chine avec laquelle il se prépare à être encore plus dur sur le fond que son prédécesseur. Preuve de la priorité seconde du dossier israélo palestinien, le nouvel ambassadeur américain en Israël n’était pas encore en poste lorsque la première volée de roquettes a été tirée par le Hamas. Que dire de son attitude pendant la crise ? Le soutien américain a été clair et constant, d’un bout à l’autre.

Antony Blinken


De manière affichée, dans les déclarations de la Maison Blanche comme du Secrétaire d’État Antony Blinken. En coulisses, avec le véto mis à une série de résolutions déposées au Conseil de Sécurité pour imposer un cesser le feu. Clairement, et après les succès à la fois politique et psychologique du Hamas des deux premiers jours, un arrêt prématuré de cette «mini guerre» aurait laissé une image «d’échec et mat» subi par Israël. Le bilan militaire exact mérite un développement à part, mais il est clair que les coups subis par l’arsenal de la milice terroriste n’ont pu que croitre au fil des jours, et donc que ce soutien américain a été indispensable, même si au fil des jours une impatience se faisait sentir «en creux», et que le gouvernement israélien a dû accepter la fin des hostilités dans la soirée du 21 mai.

Est-ce à dire que le ciel des relations israélo-américaine est sans aucun nuage ? Là encore, il faut éviter tout simplisme. La nouvelle administration a confirmé la nécessité d’une solution «à deux États» du conflit israélo-palestinien, ce qui va au rebours non seulement de la politique de Netanyahou depuis douze ans, mais aussi de toute majorité à la Knesset vu l’état de l’opinion publique dans le pays. On est passé près d’un incident sérieux avec la destruction de la tour de Gaza hébergeant à la fois les locaux d’Al-Jazeera et de l’Associated Press – Blinken ayant demandé et obtenu des explications «classifiées» pour cette affaire. Et enfin, le parti démocrate, constant dans sa grande majorité dans le soutien à Israël, a maintenant une aile gauche hostile, et qui risque de croitre au fil des années : comme l’écrit David Horovitz dans le Times of Israël [7] dans un article terriblement lucide : «Mais Biden lutte contre une vague croissante de critiques d’Israël au sein du Parti démocrate ; dans 5, 10 ou 15 ans, il est loin d’être fantaisiste de craindre et de penser qu’une présidence démocrate américaine soit nettement moins fiable».

(1)    : Déclaration d'Ismail Haniye

           (2)    : Manifestations au Maroc

           (3)    : Solidarité en Autriche

          (4)    : Solidarité en Slovénie

         (5)    : Solidarité en Espagne

         (6)    : Communiqué de l'Elysée

         (7)    : Editorial de David Horovitz

3 commentaires:

Pierre LEKEUX a dit…

Très bon article. Opinion mesurée mais très claire. Objectivité au rendez-vous et bien documentée. Excellent état des lieux de l'état d'esprit des chancelleries européennes.

Véronique ALLOUCHE a dit…

Un texte tempéré, réfléchi, sans animosité, sans propagande ostentatoire. Tellement rare sur les sites communautaires qu’il est important de vous remercier. J’attends la suite avec impatience...

Anonyme a dit…

Bonjour,

Article intéressant car raisonnable dans le récit des évènements.
C'est toujours un plaisir de lire ce blog.

Cordialement,