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vendredi 21 mai 2021

Les accords d'Abraham entre parenthèses

 


LES ACCORDS D’ABRAHAM ENTRE PARENTHÈSES


Par Jacques BENILLOUCHE

Copyright © Temps et Contretemps

 


            

          Il est difficile pour les pays arabes de rester neutres à la fois quand des missiles tombent sur Israël et quand Tsahal bombarde Gaza. Ils sont dans une situation inconfortable ; on le serait à moins. Mais pour eux, la solidarité arabe n’est pas négociable. En conséquence, un refroidissement des relations bilatérales risque d’être la conséquence des troubles en Cisjordanie et à Gaza. Le temps et les moyens mis par Donald Trump pour convaincre certains pays arabes de normaliser leurs relations avec Israël peuvent s’avérer sans effet. Les accords d'Abraham, deux traités de paix signés entre Israël et les Émirats arabes unis d'une part et entre Israël et Bahreïn d'autre part, pourraient souffrir de la situation avec pour conséquence des ambassades qui tardent à s’installer en Israël en attendant des jours meilleurs. Le choix de cette période dramatique n'est pas propice pour inaugurer une chancellerie en Israël.





Les pays arabes qui ont normalisé leurs relations se trouvent dans l’embarras et risquent de modifier leur stratégie diplomatique au détriment d’Israël. Plusieurs mois de tergiversations se dissipent dans les fumées des missiles du Hamas. Les diplomaties arabes n’ont pas anticipé l’embrasement au Proche-Orient. Les Émirats arabes unis, Bahreïn le Soudan et le Maroc ont subi de plein fouet un choc car ils ne peuvent pas être insensibles aux troubles de la mosquée Al-Aqsa, troisième lieu saint de l’islam. D’ailleurs, les Émirats et Bahreïn ne se sont pas privés de condamner l’action des forces de sécurité israéliennes, le 7 mai, contre "des fidèles qui priaient pour le Ramadan".

Le roi Mohammed VI du Maroc a considéré «ces violations comme inadmissibles et alimentant les tensions». C’était le minimum qu’il pouvait dire sans entrainer une rupture. Mais un correspondant local assure que tout est calme au Maroc ; la situation est sous contrôle et les rares manifestations de rues restent pacifiques sans commune mesure avec celles de Paris. Certes le pouvoir veille mais la contestation, s’il y en une, ne se fait pas dans la rue mais dans les réseaux sociaux en raison du verrouillage de l’espace politique.  

Manifestation à Rabat


Paradoxalement en Tunisie, selon un témoin digne de foi, le calme absolu règne dans les rues contrairement aux prises de position anti-israéliennes antérieures du président Saïed. Même le parti Ennahda a fait une déclaration modérée, de principe, sans violence et sans menace. Notre témoin explique ce positionnement par la situation économique dramatique qui pousse les dirigeants à faire profil bas pour ne pas décourager les investisseurs étrangers et surtout pour ne pas que les manifestants se tournent contre le régime. Les Tunisiens, par la voix du chef de la diplomatie tunisienne, Othman Jerandi, ont choisi plutôt d’intensifier les efforts diplomatiques. Le président du Parlement tunisien, l’islamiste Rached Ghannouchi s’est de son côté entretenu avec Ismaïl Haniyeh, chef du bureau politique du Hamas et avec Khaled Mechaal chef du bureau politique pour l'étranger. Il s’est borné au minimum diplomatique en rappelant son engagement historique envers la cause palestinienne. Pas de déclaration belliqueuse; pas de menaces; pas d'appel à la manifestation. 

Othman Jerandi


 L’Arabie saoudite, qui hésite encore à normaliser ses relations, pourra difficilement se rapprocher immédiatement de l’État hébreu en raison de «la stratégie d’Israël qui vise à évincer des dizaines de Palestiniens de leur foyer» faisant ainsi allusion au projet d’expulsion de familles palestiniennes du quartier de Cheikh Jarrah à Jérusalem-Est, qui a déclenché la flambée des violences. Le minimum diplomatique a été effectué par les Saoudiens sans commune mesure avec la violence des propos de l’Iran ou de l’ancien allié turc Erdogan qui vise le leadership du monde arabe sunnite et qui fera «tout ce qu'il peut pour mobiliser le monde, notamment musulman, pour mettre fin au terrorisme et à l'occupation israélienne». La Turquie et d’ailleurs l’Iran se ruent à présent pour prendre fait et cause pour la question palestinienne. Toutefois, le Soudan, qui a reçu un (grand) bol d'air financier, a indiqué que la normalisation n'avait "rien à voir avec le droit des Palestiniens à créer leur propre Etat"

Erdogan en Iran


Le président Abbas peut remercier le Hamas d’avoir ravivé la cause palestinienne qui avait été mise aux oubliettes de l’Histoire. Les Palestiniens peuvent aussi remercier Netanyahou de la bouffée d’oxygène qui remet au premier plan leur cause vis-à-vis des pays du Golfe qui sont sensibles aux questions religieuses qui touchent Jérusalem.



Certes des manifestations dans quelques pays occidentaux tendent à rappeler que la question palestinienne n'est toujours pas réglée. Mais cette mobilisation fragilise le processus de rapprochement arabe avec Israël qui sera bloqué tant que la situation sécuritaire ne sera pas réglée. Israël n’est pas responsable quand les accords d’Abraham ont été signés en ne prenant pas en considération la question palestinienne. Les troubles de Jérusalem vont réactiver le sujet et il est fort probable que la Ligue Arabe sortira de sa léthargie pour recommander à nouveau la création d’un État palestinien avec pour capitale Jérusalem-Est. La division au sein de la Ligue ne permet pas de faire mieux.

Il est à craindre que la nouvelle situation pousse les Saoudiens à freiner leur ardeur de normalisation et les pays engagés dans la normalisation à surseoir à l’envoi d’un ambassadeur en Israël. Il se pourrait même qu’ils deviennent des cibles de la part d’organisations terroristes dans le cadre d’actions de représailles. En Israël, on est convaincu que rien ne viendra rompre le processus de rapprochement surtout quand l’Arabie Saoudite est gardienne des Lieux Saints de l’islam. Seul le très spécial prince héritier saoudien, Mohammed Ben Salmane, pourrait renoncer à sa lune de miel avec le gouvernement de Netanyahou qui axe sa politique sur une détente tacite avec le royaume. Le ministre des Affaires étrangères du Royaume appelle la communauté mondiale à agir de toute urgence pour mettre fin aux attaques israéliennes contre Gaza.

Zayed Rashid Al Zayani


Bahreïn espère que le conflit israélo-palestinien sera «traité de manière juste et équitable». Le ministre du Tourisme de l'État du Golfe, Zayed Rashid Al Zayani, s'exprimait lors d'un rassemblement de professionnels régionaux et internationaux du voyage et du tourisme organisé par Dubaï. Mais à noter une première conséquence des évènements de Gaza, la ministre israélienne du Tourisme, Orit Farkash-Hacohen, qui devait participer à la conférence, a été écartée du programme à la dernière minute.

De ces péripéties, le Hamas sort vainqueur non pas contre Israël mais contre l’Autorité palestinienne qui se trouve débordée alors que les islamistes ont noyauté toute la Cisjordanie. Si on lui laisse des libertés, le Hamas peut conquérir en peu de temps la Cisjordanie et peut-être imposer une réunification Hamas-Fatah propice à la création d’un État palestinien. Il faudra des mois pour que les nouveaux alliés arabes soient moins frileux mais les accords s'inscrivent dans la durée. Il était difficile de prévoir un tel cataclysme au sein des chancelleries arabes.



Depuis plusieurs mois, les pays arabes n’approuvaient pas la stratégie perdante de Mahmoud Abbas qui s’est opposé aux Américains et qui est resté insensible à toute avancée dans le conflit avec Israël. Il l’a payé cher puisqu’il n’a pas été associé aux accords de normalisation. Il a tout misé sur le départ de Donald Trump mais Joe Biden s’est certes montré plus malléable vis-à-vis des Palestiniens sans pour autant adopter un revirement total de la diplomatie américaine.

Seul un cessez-le-feu prévisible  avec Gaza pourrait rassurer les pays arabes.

1 commentaire:

Marianne ARNAUD a dit…

Cher monsieur Benillouche,

Les accords d'Abraham à peine signés, sont déjà mis entre parenthèses parce que pour les Arabes, "la solidarité arabe n'est pas négociable".
Et tout le reste en découle.
Mais n'était-il pas hasardeux de signer avec un groupe de pays arabes, alors que plusieurs groupes s'affrontent au Moyen-Orient, qui visiblement ne partagent pas les mêmes intérêts ?
Le raisonnement consistant à se rassurer parce qu'en cas de conflit, les dommages infligés par l'armée israélienne et son aviation, seraient sans commune mesure avec ceux qui seraient subis - donc protège de la guerre - ne trouve-t-il pas aujourd'hui ses limites ?
Ce sont des questions sans réponse, mais comme le dit la sagesse populaire : quand le vin est tiré, il faut le boire !

Très cordialement.