LE GÉNOCIDE ARMÉNIEN FUT UN PRÉLUDE AU GÉNOCIDE NAZI
Par Jacques BENILLOUCHE
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Joe Biden a décidé de reconnaître le génocide arménien, une première pour un président américain. Les Israéliens tergiversent encore car ils ne veulent pas rompre définitivement avec les Turcs malgré leur comportement anti-israélien, voire anti-occidental depuis plusieurs années. Netanyahou cherche à ménager Erdogan sans qu'il ait en retour un quelconque intérêt. Au contraire, le dictateur turc interprète cette attitude comme un aveu de faiblesse et continue à soutenir le Hamas par sympathie vis-à-vis des Frères musulmans dont il partage l'idéologie, avec l'espoir de devenir le leader du monde sunnite.
Le 24 avril 2021, des milliers d'Arméniens ont commémoré le génocide arménien. Les
pays occidentaux, et le Vatican en particulier, ont toujours fait preuve d’indulgence
à l’égard de la Turquie jusqu’à ignorer officiellement le génocide arménien. Les
relations apaisées avec le grand pays musulman d’Europe primaient sur la nécessaire
reconnaissance d’une réalité historique. Mais le pape, le 12 avril 2015, avait utilisé pour la première fois le
terme de génocide pour désigner le massacre des Arméniens entre 1915 et
1917. La réaction des Turcs, qui avaient qualifié ces propos de «partiaux
et inappropriés», a été immédiate avec le rappel de leur ambassadeur.
Nef de la basilique Saint-Pierre |
La déclaration du pape sur le massacre
des Arméniens il y a cent ans n’est pas fortuite mais réfléchie puisqu’elle a
été faite dans le cadre solennel de la basilique Saint-Pierre de Rome : «Au
siècle dernier, notre famille humaine a traversé trois tragédies massives et
sans précédent. La première, qui est largement considérée comme le premier
génocide du XXe siècle a frappé votre peuple arménien. Les deux autres ont été
ceux perpétrés par le nazisme et par le stalinisme. Et plus récemment d'autres
exterminations de masse, comme celles au Cambodge, au Rwanda, au Burundi, en
Bosnie». Mais la Turquie persiste à qualifier de guerre civile ayant fait seulement
entre 300 à 500.000 morts parmi les Arméniens ce que les historiens et une
vingtaine de pays dont la France ont reconnu comme un génocide qui a exterminé 1,5
million d’Arméniens.
Les
mots ont du poids et l’utilisation par le pape François d’un terme explicite a
été faite à bon escient à un moment imposé par les événements au Moyen-Orient. Aujourd’hui
les Kurdes représentent un peuple en danger, sous les coups des mêmes assassins
et le silence n’est plus de mise. Le même fantôme criminel propose ses services
pour décimer à nouveau le peuple kurde dans l’indifférence totale du monde
occidental.
Pour des raisons bassement politiques, la tragédie arménienne a été
occultée et le paradoxe veut qu’aujourd’hui, le peuple israélien, qui a subi la barbarie
nazie, persiste encore à refuser la réalité au nom de l’intérêt politique suprême
de l’État. Mais le génocide arménien a été une véritable répétition générale du génocide
nazi avec les Allemands comme conseillers et instigateurs des Turcs. Il est
utile d’en rappeler les prémices.
La
majorité des Arméniens vivaient dans l’Empire ottoman dans des régions
historiquement arméniennes mais d’importantes communautés étaient dispersées
sur tout le territoire, en particulier à Constantinople où le patriarche était
le représentant de la nation devant les autorités. En 1894 vivaient en Turquie trois
millions d’Arméniens et autant de Turcs. L’autre moitié de la population était
composée d’une véritable mosaïque de peuples (Kurdes, Grecs, Assyro-Chaldéens,
Lazes, Tcherkesses). En 1914, les Arméniens n’étaient plus que 2.250.000,
suite aux massacres, aux conversions forcées à l’islam et à l’exil.
Empire ottoman |
Dans l’Empire ottoman, les
Arméniens subissaient une discrimination officielle qui se traduisait par l’obligation
de payer plus d’impôts et par l’interdiction de porter des armes et de témoigner
devant les tribunaux. Dans leur grande majorité, les Arméniens étaient des
paysans pauvres qui devaient en plus subir les violences des nomades kurdes
armés venant régulièrement les rançonner. Avec la décadence de l’empire au XIXe
siècle, leur situation ne fit qu’empirer et la question arménienne a
émergé à la guerre russo-turque de 1877-1878.
Après la défaite de la Turquie, le traité de San Stefano, signé en mars 1878, accordait l’indépendance à la Serbie, au Monténégro, à la Roumanie et l’autonomie à la Bulgarie. Les Arméniens obtinrent, pour leur part, des promesses, non tenues, de réformes assurant leur protection. Ils n’en demandaient pas plus à l’époque. La Russie avait annexé une partie de l’Arménie turque et devait se retirer de l’autre partie.
Après la défaite de la Turquie, le traité de San Stefano, signé en mars 1878, accordait l’indépendance à la Serbie, au Monténégro, à la Roumanie et l’autonomie à la Bulgarie. Les Arméniens obtinrent, pour leur part, des promesses, non tenues, de réformes assurant leur protection. Ils n’en demandaient pas plus à l’époque. La Russie avait annexé une partie de l’Arménie turque et devait se retirer de l’autre partie.
Traité de San Stephano |
Mais l’Angleterre, ainsi que
l’Allemagne et l’Autriche, voyaient d’un très mauvais œil la future et
prévisible indépendance d'une Arménie et ont laissé faire. Des tribus kurdes
organisées et armées par le gouvernement répandaient plus que jamais la terreur
dans les provinces arméniennes, particulièrement les territoires d’où l’armée
russe s’était récemment retirée. En 1879, le Grand Vizir déclarait : «Nous,
Turcs et Anglais, non seulement nous méconnaissons le mot Arménie, mais encore
nous briserons la mâchoire de ceux qui prononceront ce nom. Nous
supprimerons donc et ferons disparaître à jamais le peuple arménien».
Devant cette menace claire, les
Arméniens s’organisèrent. Le parti Armenakan, créé à Van en plein cœur de
l’Arménie en 1885, a été la première organisation de combat. Deux autres partis, le Hentchak, créé en 1887
à Genève et le Dachnak, créé en 1890 à Tiflis, les deux d’idéologie révolutionnaire
marxiste, étaient plutôt partisans d’actions violentes et spectaculaires.
Commencent alors les actions contre les Kurdes et l’armée turque par les fédaïs
(combattants arméniens), dont le plus prestigieux d’entre eux fut Antranik
(1865-1927), originaire de Chabin-Karahissar (Arménie mineure) et vénéré par le
peuple arménien.
Combattants arméniens |
Face aux revendications
arméniennes, la riposte des autorités turques fut radicale. Trois régimes
(Abdul Hamid, les Jeunes-Turcs et Kemal Atatürk) ont, de 1894 à 1922, appliqué
de différentes façons le même plan d’extermination des Arméniens avec son point
culminant des années 1915-1917. Les réactions des Européens, bien que parfois
outragées, ne furent que verbales ce qui a permis au sultan Abdul Hamid de
mettre en application son plan d’extermination à grande échelle, à travers tout
l’empire.
sultan Abdul Hamid |
La méthode était toujours et
partout la même : vers midi, on sonne le clairon, c’est le signal des tueries. Préalablement
préparés, des soldats, des Kurdes, des Tcherkesses, des Tchétchènes et des
bandes de tueurs spécialement recrutés massacraient la population arménienne,
sans distinction d’âge et de sexe. Dans les quartiers ou villages
multinationaux, les maisons habitées par les Arméniens étaient préalablement marquées
à la craie par les indicateurs, les mêmes utilisés lors des massacres des
Arméniens d’Azerbaïdjan en 1988 et 1990. Aucune région ne fut épargnée. Même la
capitale, Constantinople, fut le théâtre de deux effroyables massacres. Les
Turcs, dans leur empressement, avaient ainsi commis l’erreur d’agir face aux
témoins oculaires des ambassades occidentales.
Johannes Lepsius |
Deux ans (1894-1896) de
massacres sans précédent transformèrent donc l’Arménie occidentale tout entière
en un vaste champ de ruines. Le missionnaire allemand Johannes Lepsius mena une
enquête minutieuse, au terme de laquelle il a décrit le bilan catastrophique :
2.493 villages pillés et détruits, 568 églises et 77 couvents pillés et
détruits, 646 villages convertis, 191 ecclésiastiques tués, 55 prêtres
convertis, 328 églises transformées en mosquées, 546.000 personnes souffrant du
dénuement le plus complet et de la famine. La réalité était plus épouvantable
encore.
Gouvernement des jeunes Turcs |
En 1908, les Jeunes Turcs
arrivèrent au pouvoir, apportant avec eux des promesses d’égalité et de
fraternité entre tous les peuples de l’empire. Mais leur métamorphose fut
fulgurante puisqu’ils devinrent de farouches nationalistes panturquistes. Dès
avril 1909 des massacres commencèrent en Cilicie. Ils se montrèrent les dignes héritiers du «sultan rouge». Il ne manquera rien à leur
panoplie des cruautés. Il y aura au total 30.000 morts dus aux hommes de l’ancien
régime du sultan, revenus un court moment au pouvoir, mais les vrais
responsables étaient bien les Jeunes Turcs. En 1913, les trois dirigeants de
l’Ittihat, Talaat, Enver et Djemal, établissent une dictature militaire en
programmant secrètement la solution finale. La guerre allait procurer aux
Jeunes Turcs les conditions idéales pour mettre en application leur plan
diabolique.
Le 29 octobre 1914, la Turquie
s’était alliée à l’Allemagne contre les Alliés. Le champ est désormais libre.
Dès janvier 1915, les 250.000 soldats arméniens de l’armée ottomane étaient
désarmés pour être affectés dans des «bataillons
de travail», prélude aux camps de concentration. À l’aube du 24
avril, date commémorative, le coup d’envoi du génocide est donné avec
l’arrestation à Constantinople de 650 intellectuels et notables arméniens. Dans
les jours suivants, ils seront en tout 2.000, dans la capitale, à être arrêtés,
déportés et assassinés. Dans tout l’Empire ottoman, c’est le même scénario : on
arrête puis on assassine partout les élites arméniennes. Le peuple arménien est
décapité. Les soldats arméniens affectés dans les «bataillons de travail»
seront assassinés par petits groupes, le plus souvent après avoir creusé eux-mêmes les tranchées qui leurs serviront de fosses communes. Les nazis n’avaient
rien inventé. Le peuple arménien fut non seulement décapité mais privé de ses
défenseurs. Il ne restait plus aux dirigeants de l’Ittihat qu’à achever le
génocide.
L’idée nouvelle et terriblement
efficace fut la déportation de toutes les populations civiles arméniennes vers
les déserts de Syrie pour des prétendues raisons de sécurité. La destination
réelle était la mort. D’après l’ambassadeur des États-Unis à Constantinople,
Henri Morgenthau, ainsi que d’après certains historiens, les Turcs n’auraient
jamais trouvé seuls cette idée. Ce seraient les Allemands qui auraient suggéré
cette nouvelle méthode.
Bronsart Von Schlöndorff |
D’ailleurs, pendant toute la guerre, la mission
militaire allemande était omniprésente en Turquie, tandis qu’un général
allemand, Bronsart Von Schlöndorff, était l’auteur d’un ordre de déportation avec une
recommandation spéciale de prendre des «mesures rigoureuses à l’égard des
Arméniens regroupés dans les bataillons de travail». Or «déportation et mesures
rigoureuses» étaient des euphémismes codés signifiant la mort. Quant au
commandant Wolfskehl, comte de Rauschenberg, chef d’État-major du gouverneur de
Syrie, il s’était distingué lors des massacres des populations de Moussa-Dagh
et d’Urfa. À la fin de 1915, à
l’exception de Constantinople et Smyrne,
toutes les populations civiles arméniennes de l’Empire ottoman avaient pris le
chemin mortel de la déportation vers un point final : Deir ez-Zor en Syrie sur les conseils allemands.
Le scénario suivi allait inspirer
les nazis. Les convois de déportation étaient formés par des regroupements de 1.000
à 3.000 personnes. Très rapidement, on sépare des convois les hommes de plus de
15 ans qui seront assassinés à l’arme blanche par des équipes de tueurs dans
des lieux prévus à l’avance. Parfois les convois sont massacrés sur place, à la
sortie des villages ou des villes, notamment dans les provinces orientales
isolées. Les autres, escortés de gendarmes, suivront la longue marche de la
mort vers le désert, à travers des chemins arides ou des sentiers de montagne,
privés d’eau et de nourriture, rapidement déshumanisés par les sévices, les
assassinats, les viols et les rapts de femmes et d’enfants perpétrés par les
Kurdes et les Tcherkesses. Les survivants, arrivés à Deir ez-Zor, seront
parqués dans des camps de concentration dans le désert et seront exterminés,
par petits groupes, par les tueurs de l’Organisation spéciale et les
Tchétchènes spécialement recrutés pour cette besogne. Beaucoup seront attachés
ensemble et brûlés vifs.
Deir ez-Zor |
À la fin de 1916, le bilan est
celui d’un génocide parfait, les deux tiers des Arméniens, environ 1,5 million
de personnes, de l’Empire ottoman sont exterminés. Tous les Arméniens des provinces
(vilayets) orientales, soit 1,2 million de personnes, d’après les statistiques
du patriarcat, ont disparu définitivement d’un territoire qui était le cœur
de l’Arménie historique depuis des millénaires. Seuls survivront encore les
Arméniens de Constantinople, de Smyrne, quelque 350.000 personnes qui ont
réussi à se réfugier en Arménie russe, quelques poignées de combattants
arméniens qui ont résisté et se sont cachés dans la montagne et des milliers
de femmes, de jeunes filles et d’enfants récupérés par des Turcs, des Kurdes et
des Arabes.
L’Arménie
occidentale était anéantie, mais les Turcs ne s’arrêtèrent pas là. Profitant de
la retraite de l’armée russe consécutive à la révolution de 1917, la Turquie
lança une offensive sur l’Arménie orientale russe. Elle fut arrêtée au dernier
moment par une fantastique mobilisation populaire le 24 mai 1918 à Sardarapat,
près d’Erevan. Le 28 mai, l’Arménie ou ce qu’il en restait, proclamait son
indépendance et devenait, après des siècles de dominations diverses, la
première République d’Arménie.
La capitulation, le 30 octobre
1918, de l’Empire ottoman, suscita de vastes espoirs chez les Arméniens survivants. Mais la Turquie vaincue ne fut
jamais démobilisée. Bientôt, face au danger bolchevique et afin d’y faire face,
les Alliés se montrèrent de plus en plus bienveillants envers la Turquie qui
allait bientôt renaître de ses cendres. À peine arrivé au pouvoir, Mustafa
Kemal Atatürk se donna comme priorité, la liquidation du reste de la présence
arménienne en Turquie. Avec l’appui bolchevique, il attaqua et écrasa dans un
bain de sang la République d’Arménie. Turcs et bolcheviques s’accordèrent sur
les frontières d’une Arménie réduite au minimum. Une bonne partie de l’Arménie
ex-russe était cédée à la Turquie ; le Karabakh et le Nakhitchevan aux Azéris.
Malgré la présence des Français,
les troupes d'Atatürk massacrèrent, en 1920, plus de 25.000 Arméniens à Aïntap,
Marach, Zeïtoun, Hadjin et ailleurs. Finalement, la France abandonna les
Arméniens à leur sort en 1921 et brada la Cilicie aux Turcs, ce qui provoqua
l’exode de tous les Arméniens de Cilicie vers la Syrie et le Liban. En 1922, à
Smyrne, les Arméniens furent massacrés pour la dernière fois en Turquie. Il
s’ensuivit une dernière et importante vague d’exode. Tous les Arméniens survivants revenus dans leurs foyers après l’armistice de 1918 furent
systématiquement chassés. Si le gros du travail du génocide avait été fait par
Abdul Hamid et les Jeunes Turcs, Kemal Atatürk l’a parachevé en s’appropriant,
en même temps, tous les biens nationaux et individuels des Arméniens. Depuis,
tous les gouvernements successifs de la République turque, fondée sur les
ruines de l’Arménie, ont toujours nié la culpabilité de la Turquie dans le
génocide des Arméniens.
Il était temps que le président Biden, après le pape François, reconnaissent ce génocide en
attendant qu’Israël en face autant, quitte à se brouiller définitivement avec ses anciens alliés turcs devenus de plus en plus agressifs et qui menacent de développer leurs relations avec l'Iran. Il est temps de mettre en garde la Turquie qui est en train de préparer, sous couvert du conflit syrien, l’extermination de Kurdes de Turquie.
2 commentaires:
merci Jacques de ce rappel historique
Cher monsieur Bénillouche,
Comment être insensible à ce vibrant hommage au peuple arménien qui ne fait que souligner la grande injustice qui leur est faite par ceux qui, plus de cent ans après, refusent encore de reconnaître que leurs pères ont été victimes d'un affreux génocide ?
Me permettrez-vous d'ajouter, qu'à partir des années 1920, les Arméniens fuyant les massacres, ont débarqué sur les quais de la Joliette au port de Marseille et sont remontés jusqu'à Lyon, laissant des communautés dans les principales villes de la vallée du Rhône où elles existent toujours.
L'histoire des Arméniens en France est très emblématique de ce qu'était cette assimilation à la fraçaise qui a vu les Arméniens faire des réussites incroyables dans nombre de domaines et jusqu'en politique.
Rappelons, pour mémoire, que lorsque le maire de Lyon, Gérard Collomb, a été faire le ministre de l'Intérieur, c'est Georges Képénékian, Français d'origine arménienne - chirugien-urologue des hôpitaux de Lyon - qui a été élu à la mairie de Lyon !
Et pour ceux qui voudraient en savoir plus sur les Arméniens de France :
http://www.acam-france.org/contacts/diaspora-france/rhone.htm
Très cordialement.
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