Israël veut intimider les savants iraniens

 

ISRAËL VEUT INTIMIDER LES SAVANTS IRANIENS

Par Jacques  BENILLOUCHE

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Obsèques de Mohsen Fahrizadeh-Mahabadi

          Les experts politiques tentent de mesurer les conséquences de l’élimination du savant iranien mais ils sont unanimes à penser qu’aucune guerre ne sera déclenchée à cet effet. Toutes les hypothèses sur la mort de Mohsen Fahrizadeh-Mahabadi ont été avancées, souvent farfelues, mais il faudra attendre longtemps avant que la réalité soit enfin dévoilée. Si Israël est le maitre d’œuvre, il ne révèlera pas son modus operandi pour des raisons sécuritaires évidentes. La «mitrailleuse robot» placée sur une camionnette au bord de l'autoroute et contrôlée à distance est digne du meilleur roman de science-fiction. Toutes ces hypothèses farfelues tendent à masquer les lacunes, voire la débâcle, des services de renseignements iraniens qui ont besoin d’une explication surnaturelle pour atténuer leur responsabilité.

            On sait aujourd’hui que le savant iranien était parfaitement protégé et qu’il avait été condamné à l’isolement et au secret car il dirigeait les projets d’enrichissement de l’uranium, la production d’explosifs à haut potentiel et surtout la conception d’ogives de missiles capables de transporter des matières fissiles. Il est impliqué depuis plus de vingt ans dans ces projets, ce qui faisait de lui l’expert le plus qualifié du régime iranien. Il avait été repéré en mai 2003 par le directeur adjoint du Mossad, Tamir Pardo, qui avait informé son chef, le célèbre Meir Dagan.  Le Mossad avait alors mis de grands moyens pour espionner le projet nucléaire Amad. Les meilleurs limiers israéliens avaient mis quatre mois pour découvrir les projets iraniens.

            Les solutions ne manquaient pas pour stopper le projet, mais toutes impossibles à réaliser sans conduire à la guerre. Le Mossad a donc préféré reprendre les vieilles recettes qui avaient réussi en Égypte, en 1963, dans le but de menacer les scientifiques allemands qui y travaillaient pour Nasser. Grace à une mission d’intimation réussie, les Allemands, terrorisés, avaient alors quitté l'Égypte pour sauver leur peau.

Mek Iran

            Tandis que sur le plan diplomatique international l’isolement de l’Iran était organisé, le Mossad était chargé de soutenir les minorités iraniennes actives. Les Kurdes, le groupe le plus organisé contre le régime, et les Moudjahidin El Kalkh (MEK), introduits au sein même de la population, ont été mobilisés pour organiser des missions de sabotage et d’assassinats ciblés des savants impliqués dans les projets nucléaires. De son côté, Israël avait planifié des attaques cybernétiques contre les installations nucléaires avec le fameux et destructif virus Stuxnet qui avait entrainé en 2009 l'arrêt et la destruction de toutes les centrifugeuses utilisées pour l'enrichissement d’uranium.

Michael Hayden

            Les Américains et la CIA avaient refusé d’être impliqués dans des opérations qu’ils jugeaient illégales bien que le directeur de la CIA de l'époque, Michael Hayden, ait admis que l'élimination des savants était le seul outil capable d’enrayer les ambitions nucléaires de l'Iran. Le Mossad, qui avait alors reçu du gouvernement israélien la mission de cibler les techniciens iraniens, réussit plusieurs opérations spectaculaires.

Le 14 janvier 2007, le physicien nucléaire Ardeshir Hosseinpour, professeur de physique et expert en électromagnétisme, est mort mystérieusement pendant son travail nucléaire à Ispahan, à priori d'un empoisonnement aux gaz radioactifs.

Massoud Alimohammed

Le 12 janvier 2010, le Dr Masoud Alimohammad, théoricien iranien des champs quantiques et physicien des particules élémentaires, professeur distingué de physique des particules élémentaires au département de physique de l'Université de Téhéran, a été tué devant son domicile à Téhéran, alors qu'il partait pour l'université. Une moto piégée avait explosé près de sa voiture. 

Shahriari

Le Dr Majid Shahriari, scientifique et ingénieur nucléaire, était spécialisé dans le transport de neutrons, phénomène qui est au cœur des réactions nucléaires en chaîne dans les réacteurs et les bombes. Il était également l'un des deux scientifiques iraniens du Centre international de la lumière synchrotron pour les applications des sciences expérimentales au Moyen-Orient, aux côtés de Masoud Alimohammad. Des assassins à moto avaient posé et fait exploser à distance, le 29 novembre 2010, une bombe C-4 sur la portière de sa voiture alors qu'il conduisait. Il a été tué sur le coup. Son collègue scientifique nucléaire Fereydoon Abbasi, professeur à l'Université Shahid Beheshti, a été grièvement blessé.

En juillet 2011, le Dr Darioush Rezainejad, a été abattu de cinq balles par des hommes armés à moto devant son domicile alors qu'il était avec sa femme qui fut blessée. L'attaque a été décrite par Der Spiegel comme «la première opération publique du nouveau chef du Mossad Tamir Pardo». Âgé de 35 ans, il était professeur de physique dont le domaine du transport de neutrons à l'Université de technologie KNToosi de Téhéran.

Roshani

Mostafa Ahmadi Roshani, spécialiste dans le domaine de l'ingénierie des polymères à l'Université de technologie de Sharif, travaillait à l'installation de l’usine nucléaire de Natanz. Il a été éliminé le 11 janvier 2012 par un attentat à la bombe à moto à huit heures et demie du matin, dans les environs de la localité Seyyed Khandan, à Téhéran.

Le but de ces assassinats est de transformer l’environnement des savants en enfer vivant. La vie impersonnelle de ces hommes voués au nucléaire, vivant sous protection personnelle permanente, avait transformé les honneurs scientifiques en une épée de Damoclès pendue en permanence au-dessus de leur tête. Le doute s’est par ailleurs instauré à la fois dans les services scientifiques et dans les services de renseignements, incapables de déceler l’infiltration d’agents du Mossad dans les rouages. Tout devenait suspect ce qui atténuait l'efficacité des savants qui n’avaient plus de vie et devenaient atteints de paranoïa. Plusieurs d’entre eux ont d'ailleurs préféré baisser les bras en demandant à être impliqués dans d’autres missions moins risquées quand ils ne décidèrent pas de fuir à l’étranger. Le programme nucléaire iranien en a pris un coup sans recourir à la guerre.

Israël, avec le dernier assassinat, a voulu transmettre un message aux Iraniens pour qu’ils abandonnent leur programme nucléaire, surtout après l’avènement de Joe Biden plus ouvert aux négociations. L’Iran doit cesser de croire à son avenir nucléaire au sein du golfe Persique à fortiori quand plusieurs États arabes se lient à Israël pour contrer les Mollahs. Un compromis politique reste la seule solution plutôt que des représailles militaires iraniennes stériles.