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mardi 8 décembre 2020

Nucléaire iranien, nouvelle donne par Francis MORITZ

 


NUCLÉAIRE IRANIEN, NOUVELLE DONNE


Par Francis MORITZ

Le Guide suprême l'Ayatollah Ali Khamenei, en compagnie du président Hassan Rohani et du commandant de la force du Quds Ismail Qaani 

          Berlin a déjà mis la pression sur l’équipe du président élu, en vue d’une reprise rapide des négociations sur le nucléaire iranien, d’autant qu’il y a déjà plusieurs mois que Joe Biden avait déclaré son intention dans ce sens, une fois élu. L’industrie allemande, confrontée à une baisse de régime importante, exerce une pression considérable, en espérant une reprise rapide et lucrative des commandes. L’Allemagne doit toutefois faire face à deux obstacles sérieux, une nouvelle vague de sanctions décidées par le Donald Trump et un Sénat élu à majorité républicaine. De sorte que ces sanctions impacteront la totalité du secteur pétrolier iranien, rendant la vie du pays encore plus difficile qu’elle n’est actuellement.


Les gardiens de la révolution, bras armé de l'Iran

Il faut rappeler l’argument à ces nouvelles sanctions ; ceux qui les subiront sont les mêmes qui soutiennent les Gardes de la révolution islamique considérés comme des terroristes par les États-Unis et pour cette seule raison, très difficiles à annuler par la prochaine administration. Il sera exclu de les lever au titre de l’accord sur le nucléaire en panne et encore moins avec un Sénat républicain.

Joe Biden et Berlin ont «demandé» à l’Iran de s’abstenir de vouloir étendre son influence régionale et de limiter son programme de développement de missiles. Or on sait déjà que l’Iran n’a aucune intention d’entrer dans ce nouveau cercle vicieux à ses yeux, fort de son expérience actuelle avec les pays de l’Ouest et des très sévères sanctions qui lui sont imposées. Cette demande, sinon cette exigence, se comprend d’autant mieux qu’à mesure que l’Iran étend son influence et sa présence régionale, celle des pays de l’Ouest diminue d’autant.

On assiste donc à une sorte de course poursuite entre les différents acteurs, chacun cherche à se ménager une bonne place pour l’après-Trump. On voit ainsi Berlin, l’UE ainsi que ce qui s’appelle le groupe E3 constitué de l’Allemagne, la France et la Grande Bretagne, dont les ministres viennent de se rencontrer, déclarer «qu’ils sont disponibles pour servir de médiateurs entre l’Iran et les États-Unis pour faciliter les négociations, à défaut de contacts directs». 

Heiko Maas

Peu de temps après l’élection américaine, le ministre allemand des Affaires étrangères, Heiko Maas, a déclaré «que ces entretiens ne devraient pas être limités à la capacité nucléaire de Téhéran, mais aussi au rôle régional de l’Iran ainsi qu’au programme de missiles». Une telle surenchère ne peut mener nulle part, quand on connaît avec quelles difficultés les précédentes négociations se sont déroulées. Les Européens se bercent d’illusion s’ils pensent pouvoir brutalement modifier la situation, alors qu’elle n’a fait que se dégrader depuis cinq ans, sans que l’Europe puisse agir.  L’Iran n’a pas la mémoire courte.

On voit actuellement se dessiner au sein des hautes sphères de Téhéran une tendance à se tourner vers l’Est. On voit se constituer un axe Téhéran-Dehli, Pékin-Moscou, ce dernier impacté par les sanctions que lui imposent les États-Unis, l’UE et l’Otan.

En matière de sanctions, Joe Biden avait déclaré il y a plusieurs mois, qu’il pourrait y avoir un changement de politique envers l’Iran, et si ce pays se conformait strictement à l’accord de 2015, les États-Unis retournerait à l’accord. Il faisait particulièrement référence au fait que l’Iran avait commencé à ne plus respecter certaines clauses majeures. Depuis que les États-Unis ont quitté l’accord, l’Iran dispose de 2.440 kg d’uranium enrichi, contre seulement 300 kg permis dans l’accord, d’après l’Agence pour l’Energie Atomique. Joe Biden a réitéré ses intentions en cas de victoire. Plus que six semaines à attendre.      

Existe-t-il une fenêtre d’opportunité pour redonner vie à l’accord ? Une petite lucarne, oui. Le ministre iranien des AF Mohammad Javad Zarif aurait déclaré : «si Washington respecte à nouveau l’accord nucléaire, y compris en levant les sanctions, l’Iran suivra» Cependant, contrairement à certaines déclarations très optimistes, il n’est pas question pour l’Iran d’élargir les discussions à d’autres sujets. Des diplomates iraniens le confirment clairement et indiquent que leur pays n’est pas intéressé par de quelconques accords temporaires et rejette catégoriquement toute discussion concernant leur programme de missiles, considérant que l’embargo les a aussi affaiblis militairement. Il est donc vital pour l’Iran de disposer de moyens de défense envers les monarchies du Golfe.  Téhéran considère aussi être en droit de demander des milliards d’indemnités aux États-Unis en raison des dommages subis du fait des sanctions, même si on ne se fait aucune illusion sur une acceptation, tout en maintenant le principe dans une négociation.

Zarif au G7 avec Macron


A ce qui précède s’ajoutent deux facteurs, fruits de l’expérience qui ont conduit à l’accord de 2015. Durant la période 2005-2012 la classe dirigeante iranienne pensait pouvoir approfondir une coopération avec des puissances autres qu’occidentales. Ce qui ne lui pas évité les sanctions des Nations Unies. En conséquence, le président Hassan Rohani poursuit une politique à deux volets. D’une part, une coopération avec les puissances non occidentales, d’autre part une tentative de détente avec l’Ouest traditionnel. Il considérait que l’accord nucléaire permettait de poser la première pierre d’un édifice de confiance mutuelle, ce qui aurait permis à plus ou moins long terme une ouverture mesurée et prudente vers les États-Unis. La suite a démontré que ce calcul était faux. Lorsque les Américains quittèrent l’accord en 2015 et décidèrent des sanctions extraterritoriales en 2018, le grand leader iranien Ali Khamenei décida de se tourner vers l’Est, Chine, Inde et Russie.

Ce qui ressort de cette situation est le changement de doctrine iranienne. Le pays s’est tenu pendant longtemps à des relations très polarisées et a subi l’embargo et les sanctions américaines. Il découvre aujourd’hui la multipolarité et la possibilité d’accords bilatéraux. On relève notamment un accord à long terme (25 ans) avec Pékin. Sans surestimer ce type d’accord, il faut se rendre à l’évidence que la Chine jette ses filets très loin en mer, pour ramener du poisson et planifie à très long terme. L’Empire du Milieu est très patient et doté d’une puissance considérable.

L’Iran prend conscience qu’elle peut très utilement trouver sa place et un rôle à jouer en Asie avec sa double casquette de producteur de pétrole et de grand pays avec près de 100 millions de consommateurs L’Allemagne, qui est bien plus souverainiste qu’il y paraît, veut souvent faire avancer ses pions seuls ou au travers de l’UE, si et quand cela lui convient. Si le tandem franco-allemand n’est plus en mesure d’agir avec une totale confiance et dans la même direction, l’UE ne pourra pas jouer un rôle éminent dans cette nouvelle donne comme elle a déjà failli dans d’autres dossiers au Moyen-Orient et ailleurs. Que fait la France ?

 

 

1 commentaire:

Jean CORCOS a dit…

Excellent article : la République Islamique d'Iran joue à merveille du "nouveau monde", où l'Occident est sur la pente descendante. Trois remarques : l'Inde soi disant "grand ami d'Israël" n'a jamais cessé d'importer du pétrole iranien, alors qu'elle pouvait s'adresser ailleurs ; idem la Chine, qui a en effet une vision géostratégique sur le long terme ; quant à la Russie, ma conviction est faite ; comme la France puis les Etats-Unis ont favorisé dans le passé - sans le dire - un Israël puissance nucléaire pour avoir un allié solide dans la région, Poutine accepte - ou pire que cela, favorise - la bombe iranienne, qui neutralisera les Occidentaux au Moyen-Orient.